Royaume-Uni : une livre sterling numérique verra-t-elle le jour en 2024 ?

Rishi Sunak nourrit de longue date l’idée d’instaurer une monnaie numérique de banque centrale. Si le projet se concrétise petit à petit, la défaite annoncée du Parti conservateur aux prochaines élections laisse planer le doute. Or, l'idée progresse désormais dans de nombreuses régions, avec l’UE en tête de file.
Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, nourrit de longue date l’idée d’instaurer une monnaie numérique de banque centrale au Royaume-Uni.
Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, nourrit de longue date l’idée d’instaurer une monnaie numérique de banque centrale au Royaume-Uni. (Crédits : POOL)

Les projets de monnaies numériques de banque centrale (ou CBDC, pour Central Bank Digital Currency) fleurissent partout dans le monde. En la matière, le Royaume-Uni ne fait pas exception. L'actuel Premier ministre, Rishi Sunak, souhaite de longue date doter son pays d'une telle monnaie. Les observateurs d'outre-Manche ont même surnommé le projet « Britcoin », en référence au bitcoin, la plus célèbre des cryptomonnaies.

Mais contrairement à celle-ci, entièrement décentralisée, la livre numérique tant désirée par le locataire du 10 Downing Street serait sous le contrôle de la Banque d'Angleterre. Pour rappel, cette dernière a été chargée de plancher sur le sujet, et ce, alors qu'il était encore le ministre des Finances de Boris Johnson en 2021. Une livre sterling numérique jouerait ainsi exactement le même rôle que la livre sterling actuelle, sauf qu'elle serait purement virtuelle, vouée à être échangée uniquement via des ordinateurs sans jamais prendre la forme de billets de banque.

Des élus approuvent l'idée... avec quelques réserves

En décembre, un groupe parlementaire britannique, le Treasury Committee, a publié une note sur le sujet, à laquelle le gouvernement est désormais invité à répondre d'ici fin janvier.

Les parlementaires y invitent la Banque d'Angleterre à poursuivre ses travaux de recherche et d'expérimentation pour la mise en place d'une livre numérique. Pour appuyer leurs dires, ils soulignent plusieurs bénéfices que cette version virtuelle de la monnaie britannique serait susceptible d'apporter.

Ainsi, elle permettrait de stimuler l'innovation autour des fintechs et moyens de paiement, domaine dans lequel le Royaume-Uni, et en particulier sa capitale, possède une excellence qui vaut le coup d'être défendue. La livre numérique permettrait, en outre, aux Britanniques d'expérimenter l'usage d'une monnaie numérique sans les risques d'arnaques et de volatilité qui concernent les cryptomonnaies. Elle assurerait également l'unicité de la monnaie britannique, là où le fait d'abandonner le déploiement des monnaies numériques au privé pourrait entraîner l'apparition de plusieurs monnaies concurrentes, et pas forcément convertibles entre elles. Enfin, le rapport cite la possibilité de diminuer les frais de paiement, notamment pour les petits commerçants.

Le rapport exhorte toutefois les autorités britanniques à se montrer prudentes. Un scénario est notamment pointé du doigt : le risque d'une conversion massive des dépôts bancaires en livres numériques par les Britanniques. Le danger ? Qu'un tel mouvement contraigne les banques à rehausser drastiquement leurs taux d'intérêt. Le danger de voir les personnes les moins familiarisées avec les nouvelles technologies laissées sur le carreau est lui aussi mis en avant.

« Nous devons nous assurer que la livre numérique n'aggrave pas l'exclusion financière de ceux qui dépendent de l'argent liquide. La numérisation de la monnaie ne peut en aucun cas laisser ces personnes derrière elle », note Harriett Baldwin, élue du Parti conservateur qui dirige le comité.

Pour ce faire, le rapport suggère notamment que le système supporte les paiements hors-ligne pour les internautes qui n'ont pas accès au web ou disposent d'une connexion limitée.

