Quand la prime de précarité exclut la majorité des apprentis (et parfois pour quelques euros seulement)

Fixée à 1.028,96 euros, la prime d’activité, qui a pour but d’aider les travailleurs les plus précaires à boucler leurs fins de mois, exclut de facto les étudiants en apprentissage dont le seuil minimal de rémunération est inférieur, parfois de quelques euros seulement. Une condition minimum de revenu qui agace les associations et syndicats étudiants.
Maxime Heuze
Apprentis
Apprentis (Crédits : Reuters)

En France, c'est bien connu, moins un travailleur est payé, plus il reçoit d'aides de l'Etat... Sauf pour les apprentis ? C'est la question que pose l'allocation de la prime d'activité. Cette aide versée par la Caisse d'allocations familiales peut représenter un bon complément de revenu pour les plus précaires puisque son montant forfaitaire se situe à 586,23 € par mois (un montant qui peut évoluer en fonction de la situation familiale du bénéficiaire ou des aides qu'il reçoit déjà).

 A l'heure où les étudiants qui ont trouvé une entreprise apposent leur signature sur leur contrat d'apprentissage, certains découvrent qu'ils sont privés de la prime d'activité car... Ils ne gagnent pas assez ! Cette aide qui sent la justice sociale puisqu'elle est versée dès le premier euro travaillé pour les salariés et autres indépendants de plus de 18 ans est octroyée sous condition pour les apprentis (hors parent isolé) : leur rémunération doit atteindre au minimum 1.028,96 euros net par mois (61,28% du SMIC sur 35h) pendant 3 mois consécutifs. Il s'agit en réalité d'un seuil mouvant qui représente 55% du Smic brut sur une base de 39 heures.

Seuls 14% des apprentis bénéficiaient de la prime d'activité en 2018

Et c'est là où le bât blesse. Les alternants en première année de formation (première année de BEP, DUT, Licence ou de Master) ont un seuil minimal de rémunération de 722 euros net pour les moins de 21 ans (43% du SMIC sur 35h) et de 890 euros net (53% du SMIC sur 35h) s'ils ont entre 21 et 25 ans. Même situation pour les alternants en deuxième année de formation (deuxième année de BEP, DUT, Licence ou Master) qui voient leur seuil minimal de rémunération s'établir à 856 euros (51% du SMIC sur 35h) s'ils ont moins de 21 ans et à 1.024 euros (61% du SMIC sur 35h) pour les 21-25 ans.

A 4 euros près, ces étudiants perdent entre 100 et 700 euros d'aides par mois. Seuls les apprentis en 3e année de formation, doivent être au minimum rémunérés 1.125 euros par mois s'ils ont entre 18 et 21 ans et 1.310 euros net par mois s'ils ont entre 21 et 25 ans. Pour rappel, en 2021, 718 000 contrats d'apprentissage ont été signés. « Mais les alternants en troisième année ne représentent qu'une toute petite partie des étudiants puisque beaucoup commencent leur apprentissage en Master ou en deuxième année de licence », assure Yves Calvez, le secrétaire général de la Fédération des association générale étudiantes (Fage) en charge de l'insertion professionnelle. D'après les chiffres de la Caisse nationale d'Allocations familiales, en 2018, seuls 14% des apprentis bénéficiaient de la prime d'activité.

Un chiffre très faible que le ministère du Travail défend par le fait qu'il évolue dans le bon sens. « Historiquement exclus du RMI, les jeunes de 18 à 25 ans n'étaient pas éligibles au RSA, y compris au RSA activité, sauf exceptions notamment avoir un enfant à charge ou à naître. Compte tenu de l'importance du taux de chômage des jeunes, il est apparu primordial dans le cadre de la réforme de soutien aux travailleurs modestes, pilotée par Christophe Sirugue (2013), d'améliorer l'accès des jeunes aux dispositifs de soutien à l'activité et donc d'ouvrir la prime d'activité aux jeunes travailleurs dès 18 ans, dans les conditions de droit commun », fait savoir le ministère qui justifie le seuil de 55% du Smic brut comme le « plafond de rémunération au-delà duquel un enfant n'est plus considéré à charge au sens des prestations familiales. »

Des conditions de vie difficiles pour certains apprentis

Un soutien financier qui ne progresse que lentement et qui rend dubitatif de nombreux étudiants. « On est alerté par des apprentis qui se plaignent d'avoir des camarades qui sont mieux payés qu'eux et qui bénéficient de la prime d'activité alors qu'eux-mêmes n'y ont pas le droit. Il y a un vrai sentiment d'injustice » scande Aurélien Cadiou, le président de l'Association nationale des apprentis de France (Anaf).

