Russie, Cuba, Iran... : ces six opposantes politiques qui défient les régimes autoritaires

L'an passé, les conflits, les guerres et les crises économiques ont fait reculer les droits humains partout dans le monde. Dans ce contexte, des femmes bravent la répression des régimes belliqueux. De Martha Beatriz Roque à Cuba à Ioulia Navalnya, veuve de l'opposant Alexeï Navalny mort en Russie, elles incarnent la lutte pour la liberté dans leur pays.
Jeanne Dussueil
L'ex candidate Svetlana Tikhanovskaïa en Biélorussie, Ioulia Navalnya, veuve de l'opposant russe Alexeï Navalny et la militante Narges Mohammadi emprisonnée en Iran.
L'ex candidate Svetlana Tikhanovskaïa en Biélorussie, Ioulia Navalnya, veuve de l'opposant russe Alexeï Navalny et la militante Narges Mohammadi emprisonnée en Iran. (Crédits : Reuters)

2023 a été une « année terrifiante » pour les droits humains, selon l'ONG Human Rights Watch. L'an passé, un individu sur cinq a été touché par le recul des libertés et 38% de la population mondiale vit dans des pays considérés comme « non libres », a mesuré le Think tank américain Freedom House qui constate que « depuis dix-huit ans, la liberté recule partout ».

Dans le détail, cette étude annuelle de référence parue en mars pointe : « la guerre d'agression de Moscou (qui) a conduit à des atrocités dévastatrices en matière de droits de l'homme en Ukraine. De nouveaux coups d'État et d'autres tentatives ont déstabilisé le Burkina Faso, la Tunisie, le Pérou et le Brésil. La répression en cours ont continué à réduire les libertés fondamentales en Guinée et à restreindre celles de la Turquie, de la Birmanie et de l'Ukraine... »

Face à cela, des hommes et des femmes s'opposent aux gouvernements qui restreignent l'essor des libertés individuelles et collectives. La Tribune a sélectionné six femmes qui luttent pour les libertés, en plein regain de tensions ou de conflits dans des pays classés « non libres » (Russie, Biélorussie, Afghanistan, Chine...), selon la cartographie établie par Freedom House.

Martha Beatriz Roque : la dissidente cubaine

Distinguée en 2024 avec le Prix international de la « Femme de courage», Martha Beatriz Roque, 78 ans a été une opposante cubaine au régime communiste, en place depuis la révolution castriste de 1959. « Mme Roque est l'un des membres les plus anciens de l'opposition historique qui lutte pour de plus grandes libertés à Cuba », a relevé le département d'Etat américain à l'origine de ce prix. « En raison de son action en faveur des droits de l'homme, le gouvernement cubain la harcèle et la surveille quotidiennement depuis des décennies », ajoute-t-il.

Selon cette ancienne professeure de statistiques de l'Université de La Havane, cette distinction intervient alors que la dissidence sur l'île dirigée par le communiste Miguel Diaz-Canel est « très effacée ». « Elle a eu ses grands moments dans le pays, mais malheureusement la répression de la dictature à l'encontre des dissidents est si grande », déplore-t-elle.

Martha Beatriz Roque avait été la seule femme parmi les 75 dissidents arrêtés par le gouvernement de Fidel Castro lors du « printemps noir » de 2003. Accusés de conspirer contre Cuba avec l'aide de Washington, ils avaient été condamnés à des peines allant jusqu'à 27 ans de prison. Ecopant de 20 ans de réclusion, la dissidente avait finalement été libérée un an après pour raisons de santé. Les derniers dissidents ont, eux, été libérés en 2011 et la majorité s'était exilée pour fuir le régime communiste.

Aujourd'hui, Cuba traverse la pire crise économique depuis trente ans. Face à un déficit public abyssal, le gouvernement coupe certaines robinets de subventions entraînant des hausses de prix spectaculaires (+400% sur les carburants) portant l'inflation à plus de 30%. Avec une production au point mort, les Cubains qui subissent également les sanctions américaines peinent à trouver les denrées pour se nourrir.