La Banque d'Angleterre, pionnière sur les CBDC

L'institution monétaire britannique a été l'une des premières banques centrales à s'intéresser de près aux monnaies numériques. Avant même que Rishi Sunak ne lui confie la tâche de préparer un projet de livre sterling numérique, elle avait déjà mené plusieurs expérimentations autour de l'usage de la Blockchain, et publié un premier document consacré aux CBDC en 2020. L'année 2024 sera désormais consacrée à des expérimentations techniques autour de l'usage d'une telle monnaie, dont le lancement ne peut toutefois venir que de l'exécutif britannique. La Banque d'Angleterre a tempéré les ardeurs, indiquant que si déploiement il y a, il ne se fera pas avant la seconde moitié de la décennie.

En parallèle, le Royaume-Uni peut aussi s'appuyer sur plusieurs groupes d'influence qui militent pour l'instauration d'une CBDC et réalisent depuis plusieurs années un important travail théorique allant dans ce sens. La Digital Pound Foundation, organisme qui tient à la fois du lobby et du laboratoire d'idées, compte parmi les plus influents. Pour Jannah Patchay, directrice exécutive de cette organisation, la mise en place d'une CBDC offrirait surtout l'occasion de remettre le système monétaire à plat, et ainsi d'éliminer un certain nombre de frictions et d'inefficacités qui se sont accumulées au fil du temps.

Verser facilement de l'argent aux réfugiés

« Si l'essentiel de la monnaie que nous utilisons aujourd'hui est déjà perçue comme numérique, demeure toujours présente l'idée qu'il est possible de la convertir en liquide. Le numérique est ici une dernière couche technologique qui vient s'ajouter à un système ayant improvisé au fil du temps et des évolutions techniques. L'idée de la CBDC est au contraire de partir de la technologie dont on dispose aujourd'hui et de construire le système le plus efficace possible », résume-t-elle.

Avec à la clef, par exemple, la possibilité d'effectuer des paiements plus rapides avec des frais moins importants. Mais aussi de virer de l'argent aux réfugiés sur un portefeuille numérique, qu'ils pourraient ensuite utiliser où bon leur semble, sans nécessité d'ouvrir un compte bancaire. L'ONU a récemment mené un projet allant dans ce sens.

Beaucoup de bruit pour rien ?

Au total, plus de 130 pays à travers le monde étudient le potentiel des CBDC, selon l'Atlantic Council, un laboratoire d'idées. Pour l'heure, onze pays, dont le Nigeria et la Jamaïque, en ont lancé une. En parallèle, 21 autres, dont la Chine, l'Australie et l'Afrique du Sud, ont démarré des projets pilotes. Aux États-Unis, Joe Biden a signé un décret chargeant une agence fédérale d'étudier les avantages et inconvénients d'un dollar numérique. Quant à la Fed, elle multiplie les tests et programmes pilotes allant dans ce sens.

Si le projet pourrait voir le jour lors d'un éventuel second mandat de Joe Biden, la victoire d'un candidat républicain pourrait à l'inverse signer son arrêt de mort. En effet, plusieurs figures du parti, dont le sénateur du Texas Ted Cruz et le gouverneur de la Floride Ron DeSantis, ont critiqué l'idée d'un dollar numérique. Ils ont ainsi affirmé que ce dernier pourrait être utilisé pour surveiller les Américains et décourager certains achats, comme l'acquisition d'armes. Quant au favori de la primaire républicaine, l'ex-président Donald Trump, il a, à plusieurs reprises, exprimé son scepticisme face aux cryptomonnaies.

Dans l'UE, les choses avancent plus rapidement. La Banque centrale européenne (BCE) vient d'annoncer la mise en place d'un plan d'investissement de 1,3 milliard d'euros pour le développement de son euro numérique. Mais le projet suscite, là encore, des oppositions, cette fois-ci du secteur bancaire, qui craint une fuite des dépôts clients au profit de l'euro numérique, et souhaite pour cela que la BCE en limite la détention à 500 euros par personne. La BCE, elle, souhaite fixer cette limite à 3.000 euros dans un premier temps.

