La BCE lance une nouvelle étape vers la création d’un euro numérique

Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) ont décidé de poursuivre leurs travaux sur l'euro numérique, sans toutefois se prononcer encore sur son lancement effectif, qui n'est pas prévu avant 2027-2028, dans ses premières expérimentations. L'euro numérique vise à palier la disparition progressive du cash. Mais son lancement soulève de nombreuses questions de confidentialité, de protection des données et de stabilité du système bancaire.
La BCE veut créer un billet numérique aux caractéristiques proches du billet de banque.
La BCE veut créer un billet numérique aux caractéristiques proches du billet de banque. (Crédits : DADO RUVIC)

Le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) vient de donner, ce mercredi 18 octobre, son feu vert au lancement d'une nouvelle étape importante du projet d'euro numérique. Après une phase d'investigation de deux ans, la BCE se lance dans une phase de préparation, qui doit s'étaler de novembre 2023 à 2030, précise-t-elle dans un communiqué de presse ce mercredi 18 octobre. Une première partie, sur deux ans, sera consacrée à la poursuite des travaux déjà engagés, et se fera en parallèle des débats législatifs du texte européen sur l'euro numérique, présenté par la Commission européenne en juin dernier. Ce n'est qu'une fois ce texte adopté en trilogue que la BCE pourra décider d'émettre, ou non, une nouvelle monnaie numérique. Six questions autour d'un projet au long cours.

Pourquoi ce projet d'euro numérique ?

C'est un peu l'histoire de celui qui se lance dans un projet, sans vraiment savoir pourquoi mais avec l'intime conviction qu'il faut y aller quand même. « Ce n'est pas un projet intuitif », reconnaît un haut responsable de la Banque de France. Les consommateurs sont gavés de moyens de paiement, alors pourquoi en créer un autre ?

Depuis deux ans, la Banque centrale européenne (BCE), très volontariste sur la création d'un euro numérique, peaufine ses arguments pour dissiper les doutes de l'intérêt de créer un euro numérique. Dans un monde qui se numérise à grande vitesse, où les transactions en cash fondent comme neige au soleil (60% des transactions en magasin en 2022 contre 80% en 2016), il s'agit donc de créer un « billet de banque numérique » pour pallier la disparition progressive du cash. C'est l'argument numéro un. Qui convainc pour l'instant assez peu. C'est surtout un enjeu de souveraineté face aux appétits croissants d'acteurs extra-européens, comme les grands réseaux internationaux (Visa, Mastercard...) mais surtout face aux Big Techs dont on prête l'envie de créer leur propre monnaie. La tentative de Facebook de lancer sa monnaie a créé un vrai choc dans le monde des banquiers centraux, et l'annonce faite cet été par PayPal de lancer son stablecoin, conforte bien des certitudes sur le danger à venir. C'est l'argument numéro deux qui ne convainc guère plus pour l'instant. « Pourquoi la banque centrale serait la seule institution à rester dans l'ère papier et ne pas passer à l'ère numérique», se lamente un banquier central.

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Quelle est la différence entre la monnaie banque centrale et la monnaie commerciale ?

Pour comprendre les enjeux de l'euro numérique, il est nécessaire de revoir ses manuels d'économie. Le système de la monnaie moderne repose sur un dispositif à deux étages. Au premier étage, les banques centrales émettent et garantissent de la monnaie : c'est la monnaie banque centrale. Elles distribuent cette monnaie de deux façons différentes : soit directement auprès des agents économiques, c'est la monnaie fiduciaire, autrement dit, les billets de banque, le cash ; soit au travers des banques commerciales qui ont la capacité d'émettre de la monnaie, la monnaie commerciale, en fonction des dépôts qu'elles confient à la banque centrale.

