Avec une baisse de son offre, l'Opep+ veut reprendre le contrôle du marché pétrolier

Pour enrayer la baisse du prix du baril de pétrole amorcée ces dernières semaines, l'Opep+ s'apprête à réduire son quota de production lors de sa réunion de mercredi à Vienne. Objectif : maintenir des prix élevés et un certain niveau de revenus. Cette décision va intervenir alors que les pays de l'Union européenne ne se sont pas mis d'accord sur le plafonnement d'un prix du brut russe exporté, comme l'a décidé le G7, et que l'embargo européen sur 90% des importations russes conclu en juin doit entrer en vigueur avant la fin de l'année, ce qui risque de retirer l'offre russe du marché et provoquer une nouvelle flambée des cours.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

Une chute de 30% depuis leurs pics de mars, et de 7% depuis un mois. C'est ce qu'auront en tête les représentants des pays membres du partenariat entre les 14 membres de l'Opep et les dix autres pays exportateurs dont la Russie lors de leur réunion mercredi 5 octobre à Vienne (Autriche) au siège de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep).

Est-ce un signe de l'importance de l'enjeu ? Ces représentants se retrouveront physiquement pour la première fois depuis mars 2020. Ce sera d'ailleurs un test pour la représentation russe puisque son responsable, Alexander Novak, vice-président du gouvernement russe, vient, comme Elvira Nabioullina, la présidente de la Banque centrale de Russie, d'être ajouté à la liste des responsables russes ciblés par les sanctions occidentales.

Entre 500.000 et 1 million de barils par jour

Si le principe d'une baisse de la production de l'Opep+ semble acté, il reste à en fixer son ampleur, son calendrier et ses modalités. Des indiscrétions font état d'une réduction allant de 500.000 b/j à plus de 1 million de barils par jour (mb/j). Ces rumeurs ont soutenu les cours. Ainsi lundi soir, le prix du baril de Brent sur le contrat de décembre, nouvelle référence, a gagné 4,36%, pour clôturer à 88,86 dollars. Le prix du baril de West Texas Intermediate (WTI) américain, pour livraison en novembre, a lui pris 5,20%, à 83,63 dollars, au plus haut en clôture depuis deux semaines.

La décision est avant tout politique. Elle vise à envoyer un signal en particulier aux investisseurs sur les marchés à terme. Hier, le prix du baril de Brent sur le contrat d'octobre 2023 se négociait autour de 77 dollars alors que celui sur le contrat de novembre 2022 évoluait autour de 88 dollars. Techniquement, l'évolution de la courbe des « futures » est dite en backwardation, autrement dit les prix des contrats à échéance éloignée tendent à baisser, signifiant que l'offre actuelle est supérieure à la demande.

La chute des prix est plus rapide que leur remontée

C'est une telle perspective que redoute l'Opep+ qui, par expérience, sait que la chute des prix est toujours plus rapide que la remontée des cours. C'est d'ailleurs pour cette raison que le partenariat Opep+ est né, permettant de coordonner la maîtrise de l'offre pour peser sur le marché mondial du pétrole. Selon les projections de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les membres de l'Opep+ devraient pomper 52,1 mb/j sur les 100,1 mb/j prévus d'être produits en 2022.

A court terme, la décision aura peu d'influence sur le marché physique, l'Opep+ n'arrivant pas aujourd'hui à atteindre le quota qu'elle s'est fixé (42,1 mb/j en août, hors Libye, Iran et Venezuela, non soumis à quotas). Au mois d'août, la production réelle était inférieure de 3,4 mb/j à ce quota, « en raison de problèmes techniques, de périodes de maintenance, de limitations de capacités et de l'effet des sanctions sur l'offre russe », souligne l'AIE, dans son rapport de septembre. L'offre russe était inférieure de 1,2 mb/j à son quota.

Et si des pays comme l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis atteignent leurs objectifs voire les dépassent légèrement, cela présente aussi un risque, celui d'une réduction de la capacité résiduelle mobilisable qu'ont ces deux pays en cas de graves perturbations du marché pétrolier mondial. Un critère que scrutent également les investisseurs.

Les craintes de la Maison-Blanche

La décision de l'Opep+ va être aussi analysée par la Maison-Blanche. En effet, une envolée des prix de l'essence à quelques semaines des élections de mi-mandat en novembre serait de mauvaise augure pour le président Joe Biden et le parti démocrate, d'autant que les Etats-Unis ont déjà puisé cette année 180 millions de barils dans leurs réserves stratégiques pour faire baisser les cours de l'or noir et des prix de l'essence à la pompe.

En outre, l'annonce d'une baisse de l'offre de l'Opep+ est de nature à compliquer l'imposition d'un prix plafond aux exportations de brut et de produits pétroliers russes décidée par le G7, mais aussi voulue par l'Union européenne sans qu'un accord ait été conclu pour le moment, la Hongrie et Chypre s'y opposant. Le sujet sera à l'ordre du jour du sommet européen qui se tient jeudi 6 octobre à Prague, le lendemain de la décision de l'Opep+.