Au Royaume-Uni, un plafond bien plus généreux, de 10.000 à 20.000 livres, a été évoqué, mais le Treasury Committee suggère d'opter pour un montant plus bas, sans se prononcer sur le niveau exact. Outre-Manche comme outre-Atlantique, 2024 sera une année d'élection. Si le Labour n'a pas de position officielle sur la livre numérique, il n'est pas dit que le futur locataire du 10 Downing Street y soit aussi favorable que Rishi Sunak.

Si les CBDC suscitent aujourd'hui beaucoup de fantasmes et de débat, il est fort probable que leur adoption s'avère bien moins sensationnelle qu'on le pense, et passe même totalement inaperçue, selon Jannah Patchay.

« Toute l'action se déroulera en coulisse : les banques auront simplement recours à une monnaie numérique pour échanger de la valeur entre elles, et les utilisateurs ne se rendront compte de rien, sinon que les opérations seront un peu plus rapides et les frais un peu plus bas. »

Commentaires 11
à écrit le 11/01/2024 à 7:21
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Le Sterling s'effondre et n'est plus monnaie de reserve depuis longtemps. Resultat, la devise decroche sur les marches de change. Les investisseurs ne se feront pas avoir avec ce tour de passe-passe. Livre numerique ou pas, idem pour l'euro et le dol...

à écrit le 10/01/2024 à 17:31
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Sauf qu'il faudrait peut-être se souvenir de la loi économique de Gresham en parlant d'un medium ("actif") d'échange basé sur la technologie blockchain (MNBC - "monnaie numérique de banque centrale"). Selon cette loi économique (Gresham) qui porte le...

à écrit le 10/01/2024 à 14:16
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Pour n'y aurait t'il pas un article sur l'euro numérique qui va être utilisé dans les échanges économiques en Europe?

à écrit le 10/01/2024 à 11:50
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Une bonne idée, monnaie qui sera toujours plus appréciée que l'euro qui repose sur une montagne de corruption public-privé mais toujours moins forte que le dollars numérique également. Tout ces états avec ces monnaies numériques se préparent ils à la...

le 10/01/2024 à 13:32
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@Dossier 51 - Les défauts du dollar ou de l'euro gommés par des monnaies numériques ? J'en doute...

le 10/01/2024 à 18:21
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Les dettes sont devenues insoutenables, aucun pays ne pourra les rembourser, il va bien falloir qu'ils trouvent des idées s'ils veulent continuer comme ça sachant qu'ils ne savent que continuer comme ça.

le 10/01/2024 à 18:33
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Quid des hackeurs ou détournements numériques ? En clair on fait peser le risque sur le citoyen/ salarié/ contribuable et plus sur les banques .. que se passera t il si les livres sterling ou les € ont disparus par enchantement ? On devra donc paye...

le 10/01/2024 à 18:33
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Quid des hackeurs ou détournements numériques ? En clair on fait peser le risque sur le citoyen/ salarié/ contribuable et plus sur les banques .. que se passera t il si les livres sterling ou les € ont disparus par enchantement ? On devra donc paye...

le 10/01/2024 à 18:34
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Quid des hackeurs ou détournements numériques ? En clair on fait peser le risque sur le citoyen/ salarié/ contribuable et plus sur les banques .. que se passera t il si les livres sterling ou les € ont disparus par enchantement ? On devra donc paye...

le 10/01/2024 à 18:34
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Quid des hackeurs ou détournements numériques ? En clair on fait peser le risque sur le citoyen/ salarié/ contribuable et plus sur les banques .. que se passera t il si les livres sterling ou les € ont disparus par enchantement ? On devra donc paye...

le 10/01/2024 à 18:55
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"Quid des hackeurs ou détournements numériques ?" Bah ça pèsera beaucoup moins que les paradis fiscaux et les dettes dues aux gens qui utilisent ces paradis fiscaux sur les monnaies traditionnelles. Ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient as...

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