Quand le ministre Roland Lescure parle réindustrialisation avec Sophie Binet de la CGT

POLITISCOPE. A la Mutualité à l'occasion des 40 ans du groupe Alpha, la leader de la CGT s'est démarquée du discours rassurant sur le retour en grâce de l'industrie au plus haut niveau de l'Etat et des élites économiques. Dans la réalité du terrain, il y a encore beaucoup à faire pour rattraper notre retard a insisté Sophie Binet qui a tancé la responsabilité des grands groupes donneurs d'ordres à l'égard des PME.
Marc Endeweld
(Crédits : Reuters)

C'était mardi dernier dans la salle mythique de la Mutualité dans le Vème arrondissement de Paris. Le groupe Alpha, célèbre cabinet de conseil dans les relations sociales et les conditions de travail, fondé dirigé par Pierre Ferracci, y fêtait ses 40 ans. Pour l'occasion, plusieurs débats étaient organisés, notamment un sur l'industrie et les enjeux sociaux et écologiques. Invité d'honneur, Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l'industrie, se réjouit en préambule de « la fin du mythe du fabless », cette mode des années 1990 des entreprises sans usines. Et de rappeler ensuite les conséquences dramatiques de cette désindustrialisation pour la cohésion nationale : « On n'est pas tous égaux face à l'industrie. La désindustrialisation de ces quarante dernières années a touché des territoires où il n'y avait pas d'alternatives. » Manifestement, cinq ans après le surgissement de la colère, la France des Gilets jaunes est plus que jamais dans les têtes, notamment au gouvernement où l'on regarde ces derniers mois comme l'huile sur le feu les indicateurs de consommation et d'inflation.

Très vite pourtant, Roland Lescure multiplie les motifs de satisfaction concernant l'objet de son portefeuille ministériel : il souligne ainsi qu'on compte dans le pays 300 usines de plus depuis cinq ans, et que près de 100.000 emplois industriels ont été créés. Bref, que la spirale du déclin a été enrayée. Le ministre se félicite aussi de l'ouverture d'une gigafactory de panneaux solaires à Sarreguemines. Et il n'oublie pas d'associer l'industrie au nouveau mantra environnemental : « On doit faire de la révolution écologique une révolution industrielle. Les mentalités sont en train de changer », assure-t-il, avant d'expliquer qu'il est encore nécessaire de travailler davantage sur les normes, c'est-à-dire en intégrant notamment dans les marchés publics la question du bilan carbone. Le ministre se tourne alors vers le reste des invités : « L'État est prêt à investir mais il faut trouver du capital ».

À ces mots, Pierre Ferracci profite de la présence du ministre pour mettre en avant une question sous-estimée selon lui dans le cadre des réflexions sur la réindustrialisation, celle de l'Union Européenne : « je suis un européen convaincu, mais cette Europe-là, elle déstabilise tout le monde ». Et d'évoquer les pressions de Bruxelles sur le fret ferroviaire ou l'industrie automobile, et de rappeler qu'un peu partout en France, des fonderies disparaissent, encore très récemment. « On a accéléré la fin du modèle thermique de 2040 à 2035, on ouvre la porte aux États-Unis et au Chinois qui subventionnent massivement ce secteur. Ce n'est pas possible, on ne va pas pouvoir résister comme ça ». Des paroles qui rappellent celles de Carlos Tavares, le patron de Stellantis. « Le problème européen est à traiter avec beaucoup plus de force », martèle Ferracci en se tournant vers Lescure. Ajoutant : « La focalisation des aides sur les bas salaires a tué l'industrie et les activités à forte valeur ajoutée ».

C'est ensuite au tour de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, de s'exprimer. Et celle-ci casse l'ambiance en rappelant la destruction de 1 million d'emplois industriels en moins de 20 ans : « Concernant l'industrie, la France est à la 26e place sur 27 pays européens ». La leader syndicale pointe ensuite la « solidarité insuffisante des filières industrielles », avec des donneurs d'ordres, parmi les grands groupes, qui ne s'engagent pas suffisamment vis-à-vis des sous-traitants.

