Uber, Deliveroo : l'accord de l'UE va-t-il vraiment changer la vie des travailleurs des plateformes ?

Un accord politique a été trouvé lundi par les pays de l'Union européenne, sans la France et l'Allemagne, sur une législation européenne destinée à renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo. Mais le compromis finalement retenu laisse les États membres décider comment qualifier les travailleurs. Explications.
Les pays de l'UE ont trouvé un accord destiné à renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo (photo d'illustration).
Les pays de l'UE ont trouvé un accord destiné à renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo (photo d'illustration). (Crédits : Reuters)

L'accord de l'UE sur la loi sur les travailleurs des plateformes va-t-il changer quelque chose pour les livreurs et chauffeurs VTC en France ? Lundi 11 mars, les pays de l'UE ont trouvé un accord politique, sans le soutien de la France et de l'Allemagne, sur une législation européenne destinée à renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo.

« De meilleures conditions de travail pour les livreurs de repas à domicile ! Les ministres viennent d'approuver le texte de compromis sur la directive relative aux travailleurs des plateformes », s'est félicitée la présidence belge du Conseil de l'UE sur X, à l'issue d'une réunion à Bruxelles.

Dans un communiqué, le Conseil de l'UE indique que « les États membres établiront dans leurs systèmes juridiques une présomption légale d'emploi, qui sera déclenchée lorsque des faits témoignant d'un contrôle et d'une direction sont constatés ». Le texte doit encore faire l'objet d'une adoption formelle par les Vingt-Sept et par le Parlement européen. Les États membres disposeront ensuite de deux ans pour intégrer ces dispositions dans leur législation nationale.

D'importantes marges de manœuvres laissées aux États

Cet accord est pourtant bien loin de la directive proposée par la Commission européenne fin 2021. Celle-ci visait à requalifier comme salariés de nombreuses personnes, livreurs de repas ou chauffeurs de VTC indépendants, afin de renforcer leur protection sociale. Elle devait aussi harmoniser les critères de cette requalification à l'échelle européenne.

Lire aussiSuppression du bonus écologique : Uber va offrir une compensation à ses chauffeurs

En décembre, le Parlement européen et les Vingt-sept avaient annoncé avoir trouvé un accord sur la directive. Mais alors que le texte présenté en décembre créait une présomption de salariat sur la base d'une série de critères, le compromis finalement retenu renonce à cette liste de critères, laissant d'importantes marges de manœuvre aux États membres pour décider comment qualifier les travailleurs.

« Est-ce que cette directive changera quelque chose ? Je ne pense pas », déclare Me Kevin Mention auprès de La Tribune. L'avocat de coursiers dénonce le « lobbying pro-plateformes d'Emmanuel Macron et de son gouvernement, dans la lignée des Uber Files ». « La France prendra tout le temps qu'il faut pour protéger les plateformes et ne pas adapter la directive tout de suite en droit français. Et quand elle l'adaptera, ce sera dans sa version la plus light possible », anticipe-t-il.

« Tout dépend de savoir comment se fait la transposition dans le droit français », résume Alain Rallet, économiste et professeur émérite à l'Université Paris-Saclay. « S'il n'y a plus de critères à l'échelle européenne, il va y avoir des différences énormes entre les pays favorables à la présomption de salariat, comme l'Espagne, et des pays comme la France, où la position d'Emmanuel Macron par rapport à Uber n'est pas du tout favorable à cette présomption », explique le spécialiste.

Les syndicats saluent un accord « positif »

Contacté par La Tribune, Ludovic Rioux, secrétaire de la fédération CGT des transports et livreur à Lyon, estime que cet accord est « positif pour un certain nombre de pays qui n'ont aucun droit sur la question des travailleurs de plateformes ». « Mais pour la France, c'est plus compliqué parce que la majorité parlementaire est pro-patronat », juge-t-il.

