« L’Europe est un échelon qui doit être mieux pensé en termes de stratégie industrielle » (Anaïs Voy-Gillis)

Devenu un axe majeur du gouvernement, la réindustrialisation fait face à plusieurs enjeux environnementaux, qui ne se limitent pas à la seule décarbonation. L’obligation de mieux travailler de façon écosystémique est aussi un sujet sur lequel les industriels doivent s’améliorer dit Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au Centre de recherche en gestion de Poitiers. Elle souligne par ailleurs l'importance de soutenir la filière du made in France. Interview.
« Il existe une réelle appétence des consommateurs pour les produits français, qui se heurte parfois à des problématiques de pouvoir d'achat », souligne notamment Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée à Centre de recherche en gestion de Poitiers.
« Il existe une réelle appétence des consommateurs pour les produits français, qui se heurte parfois à des problématiques de pouvoir d'achat », souligne notamment Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée à Centre de recherche en gestion de Poitiers. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Deux ans après le lancement du plan France Relance du gouvernement, quelles sont les avancées sur la réindustrialisation en France ?

C'est une bonne question. On peut mesurer cela de différentes façons. Par exemple, en regardant le poids de l'industrie dans le PIB, où l'on se rend compte d'un rebond par rapport aux années précédentes. On recrée également de l'emploi industriel depuis fin 2017. Sur la période fin 2017-fin 2022, 93.000 emplois ont été créés dans l'industrie. On ouvre plus de sites industriels que l'on en ferme. Cependant, la situation est encore fragile. La France a subi 40 ans de désindustrialisation, cela donc demander encore du temps.

On prône une réindustrialisation si possible décarbonée. Est-ce possible selon vous ?

Anaïs Voy-Gillis : La décarbonation est un vrai défi pour de nombreux industriels. D'un point de vue environnemental, on mise beaucoup sur la décarbonation, mais ce n'est pas le seul sujet. De nombreux autres sujets environnementaux vont être très critiques pour les industriels dans les mois et années à venir. C'est la question de l'eau, celle de la biodiversité, de certaines productions qui sont liées au choix des matières, comme le microplastique.

La décarbonation est un enjeu qui n'est pas exactement le même pour les industriels en fonction de leur bilan carbone, que l'on regarde les scopes 1 et 2, qui sont les émissions directes des industriels, ou le scope 3 qui est lié à leurs approvisionnements et au lieu de départ de leurs produits.

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C'est un travail qui est, à la fois, sur les process industriels, sur les procédés, les intrants utilisés et la conception du produit. C'est donc une réflexion systémique, qui va nécessairement demander du temps et représente des investissements relativement coûteux. Il faut que chaque industriel réalise son bilan carbone, identifie les points à améliorer et mette en place des plans d'actions solides pour atteindre la neutralité carbone dès 2050.

Vous abordez le sujet des investissements. Et donc du financement. Différents dispositifs y sont dédiés, comme le plan France Relance post-crise sanitaire et France 2030. Ces dispositifs doivent-ils s'inscrire dans le temps long ?

Il est intéressant d'avoir une stabilité dans les dispositifs existants afin de donner de la lisibilité pour ceux désireux de bénéficier de certaines aides. Il existe un autre enjeu, au-delà des financements publics, qui est la mobilisation des capitaux privés en faveur de l'industrie. Pour cela, il faut intéresser beaucoup plus les financiers à l'industrie et à la diversité que représente la filière, aussi bien en termes de taille d'entreprises que de maturité et de secteurs d'activité.

Nous avons besoin que certains dispositifs d'aides perdurent. Il faut définir quels sont ceux qui sont le plus efficaces et rapportent le plus. Mais, au-delà encore une fois des aides publiques, il faut que les Français soient prêts à consommer des produits made in France, ce qui représente une garantie sur la capacité des entreprises à investir sur le temps long.

Réindustrialiser fait l'unanimité, pour autant, tout le monde n'est pas prêt à accueillir une usine près de chez soi. Comment encourager l'acceptabilité industrielle ?

Il faut vraiment démystifier ce qu'est l'industrie. Par exemple, dans certaines zones, il existe une proximité avec le tissu industriel, avec des TPE-PME peu ou pas connues du grand public, qui ne posent pas de problème au quotidien plus que cela. C'est montrer que l'industrie peut, certes, être des sites à plus forts risques environnementaux et avec une grande emprise foncière mais que l'on en a tout de même besoin pour des questions de souveraineté, notamment. Il existe aussi des sites industriels qui sont peu connus mais qui sont très loin des images d'Epinal.