C'est ce partenariat public-privé qui fonctionne depuis au moins 200 ans. Et qui fonctionne car les banques commerciales sont sous la surveillance des banques centrales. Cela n'a pas toujours été le cas. Avant, les banques commerciales pouvaient émettre leur propre monnaie dont la valeur était cependant réduite à zéro en cas de faillite. C'est précisément pour éviter un effondrement des monnaies commerciales privées que les banques centrales furent créées. L'euro numérique va donc s'insérer dans ce paysage à deux étages, avec d'un côté, et aux côtés de la monnaie fiduciaire, l'euro numérique, et, de l'autre, aux côtés des dépôts bancaires traditionnels, une monnaie banque centrale de gros, réservée pour les échanges interbancaires.

Quelles seront les caractéristiques de cet euro numérique ?

L'euro numérique devra adopter les mêmes caractéristiques (ou du moins s'y rapprocher le plus possible) que le cash. Il aura donc cours légal qui lui permet d'assurer son universalité comme moyen de paiement. En clair, il ne sera pas possible de refuser l'euro numérique comme moyen de paiement (à hauteur des seuils réglementaires, c'est-à-dire 1.000 euros maximum en France pour les paiements en cash). Il doit offrir une totale confidentialité, toujours dans les limites réglementaires, et notamment, ce qui constitue à la fois une première mondiale et une prouesse technique (pas encore totalement validée), la possibilité d'effectuer un paiement off line, sans être connecté à un réseau bancaire ou autre. Cette possibilité sera réservée à des transactions de petits montants, dont le plafond n'est pas encore fixé.

Ensuite, l'euro numérique devra être gratuit pour les particuliers, comme les espèces actuellement (à la réserve près des commissions prélevées sur les retraits au guichet automatique). La BCE se déclare d'ailleurs attentive au volet sur l'inclusion financière pour éviter qu'un moyen de paiement soit un facteur d'exclusion. Enfin, l'euro numérique se veut « digital inside », c'est-à-dire qu'il puisse s'intégrer dans l'écosystème actuel des paiements, comme la carte de paiement, ou demain, le portefeuille numérique européen wero proposé par EPI.

L'euro numérique, c'est pour quand ?

Après deux années de travaux (oct. 2021-oct.2023) pour analyser la mise en œuvre technique de l'euro numérique mais aussi des sujets plus sensibles comme la confidentialité des données, et quatre rapports d'étape, cette nouvelle phase des travaux s'inscrit dans la continuité, avec la nécessité de creuser encore des aspects techniques de confidentialité et de stabilité financière. La première partie de cette nouvelle phase, d'une durée de deux ans, sera concomitante avec les discussions législatives du texte européen adopté par la Commission européenne en juin dernier qui donne une existence juridique à l'euro numérique. Compte tenu des élections européennes, et du parcours législatif européen toujours très long, ce texte ne devrait pas être adopté avant deux ans. D'ici fin 2025/début 2026, la Banque centrale européenne pourra décider d'émettre, ou non, un euro numérique. Les premiers pilotes pourraient voir le jour courant 2027, sur des cas d'usage comme le P2P (transfert de personne à personne). Les cas d'usage devraient être généralisés d'ici 2030. Cette nouvelle phase qui s'ouvre sera surtout celle où les banquiers centraux devront convaincre du projet, voire rassurer, les politiques, les commerçants et l'opinion publique.

 Les politiques s'intéressent-ils à l'euro numérique ?

La création de l'euro numérique est un acte fort qui intéresse pour l'heure qu'un petit cénacle de banquiers centraux et de hauts fonctionnaires. Les Pays-Bas font figure d'exception alors qu'un débat parlementaire très en amont du projet a déjà abordé les questions de confidentialité et de protection des données.

En France, le débat n'est pas encore lancé au Parlement, ce qui est normal alors que le texte européen n'a été publié qu'en juin dernier. Certains groupes parlementaires européens sont plus investis, comme Renew Europe, et semblent plus en pointe. Ce qui est certain c'est bien la question de la confidentialité qui sera au centre de tous les débats. Il s'agira notamment de démontrer que l'euro numérique n'est pas un support de contrôle de la sphère privée par la sphère publique. La publicité donnée par la Chine sur l'e-yuan, notamment son expérimentation auprès de 120 millions de Chinois, n'est pas de nature à rassurer les opinions occidentales. « D'une manière générale, les pouvoirs publics ne sont pas des chauds partisans de l'euro numérique mais personne en Europe ne prendrait le risque d'afficher un désaccord avec la BCE de peur de faire le jeu de l'extrême droite », estime un fin connaisseur du monde des paiements.

