C'est l'une des star de l'écosystème crypto. Changpeng Zhao alias « CZ », le PDG de la plus grosse plateforme d'échanges de cryptomonnaies Binance est suivi et écouté par tous les acteurs de la blockchain (un réseau informatique qui valide et enregistre des transactions de cryptomonnaies). Le tout puissant patron a une telle aura qu'il lui aura suffi d'un tweet, le 6 novembre, pour provoquer une panique vendeuse sur le FTT (la crypto émise par FTX) qui a fait s'écrouler FTX, la deuxième plus grosse plateforme de cryptomonnaies créée par Sam Bankman-Fried.
L'aura de CZ cristallise les passions. Aujourd'hui, il est considéré par de nombreux internautes comme le sauveur de l'écosystème crypto, depuis que - encore une fois dans un tweet -, il a proposé de créer un fonds de sauvetage pour sauver les entreprises touchées par la chute de FTX. Mais d'autres, on une image bien plus négative de ce dernier. Nouriel Roubini, célèbre et controversé économiste, a par exemple accusé Changpeng Zhao de « bombe à retardement ambulante », en déclarant que ce dernier « va devenir pire que Samuel Bankman-Fried », lors d'un sommet sur la finance à Abu Dhabi, le 16 novembre 2022.
Si Changpeng Zhao divise, il ne laisse en tout cas personne indifférent.
L'ascension d'un géant
Changpeng Zhao, 45 ans, est cosmopolite. En 2020, il confiait au journal spécialisé Cointelegraph qu'il aimait « pouvoir vivre dans une ville différente chaque mois si (il) le souhaite ». L'histoire de ce fils de géophysicien et programmeur se déroule entre la le Canada et la Chine, que sa famille a quitté en 1989, en plein pendant les protestations populaires contre le régime communiste, pour s'exiler en Amérique du Nord. Après des études d'informatique à l'Université McGill de Montréal, CZ devient programmeur de logiciels de trading. En 2005, il retourne dans son pays natal et plus précisément à Shanghai pour lancer Fusion System, une entreprise de logiciels de trading haute fréquence. Puis le programmeur/trader se prend de passion pour le Bitcoin en 2013 pour enfin lancer sa plateforme d'échange en 2017 : Binance.
Des connaissances dans le monde de la finance traditionnelle et un timing idéal - juste avant l'explosion du cours du Bitcoin qui, cette année-là, est passé de 1.000 euros à 16.000 en onze mois - lui permettent de devenir un leader en 6 mois. Champion du secteur, il est alors talonné par FTX avant sa faillite.
Succès et controverses
Après une ascension sans faute de près de cinq ans de Binance, Changpeng Zhao est aujourd'hui considéré comme le plus gros des crypto-milliardaires avec une fortune personnelle estimée par le magazine Forbes à 17,4 milliards de dollars en 2022. La plateforme au logo jaune a revendiqué le 10 novembre détenir l'équivalent de 71 milliards de dollars en cryptomonnaies et a vu passé l'équivalent 14 milliards de dollars de transactions sur sa plateforme sur 24 heures le 21 novembre contre « seulement » 1,5 milliard sur la plateforme Coinbase et 500 millions sur Kraken, d'après Coinmarketcap.
« Binance est clairement en situation de monopole et c'est problématique car un monopole n'est jamais en faveur des consommateurs, et pourrait créer une crise systémique si cet acteur chutait », commente Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partners et directeur blockchain et cryptos chez KPMG. La plateforme quand à elle affirme à La Tribune qu'elle ne se considère pas en monopole et qu'elle « continue d'encourager la saine concurrence du secteur ».
Un quasi-monopole qui inquiète certains acteurs du monde de la crypto d'autant plus que l'on ne sait pas où est basé le siège social mondial de Binance. Le géant des cryptos a suivi le mode de vie de son créateur ; il est resté attaché à ne pas s'installer définitivement dans un pays. Si l'entreprise a tenté de s'installer à Hong-Kong puis au Japon, à Malte, aucun pays n'a accepté que la firme de CZ pose ses bagages, hormis la France. Mais si Montrouge, près de Paris, est devenu le siège social de Binance en France, Changpeng Zhao reste flou sur sa conception de la domiciliation de son entreprise. S'il a assuré que Montrouge est son siège européen dans une interview accordée au Parisien en avril, il a aussi laissé planer l'idée que la France devienne son siège mondial dans d'autres entrevues. « Nous avons déclaré publiquement que nous sommes au milieu d'une restructuration d'entreprise, dont le but est de fournir aux régulateurs plus de clarté sur notre organisation », nuance cependant Binance à La Tribune.
Un manque de transparence qui pose question : quel pays jugerait Binance s'il suivait le chemin de FTX ? « Contrairement à FTX, Binance est une société qui a pignon sur rue en France depuis qu'elle y a installé un siège en mai 2022. Les Français qui utilisent ses services contractent donc avec l'entité Binance France. Si demain, des clients voulaient se retourner contre l'entreprise, ils pourraient saisir les juridictions françaises », assure Arnaud Touati, avocat associé chez Hashtag avocat. Ce dernier rappelle tout de même que « nous aurions une réelle incertitude quant à la localisation des actifs, étant entendu toutes choses égales par ailleurs qu'ils sont conservés sur des adresses inscrites sur une blockchain. »
Autant de problématiques qui inquiètent les régulateurs qui s'intéressent de plus en plus au géant des cryptos et à son PDG.
Binance dans le collimateur des régulateurs américains
Si Binance a convaincu la France de sa bonne foi en ayant l'aval de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour s'installer dans l'Hexagone et obtenir l'enregistrement du statut de Prestataire de services en actifs numériques (Psan), d'autres pays voient la plateforme de CZ d'un mauvais œil.
En avril 2021, le régulateur allemand accusait Binance « d'enfreindre probablement les règles sur les valeurs mobilières » quand le régulateur japonais a répété à plusieurs reprises son hostilité à l'égard de la plateforme de cryptomonnaies. Suite à la faillite de FTX, un comité parlementaire britannique enquête sur le rôle joué par Binance dans la faillite de son concurrent direct, rappelons-le, suite à un simple tweet qui a provoqué la panique.
Mais si Binance doit craindre le régulateur, c'est bien aux Etats-Unis. La Commodity futures trading commission (CFTC) a ainsi ouvert une enquête en septembre 2021 pour savoir si des employés de Binance avaient commis des délits d'initiés et manipulé les marchés grâce à des informations privilégiées. Ce gendarme financier n'est pas le seul à enquêter sur le géant des cryptos. La Securities and exchange commission (Sec) a aussi lancé une enquête en février 2022 sur Changeng Zhao qu'elle accuse d'avoir communiqué des informations confidentielles avec Merit Peak Ltd et Sigma Chain, deux teneurs de marchés (market makers), ainsi qu'une enquête en juin, sur le BNB, la cryptomonnaie émise par Binance, que la Sec soupçonne d'être un titre financier caché. Autrement dit, le BNB est accusé de rassembler les mêmes caractéristiques qu'une action sans être soumis aux règles sur les titres financiers.
Face aux regards insistants des régulateurs qui se tournent peu à peu vers le géant des crypto, Changpeng Zhao tente de montrer patte blanche en dévoilant des preuves de réserves et en appelant le 14 novembre les Etats à mieux réguler les plateformes, lors d'une conférence en marge de G20 à Bali. Une demande surprenante, pour ce chef d'entreprise qui s'est souvent prononcé contre les régulations mais qui doit maintenant séduire les régulateurs pour que ces derniers ne se montrent pas trop sévères suite à l'affaire FTX.
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