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Ioulia Navalnaïa : la relève d'Alexeï Navalny

Ioulia Navalnaïa, l'épouse de l'opposant russe Alexeï Navalny, mort mi-février dans une prison de Sibérie, est attendue pour porter après lui les espoirs de la dissidence russe face au régime autoritaire de Vladimir Poutine.

Née à Moscou en 1976, cette économiste de formation a vécu avec Alexeï Navalny l'espoir des grandes manifestations qu'il a mobilisées en Russie, l'angoisse d'un empoisonnement en 2020 et du retour à Moscou quelques mois plus tard, ensemble. Dans une vidéo virale, Alexei Navalny avait révélé l'immense palais construit par Vladimir Poutine sur les bords de la mer Noire en 2021. Le Kremlin avait alors été forcé à un démenti, mais la vidéo a jeté une lumière crue sur le système oligarchique et qui gouverne la Russie moderne.

Ioulia Navalnaïa s'est engagée à poursuivre le travail de son mari. Parmi ses luttes, celle contre la corruption.

Depuis l'invasion de l'Ukraine, la répression des individus et des médias s'est accrue. Le Kremlin et le parlement russes ont promulgué de nouvelles lois strictes sur la censure militaire pour poursuivre des centaines de personnes qui se sont exprimées publiquement contre l'offensive. Cette répression tous azimuts, en plus de la mobilisation partielle à l'automne 2022 pour poursuivre l'invasion de l'Ukraine a aussi poussé nombre de Russes à partir à l'étranger.

Si l'économie russe résiste, elle est principalement tirée par les investissements pour la guerre. Selon un document du ministère des Finances consulté fin septembre par l'AFP, les dépenses de Défense vont ainsi augmenter de 68% en 2024 par rapport à 2023 et atteindre 10.800 milliards de roubles (environ 106 milliards d'euros). Ces dépenses représenteront environ 30% des dépenses fédérales et 6% du PIB. D'autres indicateurs pourront se révéler inquiétants à termes pour les Russes avec une inflation en hausse (+7,4% en 2023) et la faiblesse du rouble.

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Svetlana Tikhanovskaïa : face au règne de 30 ans de Loukachenko

L'opposition politique est également impossible en Biélorusse, où le président Alexander Loukachenko, allié de Vladimir Poutine, se prépare à briguer, en 2025, un nouveau mandat dans la dernière dictature d'Europe, voisine de la Russie. Selon l'ONG Viasna, ce pays de 9 millions d'habitants compte actuellement plus de 1.400 prisonniers politiques. Cinq personnes sont mortes en détention depuis 2021.

Actuellement sous sanctions occidentales, la Biélorussie est largement isolée sur la scène internationale, mais elle est le principal allié de la Russie, lui ayant même prêté son territoire en février 2022 pour permettre l'assaut contre l'Ukraine.

Une femme néanmoins s'est présenté face au leader qui dirige le pays depuis 1994 lors des dernières élections présidentielles de 2020 : Svetlana Tikhanovskaïa. Elle est la femme du blogueur et youtubeur Sergueï Tikhanovski, emprisonné le 29 mai 2020 pour « trouble à l'ordre public » et condamné à 18 ans de prison le 14 décembre 2021. Elle s'est finalement exilée depuis en Lituanie voisine.

Les élections législatives prévues fin février sont les premières depuis les manifestations de 2020 et Mme Tikhanovskaïa a qualifié le vote de « farce soviétique », destinée à « légitimer M. Loukachenko ».

Elle soutient notamment une entrée dans l'UE. « L'Europe est là d'où nous venons et c'est là où nous irons », a affirmé en 2023 l'opposante, souhaitant qu'un jour des députés biélorusses soient aussi présents dans l'hémicycle à Strasbourg.

La dépendance économique du Belarus à l'égard de Moscou, déjà forte, a été renforcée par les sanctions occidentales. La part de la Russie dans les échanges commerciaux du Belarus est passée de 49 % en 2021 à 60 % fin 2022. Récemment, un accord fiscal conjoint avec la Russie, auquel Minsk s'opposait auparavant, a réduit le contrôle biélorusse sur la fiscalité.