Le représentant syndical regrette que les faits permettant de déclencher une présomption d'emploi « seront déterminés selon le droit national et les conventions collectives nationales, eu égard à la jurisprudence de l'UE », d'après le Conseil de l'UE. « Le législateur devra composer avec le droit français, qui prévoit des éléments que la CGT considère rétrogrades parce qu'ils visent à entériner un statut intermédiaire pour les travailleurs des plateformes », déplore Ludovic Rioux.

Lire aussiGrève des livreurs Uber Eats : le dialogue social dans l'impasse ?

La CGT regrette par ailleurs que la directive ne prévoit pas « la rétroactivité des droits à la protection sociale ». Le syndicat s'inquiète également de la question de la régularisation des travailleurs sans papiers. « Il ne s'agirait pas qu'une directive vienne priver d'emploi des milliers de livreurs qui n'auraient pas le droit à la régularisation », déclare Ludovic Rioux. Enfin, « il ne faudrait pas que les plateformes décident de se débarrasser de leurs travailleurs du jour au lendemain sans qu'ils aient droit à rien ».

Pour l'association Union indépendants (CFDT), cette directive « va dans le sens d'une amélioration en apportant des garanties intéressantes ». Concernant la présomption de salariat, « elle vient inverser la charge de la preuve dans le cadre d'une procédure juridique entre un travailleur et une plateforme », salue l'association. « Elle renforce également les questions de transparence sur les algorithmes de rémunération ».

De son côté, SUD Commerces accueille « favorablement » cet accord. « Même si la deuxième version a été édulcorée, cela pousse les Etats membres à faciliter la mise en place d'une présomption de salariat », salue un représentant syndical. « Si les plateformes se plaignent, c'est que cette directive servira à quelque chose », espère-t-il.

Les plateformes appellent à l'indépendance des travailleurs

Le lobby des sociétés de mobilité à la demande, Move EU, qui compte Uber parmi ses membres, a exprimé son mécontentement. « Ce texte, bien qu'il constitue une amélioration par rapport aux versions précédentes, ne permet pas d'aboutir à une approche harmonisée dans l'ensemble de l'UE, ce qui crée encore plus d'incertitude juridique » pour les travailleurs, a déclaré son président, Aurélien Pozzana.

Lire aussiLutte contre la fraude sociale : les plateformes Uber et Deliveroo dans le viseur de Bercy

« Les législateurs européens ont voté pour maintenir le statu quo, le statut des travailleurs des plateformes continuant d'être décidé pays par pays et tribunal par tribunal », a réagi un porte-parole d'Uber. L'entreprise américaine « appelle maintenant les pays de l'UE à introduire des lois nationales qui donnent aux travailleurs des plateformes les protections qu'ils méritent tout en maintenant l'indépendance qu'ils préfèrent ».

Delivery Platforms Europe, dont Deliveroo est membre, conclut de cet accord que « les États membres sont les mieux placés pour réguler le travail de plateforme dans une minorité de cas où il existe une certaine incertitude quant à la qualification correcte du statut des travailleurs ». La coalition de plateformes appelle les États membres « à veiller à ce que la transposition en droit national accorde aux travailleurs des plateformes ce qu'ils disent vouloir : indépendance et protection ».

Commentaires 3
à écrit le 15/03/2024 à 11:53
Signaler
Cette affaire des plateformes est révélatrice : de façon claire, elle témoigne de la volonté du Gouvernement français de promouvoir par tous les moyens les statuts de travail les plus précaires pour les mettre au service du mythe du plein emploi. Le ...

à écrit le 14/03/2024 à 8:08
Signaler
Bon enfin les gars ! Van Layen à la tête de l'UE quand même ! Bref ils ont du donner du fric à des réseaux oligarchiques européens donc cela ne nous servira à rien à nous comme tout ce qui sort de l'UERSS empire prévu pour durer mille ans.

à écrit le 13/03/2024 à 21:12
Signaler
L'électorat macroniste étant composé d'inactifs retraités mangeant à toute les gamelles et de ce fait particulièrement friands de services uberisés, le gouvernement freine en effet des quatre fers pour perpétuer des pratiques scandaleuses pour lesque...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.