Précisément, l'image d'Épinal, c'est celle qui demeure dans l'imagerie populaire. L'attractivité de la filière auprès des jeunes peut-elle être favorisée par l'émergence de nouveaux métiers, notamment ceux liés au numérique ?

Il reste encore beaucoup de travail à faire pour connaître les métiers de l'industrie. C'est aussi peut-être à l'industrie d'évoluer sur certains types de postes, par nature moins attractifs, à la fois pour des raisons de types de secteur ou parce qu'ils nécessitent beaucoup de gestes répétitifs, qui sont assez éloignés des attentes des jeunes. Il faut aussi arriver à capter ce que les jeunes attendent en termes d'évolution, pour y répondre le mieux possible.

Il est important de montrer la diversité des métiers, des parcours. L'industrie ce n'est pas que quelques secteurs ou qu'une activité polluante et mal payée. C'est une diversité d'activités avec la possibilité d'effectuer des carrières très différentes en fonction des aspirations de chacun.

La dernière mesure du gouvernement consiste à identifier 50 sites d'installation industrielle possible. L'accès au foncier est-il un des freins à la réindustrialisation ?

C'est un vrai sujet. Par rapport à d'autres pays, nous avons peut-être moins de foncier disponible et notamment de grandes zones sur lesquelles on peut accueillir de grands sites. Disposer de sites pré-identifiés, pré-qualifiés, permet aux investisseurs français ou étrangers de s'implanter plus rapidement.

L'Europe est-elle la bonne échelle pour penser réindustrialisation efficace ? Ou faut-il à la fois des mesures nationales et des mesures européennes ?

On doit trouver une articulation entre un niveau local, un niveau national et un niveau européen. Sur certains sujets - lorsqu'on parle de relocaliser en termes de santé, certains produits actifs, par exemple - on a aussi besoin d'avoir des réflexions à l'échelle européenne afin de trouver une taille critique en termes d'usines et de niveau de production. Malheureusement, aujourd'hui l'Europe n'a pas de compétence exclusive en matière de politique industrielle. C'est aussi beaucoup de rivalités entre les Etats et des projets concurrents. L'Europe est un échelon qui doit être proposé et mieux pensé en termes de stratégie industrielle.

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Vous dites qu'il faut penser l'industrie en écosystème. C'est une approche qui manque ?

Quand on parle de réindustrialisation, on pense beaucoup aux usines, alors qu'il faut beaucoup de choses aux usines pour tourner, à la fois des ressources, des matières premières, de l'eau, de l'énergie. Il faut, pour attirer les compétences, du logement, un accès à la formation, des écoles...

Il faut aussi que les industriels arrivent à travailler ensemble sur les questions d'investissements, de mutualisation d'achats, pourquoi pas de mutualisation de compétences. C'est aussi savoir travailler avec d'autres acteurs de l'écosystème tels que les startups, le monde académique et de la recherche, le monde du financement.

Le « made in France » était déjà très demandé avant même que la souveraineté industrielle soit une préoccupation majeure du gouvernement. Existe-t-il toujours une appétence pour ce mouvement ?

Il existe une réelle appétence des consommateurs pour les produits français, qui se heurte parfois à des problématiques de pouvoir d'achat. On ne pose pas toujours le bon point de comparaison entre par exemple des produits qui viennent de loin, moins chers et certains produits français, grand public, un peu plus chers mais qui sont pourtant compétitifs sur le sol français. Cela doit cependant encore s'affirmer. Pour des questions de pouvoir d'achat, de disponibilité, de notoriété, parce que le marquage d'un produit français n'est pas toujours évident pour le consommateur.

Commentaires 5
à écrit le 16/10/2023 à 17:58
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la caption en dessous de la photo rume le pb francais!!!!!! les gens veulent rouler en porsche, mais il y a un petit pb de salaire pour se payer ca, donc faudra des aides publiques......moi je vais vous dire ce que j'ai appris en premiere annee de mi...

à écrit le 16/10/2023 à 16:19
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L'Europe n'a pas été pensé de manière industrielle, ni même économique d'ailleurs, l'europe a été faite par la finance pour la finance or la finance c'est le dumping social et le dumping social à outrance auxquels se rajoute la corruption, spécialité...

le 16/10/2023 à 19:27
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@Dossier51. Wahou, là ça progresse (un peu direct pour les âmes sensibles, mais pas pour la mienne)👍👏

le 17/10/2023 à 8:46
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Très bonne synthèse!

le 17/10/2023 à 10:41
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Ça fait dix ans je pense que je raconte le déclin européen ici, malédiction des peuples européens s'il en est, c'est juste les faits qui sont venus jusqu''à ma vérité tellement c'est voyant depuis longtemps, on va bientôt fêter les 20 ans de la trahi...

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