Inde : face à Narendra Modi, l'opposition veut sauver la démocratie

L'opposition unie fait de la défense de la démocratie sa cause centrale pour mettre fin au règne sans partage de Narendra Modi en quête d'un troisième mandat.
Sanjay Singh, membre du parti APP, figure de l'opposition, libéré sous caution, appelle à lutter contre « la dictature du BJP » lors d'un meeting le 25 avril à New Delhi.
Sanjay Singh, membre du parti APP, figure de l'opposition, libéré sous caution, appelle à lutter contre « la dictature du BJP » lors d'un meeting le 25 avril à New Delhi. (Crédits : Reuters)

En ce soir d'avril, l'espoir renaît au QG de l'Aam Aadmi Party (AAP), « parti de l'homme ordinaire » en hindi. « Sanjay Singh, un des fondateurs de l'AAP, qui croupit en prison depuis six mois, explique Rajni Oberoi, 40 ans, présidente de la branche féminine de ce parti d'opposition, vient d'être innocenté par la Cour suprême, une des dernières institutions indépendantes du pays. »

L'AAP est né en 2012 d'un grand mouvement de révolte contre la corruption. Prônant une gouvernance éthique et des services publics pour tous, il s'empare en 2015 de la région capitale de Delhi et fait souffler un espoir de renouveau sur la démocratie. Sauf qu'en mars son fondateur iconique, Arvind Kejriwal, a été arrêté avec d'autres pour... corruption.

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Parmi la centaine de militants fébriles rassemblés ce soir-là, on dénonce un procès politique de l'Enforcement Directorate. « Cette agence fiscale est aux ordres de Modi, mais les Indiens savent que l'AAP est un parti intègre », juge Charan, militant de 50 ans, alors que sur scène, sous les applaudissements, Sanjay Singh, libéré sous caution, appelle à lutter contre « la dictature du BJP ».

Match truqué

Depuis l'élection de Narendra Modi en 2014, l'Inde dégringole dans tous les classements mondiaux sur la démocratie et la liberté de la presse. Le gouvernement a beau affirmer que les institutions sont indépendantes, une part grandissante de la population en doute. 95 % des enquêtes de ­l'Enforcement Directorate ciblent ainsi des membres de l'opposition. Les ONG critiques sont aussi mises au pas alors que celles qui soutiennent le BJP ne sont pas inquiétées.

En décembre, 143 députés de l'opposition ont été exclus du Parlement pour « indiscipline ». Hemant Soren, ministre en chef de l'État du Jharkhand, a lui aussi été arrêté pour corruption en janvier. Le Congrès national indien, principal parti d'opposition, a vu ses comptes bancaires saisis en pleine campagne. Une liste non exhaustive dont le calendrier interroge, à l'approche des élections.

« Mes amis, vous savez comme on peut truquer un match de cricket, alerte Rahul Gandhi, figure du parti du Congrès, face à la foule. Lors de ces élections, ­Narendra Modi s'est proclamé arbitre. Dans notre équipe, plusieurs joueurs phares ont été éliminés, comme Arvind Kejriwal. Mais nous allons nous battre ensemble pour sauver l'Inde et sa démocratie ! »

La question du partage des sièges

Le 31 mars, des milliers de personnes étaient rassemblées à New Delhi à l'appel de l'Indian National Developmental Inclusive Alliance (India). Cette coalition rassemble le Congrès et une dizaine de partis d'opposition. Ils accusent ­Narendra Modi de liquider la démocratie. « Voilà bien longtemps que je ne m'occupais plus de politique, mais nous n'avons plus d'autre choix face à cet autocrate, explique Ayushi, 41 ans. Je suis issue de l'AAP mais je milite désormais pour l'alliance India. »

Lors de cette démonstration d'unité, la question du partage des sièges est passée sous silence. Face au BJP, la coalition doit présenter un candidat unique dans chacune des circonscriptions. Mais par endroits, aucun ne se désiste, et les « alliés » vont donc se disputer leurs électeurs : du pain bénit pour le BJP. Pourtant, Pawan Khera, porte-parole national du parti du Congrès, reste combatif : « Ça prend du temps pour enterrer la hache de guerre, mais l'union va se faire car les partis et les Indiens savent que l'heure du changement est venue. Si l'on perd, dans cinq ans vous serez renvoyés dans votre pays et moi je serai en prison. » Une référence aux nombreux journalistes étrangers expulsés par le gouvernement ces derniers mois.

Modi intouchable ?

Cet ultimatum démocratique peut-il cimenter les ennemis d'hier comme l'AAP et le Congrès et menacer Narendra Modi ? « Les Indiens entendent parler de ça à chaque élection, tempère Tavleen Singh, analyste politique. Les partis d'opposition ne sont pas non plus des parangons de vertu. Modi incarne une forme de stabilité, les électeurs ferment donc les yeux sur ses tendances autoritaires. »

Car ce sont le chômage et l'inflation qui préoccupent d'abord les électeurs, selon le Centre d'étude des sociétés en développement, loin devant les questions religieuses identitaires associées au BJP... mais aussi la démocratie. L'opposition en a conscience et le parti du Congrès propose ainsi un recensement des basses castes et des politiques redistributives pour les plus défavorisés.

Malgré une industrie stagnante, un chômage élevé, l'accroissement des inégalités, Modi recueille 75 % d'opinions positives, selon Ipsos en février. « En dix ans, la part d'Indiens avec un compte en banque est passée de 20 à 80 %, pointe Nalin Mehta, spécialiste du BJP. L'efficacité des aides sociales a été décuplée et les plus pauvres le mettent à son actif. »

Rejetant en bloc les alertes de l'opposition ou des instituts mondiaux, le gouvernement veut lancer son propre indice démocratique. Première population mondiale, l'Inde est devenue la cinquième puissance économique et certains cherchent à ternir sa réussite, explique sa diplomatie. Inde triomphante ou au bord du gouffre ? Entre ces deux diagnostics opposés sur leur pays, les Indiens rendront leur verdict le 4 juin. 

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