Ce prix plafond doit normalement être effectif à partir du 5 décembre pour le brut, et à partir du 5 février pour les produits raffinés (essence, diesel, fioul...). Or ce mécanisme dont les détails d'application ne sont pas encore connus vient se superposer à un accord conclu par les pays de l'Union européenne en juin sur un embargo total des importations de pétrole russe sous la forme d'un paquet de six mesures, notamment par l'interdiction d'affréter et d'assurer des tankers chargés de brut russe.

Pour les Etats-Unis, le plafonnement du prix - qui permettrait de réduire les revenus pour Moscou tout en évitant un retrait du brut russe du marché mondial - doit être mis en place avant l'embargo européen visant à réduire de 90% les importations de pétrole russe avant la fin de l'année. En effet, s'il s'appliquait, quelque 2 mb/j de brut russe risquent d'être retirés du marché, puis autant de produits raffinés deux mois plus tard. « Depuis des mois, le Trésor américain se bat avec acharnement pour assouplir les sanctions européennes qui interdisent de fournir des assurances et d'autres services aux pétroliers transportant du pétrole russe partout dans le monde », explique Julian Lee, stratégiste pétrole chez Bloomberg, dans une analyse publiée par l'agence.

Depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine, les exportations russes effectuées par voie maritime (et non par oléoducs) ont atteint en moyenne 3,4 mb/j, soit 17% de plus qu'en 2021 sur la même période, selon le cabinet d'analyses Kpler. Si on ajoute les produits raffinés, on atteint un volume de 4,8 mb/j entre mars et septembre, soit 9% de plus que sur la même période 2021, malgré les sanctions occidentales.

Durant la même période, les pays de l'Union européenne ont importé 1,2 mb/j de brut russe par voie maritime, soit 21% de moins par rapport à 2021.

Dépendance européenne

Cela a conduit à une augmentation de 1,3 mb/j des importations européennes de brut hors Russie par rapport à 2021, en premier lieu en provenance des Etats-Unis, ce qui a entraîné aussi une demande plus importante de tankers, en raison des distances parcourues, et donc un coût majoré.

En revanche, selon les données de Kpler, les importations de produits pétroliers raffinés russes par les pays européens avoisinaient en moyenne 945.500 b/j, soit une progression de 12% par rapport à 2021. Les importations d'autres pays hors Russie ont également augmenté, de plus de 193.000 barils par jour.

Ainsi, au cours des 7 derniers mois, les importations de produits raffinés russes par voie maritime ont représenté 28% des importations totales des pays de l'UE, soit le double du volume de brut russe importé.

Cette dépendance européenne à l'égard du pétrole russe même si elle est moindre pour le brut reste importante. Dans ces conditions, un embargo strict risque de réduire considérablement l'offre mondiale.

Pour les Etats-Unis, le plafonnement est une meilleure alternative. En effet, la Chine et l'Inde qui officiellement ne sont pas parties prenantes de ce mécanisme pourraient continuer à acheter du brut russe, tout en permettant aux pays occidentaux d'avoir plus de pétrole sur le marché générant moins de revenus pour le Kremlin. « Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, la décote de l'Oural, le brut russe, est allée jusqu'à 40 dollars du baril. Avant l'invasion, l'Oural s'échangeait avec une décote de 10 dollars par rapport au baril de Brent », souligne Rosemary Griffin, chez S&P Global Commodity Insights.

Éviter une flambée des prix qui alimente l'inflation

L'administration américaine veut éviter une flambée des prix du baril, qui joue un rôle majeur dans l'inflation qui atteint des niveaux historiques aux Etats-Unis et a obligé la Réserve fédérale a accéléré la remontée des taux, au risque de plonger le pays en récession.

Cette équation, l'Opep+ la connaît. Une réduction importante de son offre avant l'entrée d'un hiver que les météorologues annoncent rigoureux ajouterait une pression supplémentaire sur les pays consommateurs dont les Etats-Unis, qui espéraient avec la visite cet été de Joe Biden à Riyad ramener l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis dans le camp occidental.

Or, la réunion de mercredi à Vienne devrait aussi être l'occasion d'annoncer le renouvellement du contrat de partenariat qui expire à la fin de l'année. S'il est reconduit pour 2023, il indiquera que l'Opep n'entend pas se passer de la Russie et des autres pays, signe que la relation entre Riyad et Moscou est solide, au moins pour défendre leurs intérêts liés à la rente pétrolière.

Robert Jules
Commentaire 1
à écrit le 04/10/2022 à 14:39
Signaler
Avec une offre Russe dont les prix vont tendre vers le bas, je ne vois pas comment les autres exportateurs vont pouvoir maintenir des prix élevés dans un contexte de récession. Sauf à réduire drastiquement leur production de pétrole, ce qui ne fera d...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.