Cela étant, les étudiants non alternants n'ont ni prime d'activité, ni salaire. Pourquoi alors privilégier l'aide aux apprentis ? A cause de leurs éventuelles charges supplémentaires. « Ils doivent parfois acheter des équipements ou payer deux logements si leurs études et leur entreprise ne sont pas dans la même ville. Ces charges supplémentaires peuvent pousser certains étudiants à abandonner leur apprentissage », prévient Aurélien Cadiou qui rappelle que 28% des apprentis doivent rompre leurs contrats avant la fin de leur alternance (chiffres de 2018 mais qui restent stables d'après l'Anaf).

Reste une solution pour ces étudiants employés : négocier avec l'entreprise pour atteindre le seuil de 1028,96 euros. « Mais beaucoup d'alternants ne sont pas informés sur les rémunérations des apprentissages ou les aides auxquelles ils ont droit. Donc ils ne vont pas souvent négocier avec leur entreprise pour monter leur salaire pour avoir accès à la prime d'activité », regrette Yves Calvez qui recommande de démocratiser « les modules d'information sur l'alternance pendant les études afin que les étudiants soient bien au courant de toutes les aides auxquelles ils ont le droit. »

Les conditions de vie des apprentis, un non-sujet pour l'Etat ?

Ce délaissement des alternants est d'autant plus curieux qu'Emmanuel Macron a fait de l'apprentissage l'un de ses chevaux de bataille avec l'objectif d'atteindre 1 million d'alternants avant 2027. « On met les moyens pour qu'il y ait plus d'apprentis mais pas assez d'aides pour les accompagner », nuance Aurélien Cadiou, et ce alors même que l'entrée dans l'apprentissage met fin au droit d'obtenir une bourse sur critère social. L'Anaf constate même un recul du nombre et du montant des aides depuis que la gestion de l'apprentissage est passée du régional au national, en 2018. « Certaines régions qui octroyaient des aides en plus de celles de l'Etat ne le font plus car elles ne sont plus responsables de l'alternance », ajoute son président.

Pour l'Union nationale des étudiants de France (Unef), la recherche d'une économie sur le versement des prestations n'est qu'une partie des explications. « Il y a une question financière mais cette condition d'accès à la prime montre une déconnexion totale entre le gouvernement et le milieu étudiant. Les apprentis ne sont pas vus comme des salariés à temps plein qui doivent être rémunérés correctement mais comme des jeunes à former », regrette Imane Ouelhadj, la présidente de l'Unef.

C'est pour tenter de changer la vision du gouvernement sur les étudiants que l'Anaf a publié lors de la dernière élection présidentielle un communiqué dédié à l'amélioration des conditions des apprentis. Si la première de ses vingt propositions était l'ouverture de la prime d'activité à l'ensemble des apprentis, les plaintes de l'association de défense des apprentis ne semblent pas être parvenues jusqu'aux oreilles du chef de l'Etat.

Maxime Heuze
Commentaires 3
à écrit le 26/09/2022 à 22:26
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Étant prof dans un CFA, j'ai pu constater une situation ubuesque et injuste. les apprentis sous contrat avec les grandes entreprises, bénéficiant d'avantages non négligeables (prime d'intéressement, de participation, salaires plus élevés ...) touchen...

à écrit le 26/09/2022 à 21:16
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Bonjour, L'ons exploite les apprentis .... Voila la question qu'ils faut se poser... Pour un mis temps ( manœuvreux ) , payer 300 euro ou moins , trouvez vous cela normal... Nous somme a 600 euro pour un temps complet... voila pourquoi l'ons tro...

à écrit le 26/09/2022 à 16:25
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La vraie question : est ce normal et est à l état de compenser un salaire trop bas ?…

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