Suite au décès de l'opposant russe Alexander Navalny, Svetlana Tikhanovskaïa a exhorté les gouvernements démocratiques à considérer sa mort comme une « ligne rouge » qui ne doit plus être franchie à l'avenir et à vraiment réclamer des comptes aux responsables. « Si le puissant monde démocratique se limite à exprimer sa seule empathie, alors les dictateurs auront plus de marge de manoeuvre pour tuer impunément leurs dissidents », a-t-elle argué.

Aung San Suu Kyi : la mère de la démocratie birmane en prison

Trois ans après le coup d'Etat qui a placé une junte militaire au pouvoir, la situation en Birmanie est « un cauchemar sans fin » pour la population, a déclaré début mars le Haut commissaire des Nations unies aux droits humains.

La junte est arrivée au pouvoir en février 2021 par un coup d'Etat qui a chassé le gouvernement démocratiquement élu d'Aung San Suu Kyi, mettant fin à une parenthèse de 10 ans d'expérience de démocratie, et plongeant le pays dans la violence.

Depuis, la junte réprime la moindre opposition « avec un total abus de pouvoir », tandis que la situation économique empire continuellement, a-t-il aussi pointé.

L'ex-dirigeante purge une condamnation de plus de 20 ans de prison, pour des accusations jugées sans fondement par les groupes de défense des droits humains. Corruption, fraude électorale, violation de secrets d'Etat et des restrictions anti-Covid... Aung San Suu Kyi a été condamnée pour de multiples infractions lors d'un procès fleuve de 18 mois, achevé fin 2022.

Le parti qu'elle a fondé, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), avait remporté haut la main les élections de 2020, mais l'armée a, en effet, prétexté la découverte de millions de bulletins irréguliers lors du scrutin, en vertu d'accusations non corroborées par les observateurs internationaux, pour prendre le pouvoir. Selon des sources crédibles, plus de 4.600 civils, dont plus d'un millier de femmes et enfants, ont été tués par l'armée depuis février 2021.

Les nouvelles de l'état de santé de la prix Nobel de la paix, âgée de 78 ans, sont rares. « Elle garde un bon moral comme toujours », a déclaré son fils Kim Aris qui a reçu sa première lettre début 2024.

Narges Mohammadi : la voix des Iraniennes

Incarcérée à Téhéran par le régime des Mollahs depuis 2021, la militante et journaliste de 51 ans, Narges Mohammadi, a reçu fin 2023 le prix Nobel de la paix « pour son combat contre l'oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains et la liberté pour tous ». Elle est aussi vice-présidente du Centre des défenseurs des droits de l'Homme fondé par Shirin Ebadi, une autre opposante au régime.

Narges Mohammadi a été maintes fois condamnée et emprisonnée depuis 25 ans pour son engagement contre le voile obligatoire pour les femmes et contre la peine de mort. Elle a également écopé de plusieurs condamnations supplémentaires alors qu'elle était derrière les barreaux, notamment à un an de plus d'emprisonnement pour diffusion de propagande contre la République islamique durant son incarcération. Selon sa famille, ses peines s'élèvent désormais à 12 ans et trois mois d'emprisonnement, 154 coups de fouet, deux ans d'exil et diverses restrictions sociales et politiques.

A l'annonce de sa distinction, l'ONU a demandé sa libération, mais Téhéran a dénoncé « une décision partiale et politique »« Nous constatons que le Comité Nobel a attribué le Prix de la Paix à une personne reconnue coupable de violations répétées des lois et qui a commis des actes criminels », a réagi le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanani.

En 2023, l'Iran a exécuté au moins 834 personnes, soit une augmentation « alarmante » de 43% par rapport à 2022 et le chiffre le plus haut depuis 2015, selon le rapport annuel des ONG Iran Human Rights et Ensemble contre la peine de mort.