Pourquoi les banques sont hostiles au projet ?

Les banques françaises n'ont jamais caché leur hostilité à ce projet d'euro numérique. Elles assurent déjà couvrir largement tous les besoins des consommateurs en moyens de paiement et surtout elles redoutent un détournement d'une partie de leurs dépôts vers la banque centrale. Sur le premier point, la BCE répète qu'elle n'a pas l'intention d'ouvrir des comptes pour les particuliers ou les entreprises, que la relation clientèle n'est pas de son ressort, que son projet est complémentaire aux autres moyens de paiement, et enfin que le billet numérique ne fera que remplacer le billet physique.

Sur le second point, la BCE indique qu'il y aura une limite de détention pour l'euro numérique, limite qui n'est pas encore fixée. Certains à la BCE ont évoqué 3.000 euros, d'autres, comme le directeur général délégué de BNP Paribas, Thierry Laborde, préconise 500 euros maximum. « L'euro numérique n'est pas là pour être disruptif mais simplement complémentaire du cash », plaide un proche de la Banque de France.

Reste que la position des banques françaises n'est pas partagée par toutes les banques européennes. Pour faire simple, les banques qui ont des infrastructures de paiement moins développées qu'en France, et qui sont plus dépendantes des schemes internationaux - en gros les pays de l'Est de l'Europe, l'Italie - semblent plus intéressées par le projet. Enfin, les banques françaises ont peu apprécié de voir la BCE défendre son projet euro numérique à l'heure où elles tentent difficilement de promouvoir le projet paneuropéen de paiement EPI. « Ce projet met du plomb dans l'aile d'EPI, ce qui peut ravir Visa ou Mastercard », estime un consultant. Du côté de la Banque de France, on souhaite embarquer EPI dans le projet euro numérique, deux « projets complémentaires ». « Les banques ne doivent pas se tromper d'adversaires », prévient un banquier central.

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Commentaires 10
à écrit le 19/10/2023 à 19:53
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Bonne initiative. Le fait que l'ensemble des baqnues française semble y être opposé ne fait que renforcer la confiance dans ce projet qui a l'air bien ficelé, même s'il est difficile à croire que les autorités ne demandent pas la mise en place de "ba...

à écrit le 19/10/2023 à 11:32
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Pour qu'il ne soit pas une menace pour les banques commerciales il faut une limite de détention très bas (1000 ou 3000 euros) mais pour éviter que ce limite soit dépassé il faudra contrôler que chacun n'ait pas d'accès à plus d'un wallet (pourquoi p...

le 19/10/2023 à 14:50
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Pourquoi inscrire vos pas dans ceux de la bce ? Euro numérique signifie tyrannie physique. L'euro numérique est l'arme ultime du tyran.

à écrit le 19/10/2023 à 11:05
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Je n'en veux pas ! L'état et les banques vont nous contrôler chaque fois qu'on achète 1 baguette. = liberticide

le 19/10/2023 à 19:51
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Pas si c'est anonyme.

le 19/10/2023 à 20:11
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@ dri: tout le monde sait que dans la société actuelle, dominée par tout un fatras électronico-bureaucratique, plus rien n'est anonyme

à écrit le 19/10/2023 à 8:16
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Il n'y a que les comptables qui se satisfassent de l'UERSS empire technocrate prévu pour durer mille ans.

à écrit le 19/10/2023 à 2:11
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Je suis curieux de voir comment ils vont présenter la question de la confidentialité !

à écrit le 18/10/2023 à 21:56
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L'euro numérique sera le début de la fin du monde et le début de l'esclavage mondial

à écrit le 18/10/2023 à 21:26
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il faut arreter les betises! ca sert a rien, et ca ne va pas remplacer le cash! Jens Weidmann disait que le cash est une question de liberte, et en allemagne, on connait bien les socialistes tolerants des annees 30! et les mesures sur la monnaie ' sa...

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