Climat : dernière nuit pour sauver la COP28

La COP28 de Dubaï joue les prolongations : après la présentation d’un projet de texte final par la présidence émiratie, les dissensions persistent. Et pour cause, si le document mentionne les énergies fossiles, ce n’est ni pour appeler à leur élimination, ni même contraindre les Etats à réduire leur production.
Marine Godelier
(Crédits : THAIER AL-SUDANI)

La présidence émiratie de la COP28 tente-t-elle de noyer le poisson ? Après avoir proposé lundi soir un projet de texte final, sans doute s'attendait-elle à ce qu'on lui reconnaisse une avancée importante : la mention des « énergies fossiles », jusqu'ici soigneusement mise de côté lors des conférences internationales de l'ONU sur le climat.

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Pourtant, depuis, les levées de bouclier s'enchaînent. Celles des pays pétroliers, l'Arabie saoudite et ses alliés exportateurs en tête, qui refusent tout accord s'attaquant aux hydrocarbures, véritable socle de leur économie. Mais aussi et surtout celle des pays occidentaux, dont l'Union européenne et les Etats-Unis, ainsi que des petits Etats insulaires et de nombreux pays sud-américains, qui jugent beaucoup trop faible la proposition mise sur la table.

« C'est un exercice de communication de la part de la présidence. Quand le texte a été mis en ligne, certains ont d'abord pensé que c'était historique, puisque l'expression « énergies fossiles » a été inscrite. Mais ce n'est que pour mieux les préserver, et ne surtout rien changer », affirme à La Tribune Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement.

Résultat : des prolongations se sont engagées, et une nouvelle version est attendue ce mardi soir. Pour cause, le texte actuel laisserait toute latitude aux pays signataires de l'accord de Paris de 2015 (qui cible une limitation des températures « nettement en-dessous de +2°C ») pour choisir leur manière de « réduire » la consommation et la production de combustibles fossiles. C'est-à-dire sans aucune obligation. Il ne fixe plus aucun objectif commun d' « élimination » du pétrole, du gaz et du charbon, ce que le bloc mené par le Vieux continent pousse.

Pas de sortie des énergies fossiles

Après les précédentes versions, il s'agit d'une véritable douche froide. Car ces dernières envisageaient un objectif commun de « sortie » du pétrole, du gaz et du charbon. « On avait l'impression qu'il y avait une cristallisation des positions autour d'objectifs sur les énergies renouvelables, sur l'efficacité, et sur la formulation à trouver concernant les fossiles », note Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

A l'origine en effet, le débat portait autour de la « réduction » (phase down en anglais) ou « élimination » (phase out) de ces combustibles polluants. La deuxième option a donc été écartée. Pourtant, selon l'Agence internationale de l'énergie, il faudrait réduire d'environ un quart la demande de tous les fossiles cette décennie, et d'environ 95% d'ici à 2050. Or, le texte final ne qualifie pas la portée de la réduction, et précise juste que celle-ci devra se faire « de manière juste, ordonnée et équitable ».

« Parle-t-on de 10% ou de 95% de réduction d'ici à 2050 ? C'est dans cette zone grise que se joue l'ambition climatique », ajoute Lola Vallejo.

Un texte « à la carte »

Surtout, tout dans le texte est facultatif puisqu'il « appelle les Etats à prendre des mesures qui pourraient inclure, entre autres » les points susnommés. « C'est inquiétant : en général, on se met d'accord sur des objectifs, et les parties ont le choix sur les moyens. Or, là, les objectifs eux-mêmes deviennent optionnels ! C'est le niveau zéro de l'incitation, une simple boîte à idée, et un vrai recul par rapport à la dynamique de l'Accord de Paris », estime Arnaud Gossement. La réduction du charbon elle-même est indiquée comme non obligatoire, un « retour en arrière inacceptable par rapport à ce qui avait été décidé à la COP26 », affirme-t-on au cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Au point d'aboutir à une forme de « schizophrénie », a réagi le climatologue belge Jean-Pascal van Ypersele de Strihou sur Twitter :

« Le projet d'accord reconnaît ou note d'abord les écarts nombreux et gigantesques entre ce qui est nécessaire et ce qui a été livré jusqu'à présent [...] Et puis, après un diagnostic aussi clair, on ne décide presque RIEN. Il est frappant que ce projet de « texte de décision » contienne 115 occurrences des verbes « reconnaître », « reconnaître » et « noter », alors que le verbe « décider » n'est utilisé que cinq fois, et en relation avec des questions mineures ».

« Cela reflète une tension inhérente : les pays restent les premiers décideurs. Chacun peut piocher dans la longue liste de courses », ajoute Lola Vallejo. D'ailleurs, un paragraphe « réaffirme la nature nationale des contributions déterminées au niveau national » [sic].

Quitte ou double

Reste à voir si la prochaine version sera plus ambitieuse, alors que la date limite de la COP28 était initialement fixée ce matin à 7 heures GMT. De source parlementaire française, les consultations devaient durer jusqu'à 21 heures GMT ce soir (18 heures de Paris), mais le texte pourrait arriver « bien après », selon l'Iddri. Et la plénière n'est pas attendue avant 11 heures demain.

« Soit la présidence parvient à proposer un accord plus ambitieux, soit il risque de ne pas y avoir d'accord », fait valoir le politologue belge François Gemenne, contributeur du Giec. « Nous pouvons accepter des rédactions rappelant qu'on ne part pas tous du même point, que les pays qui en ont les moyens doivent être les premiers à fournir des efforts de sortie des énergies fossiles. [...] Mais nous utiliserons tous les leviers pour atteindre un langage le plus ambitieux possible », a affirmé dans la journée la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

« Les Parties doivent s'unir pour maintenir la limitation des températures à +1,5°C à portée de main. Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour y parvenir », a quant à elle assuré la présidence.

Arnaud Gossement, lui, se montre peu optimiste : « Si l'on regarde l'historique des COP, il n'y a jamais eu de changement substantiel pour rendre le texte mieux-disant au tout dernier moment », regrette l'avocat. Il n'empêche : les représentants de l'Union européenne rencontreront cette nuit, à 1 heure GMT, la présidence de la COP, dans l'espoir d'arracher un compromis.

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Marine Godelier
Commentaires 5
à écrit le 13/12/2023 à 9:17
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Je vous dis pas la fiesta pour la dernière nuit ! "Allo chérie, je vais rentrer tard demain hein ! Après avoir fini de sauver le monde" LOL !

à écrit le 12/12/2023 à 19:39
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La production n'est que la conséquence d'une consommation, d'une innovation, d'intermédiaire et de sa publicité commerciale... et l'on voudrait nous faire croire qu'il n'y a qu'un seul responsable ! ,-)

à écrit le 12/12/2023 à 19:28
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On ne peut attendre aucune décision de ce type de réunions, mais elles participent à la prise de conscience de tous les pays, et c’est déjà pas si mal.. Nous allons de toutes les façons vers la raréfaction de nombre de matières premières, dont bien s...

à écrit le 12/12/2023 à 19:01
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Heureusement qu'on n'arrêtera pas les énergies fossiles, je n'ait aucune envie de me séparer de ma voiture à essence achetée si cher en 2019. Et je ne suis pas le seul à penser ça

le 13/12/2023 à 7:17
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Surtout qu'il a été découvert des reserves immenses de pétrole au Guyana.

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