Rocio San Miguel : l'avocate arrêtée au Venezuela

L'avocate Rocio San Miguel, 57 ans, spécialiste des questions militaires et directrice de l'ONG « Contrôle citoyen » qui surveille les violations des droits humains, a été arrêtée le 9 février à l'aéroport de Caracas alors qu'elle s'apprêtait à quitter le Venezuela. Elle s'oppose au régime de Nicolas Maduro.

Rocio San Miguel, qui la double-nationalité espagnole, est spécialisée en droit international et politique, titulaire d'un master en Sécurité et défense de l'Institut des hautes études de la Défense nationale, rattaché aux forces armées vénézuéliennes.

Elle a fondé en 2005 son ONG, peu après avoir été licenciée de la fonction publique pour avoir soutenu la collecte de signatures en 2003 réclamant un référendum révocatoire contre l'ancien président Hugo Chavez (1999-2013).

Le gouvernement chaviste, après avoir recueilli et publié la liste des signataires, a procédé à une purge des organismes publics, une manœuvre que Mme San Miguel a qualifiée d'« apartheid ».

Son ex-mari José Gonzales De Canales Plaza, colonel de l'armée de l'air en retraite, est poursuivi pour « révélation de secrets politiques et militaires concernant la sécurité de la nation ». Les quatre autres membres de la famille ont été placés en liberté surveillée. Aucun détail n'a été fourni concernant les poursuites dont ils font l'objet.

Les Etats-Unis et l'UE ont dit être « profondément préoccupés » par son placement en détention pour « conspiration », l'ONU dénonçant un « plan coordonné visant à réduire au silence les critiques et les opposants présumés ».

Dans le même temps, la Cour suprême vénézuélienne, fidèle à Nicolas Maduro, a récemment confirmé l'interdiction de se présenter aux élections à la cheffe de l'opposition, Maria Corina Machado, qui a remporté haut la main les primaires de son camp.

La mission d'enquête indépendante du bureau des droits de l'homme des Nations unies au Venezuela a dénoncé mardi une « vague de répression contre les opposants » qui s'intensifie dans le pays.

L'ONG Foro Penal estime qu'il y a 261 « prisonniers politiques » au Venezuela, dont 18 femmes et 146 soldats.

Dans d'autres pays où le recul des libertés est particulièrement fort, la parole des femmes s'illustrent, à l'image de Malala Yousafzai qui avait reçu le Nobel en 2014 pour son combat pour le droit des filles à l'éducation au Pakistan et en Afghanistan repris par les Talibans en 2021, ou encore Loujain al-Hathloul, militante des droits des femmes en Arabie Saoudite, emprisonnée pendant plus de deux ans.

Jeanne Dussueil
Commentaires 7
à écrit le 08/03/2024 à 7:52
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Vous avez oublié Marine Le Pen pour la France qui combat la volonté belliqueuse de Macron.

le 08/03/2024 à 8:31
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LOL ! Fallait l'oser celle-là ! ^^ Alors que macron lui doit ses deux élections hein, merci le RN donc.

le 08/03/2024 à 10:50
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Merci pour ce rire !

le 08/03/2024 à 12:53
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vous oublier meme les démocraties sont impacte voir le mandat de m trump conteste par les démocrates chaque jour et puis la france ou le fait de voter a droite le president considère que nous somme des ennemies voir des pays comme l'italie ou la ...

le 09/03/2024 à 8:41
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quand m macron envoi des recommandation a l'arcom pour classifier des personnes avec un langage de droite et inventer de nouvel directive de classification prouve que les règles de démocratie sont foulé au pieds personne ne fera croire que ce nouv...

à écrit le 08/03/2024 à 7:44
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L'avantage en France, surtout en régime autoritaire, c'est qu'il n'y a plus d'opposition politique .

à écrit le 08/03/2024 à 7:25
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Je vois toujours un manque de sincérité chez les gens qui font appel à la chirurgie esthétique. Se mentir à soi-même n'est jamais de bon augure. Du coup cela donne un air de Spectacle et non de militantisme, cela fausse le discours.

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