Présent également à la table ronde, Augustin de Romanet, patron d'ADP, fait référence à l'histoire pour expliquer le manque d'industries en France, et souligne qu'en ce qui concerne les ETI, seulement 700 d'entre-elles sont dans le secteur industriel... De son côté, Alexandre Saubot, président de France Industrie estime toutefois que l'état d'esprit général a largement évolué ces dix dernières années, en citant le rapport Gallois, « qui a servi d'électrochoc » et qui a permis de « mettre des sujets sur la table qu'on mettait avant sous le tapis », et en rendant hommage au CICE ainsi qu'au pacte de responsabilité, deux réformes mises en place sous le quinquennat de François Hollande.

Répondant à Ferracci sur l'Europe, Roland Lescure, après avoir vanté le bilan du gouvernement en la matière, admet qu'il faudrait « introduire dans les règles de concurrence des règles sociales et environnementales ». Le temps presse... et Sophie Binet décide d'ailleurs de mettre les pieds dans le plat en expliquant : « La France est un pays de rentiers, le souci ce n'est pas le coût du travail, c'est le coût du capital ». À ses mots, François Asselin, président de la CPME, comme Alexandre Saubot s'époumonent, et rappellent le faible niveau des dividendes en France lorsqu'on prend en considération l'ensemble des entreprises françaises et pas uniquement les grands groupes du CAC 40. Mais Binet ne se démonte pas, et assène : « Il faut arrêter d'avoir une politique industrielle indexée sur les grands groupes », ces « donneurs d'ordre qui se défaussent de leur responsabilité, alors qu'ils sont biberonnés » d'aides publiques. Et de dénoncer les « 200 milliards d'aides publiques sans contrepartie ». Forcément, dans une salle acquise au mieux-disant social, la patronne de la CGT se fait chaudement applaudir. Et avant de partir à un autre rendez-vous, le ministre Roland Lescure a tout juste le temps de rappeler la nécessité que tout le monde se retrousse les manches pour atteindre les objectifs : « On ne va vraiment pas être d'accord. Il faut qu'on se batte ensemble sur cette grande cause nationale de la réindustrialisation ». Décidément, pour l'industrie française, malgré les signes encourageants, il y a encore du boulot !

Marc Endeweld.

Marc Endeweld
Commentaires 9
à écrit le 24/09/2023 à 10:18
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Roland Lescure qui évoquait "La réindustrialisation de la France ne se fera pas sans immigration.Je me demande ce qu'en pense notre cadre Sophie Binet la leader de la CGT de cette phrase.

à écrit le 23/09/2023 à 14:34
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Les grands groupes français ont toujours été exposés aux influences anglo-saxonnes, via leurs sièges parisiens, leurs banques, leurs consultants et leurs actionnaires, tous mondialistes, tous favorables aux délocalisations et au “fabless”.

à écrit le 23/09/2023 à 14:09
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Je rigole comme jamais de tant d'indignation de tt ce bon peuple de gauche qui a coule la france en rigolant et cherche des victimes pour balayer les écuries daugias !!! Que la gauche redresse le pays elle même et toute seule, avec son temps, son arg...

le 24/09/2023 à 11:16
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@Churchill: Je défends les 35 heures, dont un ministre (allemand - l'était pas fou!) avait dit que c'était une excellente nouvelle... pour l'Allemagne..

à écrit le 23/09/2023 à 13:28
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Cette objectif de réindustrialisation est un pur fantasme . Il ne faut pas oublier que la France n'a jamais été un pays industriel, on est en train d'inventer un passé qui n'a jamais existé. En outre avec un système éducatif égalitariste qui donc f...

le 23/09/2023 à 13:37
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@jason Un enseignement élitiste ne garanti pas non plus la réussite puisque vous considérez que la France n'a aucun passé industriel. Où étaient nos "elites"...avant quand c'était mieux? L'école (laique)même si elle ne produit pas que des champions,...

le 24/09/2023 à 21:20
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@Jason: Exact! Nous regrettons Henri IV, son ministre Sully et son immortelle maxime "labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France"; mais, bientôt, il n'y aura plus ni bestiaux ni agriculteurs. Triste avenir que celui qui nous attend!

à écrit le 23/09/2023 à 8:50
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Et ben on est pas sorti de l'auberge quand on voit comme les décideurs politiques et économiques alliés aux syndicats ont massacré le train, main dans la main.

le 23/09/2023 à 13:16
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vous parler des trains mais aussi le textille saborder par vge contre boussac puis ce fut l'imprimerie la metellurgie puis l'interdiction de construire des peniches m rocard puis il ont inventer la pollution et la c'est toute les industrie que l...

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