« Une industrie vertueuse, c’est possible ! » (Christophe Le Bihan )

Directeur général de Mytilimer – leader européen de la production et la distribution de moules, huîtres et coquillages – Christophe Le Bihan se félicite de participer à un équilibre territorial. Le projet Kerbone, une nouvelle usine à Cancale, est le symbole de cet engagement. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
(Crédits : DR)

Il a le sourire dans la voix. Heureux d'évoquer son entreprise, les salariés, les producteurs avec qui il travaille depuis vingt ans. Satisfait - sans aucune arrogance - de pouvoir parler industrialisation, écologie et innovation. Ému aussi de rendre hommage à l'homme qui lui a fait confiance en 2003 pour créer et développer Mytilimer, Charles de Beaulieu, décédé en décembre 2021.

À 46 ans, Christophe Le Bihan raconte le destin de Mytilimer et son histoire personnelle avec précision et détermination. On devine à travers ses mots un chef d'entreprise volontaire et bienveillant, qui insiste sur les notions de « valeur ajoutée » et de « juste rémunération ». En deux décennies, Mytilimer s'est ainsi hissé au sommet européen du secteur de la production et de la distribution de moules, huîtres et coquillages. En chiffres, ça donne : 160 salariés, une centaine de producteurs partenaires, 60 millions d'euros de CA et un projet dont la facture s'élève à 35 millions d'euros.

Une usine de 6 500 m2 en cours de construction à Cancale et qui devrait être livrée en 2024. Baptisé « Kerbone », ce nouvel investissement s'inscrit dans un engagement que poursuit Christophe Le Bihan avec la famille Beaulieu, celui de participer à un équilibre territorial. « Construire cette usine est un acte politique. Saint-Malo est un fleuron du tourisme. Je veux qu'il y ait de l'industrie aussi dans notre région » affirme le directeur général. Et de répéter qu'il faut se battre pour des projets qui font sens.

Kerbone est né, alors qu'en 2012, une jeune chercheuse de l'INRA était hébergée par Mytilimer pour mener des travaux sur le bilan carbone de la filière moule. Ses conclusions sont étonnantes : ce bilan carbone est le plus faible des produits d'élevage dans le monde ! Proche du négatif. Mais que faire de cette information... « Ça nous responsabilise » dit Christophe Le Bihan, « nous incite à faire mieux. Et cette usine va permettre d'améliorer ce bilan sur un plan énergétique avec notamment une concentration logistique (et donc moins de transport). Nous allons travailler à réduire l'emballage plastique encore trop important. Et ce bâtiment, le plus vertueux possible, permet à tous les salariés de participer à ce projet. » L'occasion de renforcer une activité de recyclage des petites moules : Mytilimer a développé une solution permettant d'obtenir un hydrolysat, un jus de coquillage destiné notamment à l'alimentation animale. Quant aux coquilles, une fois broyées, elles peuvent, notamment, être utilisées pour des bioplastiques, de la cosmétologie, ou encore dans des matériaux de construction... Christophe Le Bihan raconte ce futur proche comme si tout cela était de l'ordre de l'évidence. Et on n'est pas loin de le penser...

LE DÉCLIC

Originaire du Nord du Finistère, Christophe Le Bihan aime affirmer son attachement au port de Roscoff où son père officiait comme armateur mareyeur. Il a grandi à ses côtés, une enfance heureuse dans les effluves du port de pêche.

Avant 1992. Avant la crise de la pêche et des jours de conflits, au cours desquels l'entreprise familiale est détruite par des pêcheurs en colère. Christophe Le Bihan a 15 ans et se souvient des mouvements de foule, d'une colère incontrôlée, d'une violence inouïe. Des images qui le hantent encore aujourd'hui.

« Paradoxalement, cet événement a valeur de déclic pour moi. À ce moment-là, je décide d'essayer de comprendre pourquoi ces événements ont eu lieu. Et comment je peux tout faire pour que cela ne recommence pas. »

Son père a remonté la société, son fils à ses côtés qui répète qu'il veut travailler dans ce secteur. Christophe Le Bihan raconte en souriant les doutes de son père lui répétant : « T'es sûr ? » Il en était certain et la suite lui a donné raison.

Il apprend le métier en Espagne, en Angleterre. Mais aussi la gestion et la comptabilité lors de ses études supérieures avant d'intégrer l'ENCPM (École nationale de commerce des produits de la mer) à Lorient, école malheureusement fermée, où il parfait sa connaissance de tous les rouages de la filière mytilicole.

À 20 ans, le voilà sur le marché du travail. « À l'époque, mon intention est de cumuler des expériences avant de revenir dans ma région pour diriger l'entreprise familiale. » Et des expériences, il en vit. Dans le Sud du Finistère, au port de Vigo en Espagne, en Amérique du Sud, et sur l'île d'Oléron où il remet à flot une entreprise de cuisson de coquillages.

Et puis arrive le coup de fil qui change tout, celui de Charles Beaulieu. L'homme cherche un directeur général pour son entreprise Mytilimer. Il est convaincu que Christophe Le Bihan est l'homme de la situation. « J'ai 26 ans, je commence par refuser le poste. Mais Charles m'a rappelé et m'a convaincu. C'était un gros défi pour moi de participer à cette aventure, à la création de cette société. Je n'avais rien à perdre, et Charles a pris le risque de m'embaucher. » Avec une once d'émotions - communicatives - il évoque surtout une histoire d'amitié longue de vingt ans, et ce lien, entre les deux hommes, si difficile à décrire...

Vingt ans au cours desquels l'entreprise s'est développée, rachetant au passage en 2012 la marque La Cancalaise. « Ce fut un virage pour Mytilimer qui devenait alors le leader sur le marché européen » précise le directeur général. L'autre virage est en cours et s'appelle « Kerbone », symbole de l'engagement de l'entreprise et de Christophe Le Bihan.

L'ENGAGEMENT

La réponse a fusé : « Je suis hyper engagé. C'est ma nature. » Christophe Le Bihan décline cet engagement au quotidien, fidèle à ses principes qui l'ont poussé à endosser cette carrière, à savoir défendre une filière dans toutes ses composantes. Il répète à souhait vouloir créer et recréer de la valeur tout au long de la chaîne agricole et agroalimentaire.

De la valeur ajoutée donc et une juste répartition. « Chaque maillon de la chaîne doit être respecté et rémunéré » insiste-t-il. Confirmant que l'objectif est de faire mieux en permanence. De valoriser ce secteur industriel de la pêche, et le travail de chaque producteur, tous sélectionnés sur un critère principal : avoir envie de proposer les meilleurs produits, et ne pas hésiter à se remettre en question. À Christophe Le Bihan d'orchestrer ce petit monde par un dialogue, permanent, et une présence, permanente aussi.

« Avec Charles Beaulieu, nous voulions apporter notre pierre à l'édifice. Léguer quelque chose au territoire. C'était notre plus grosse ambition. » Un engagement citoyen, un acte politique, précisant au passage qu'il ne souhaite pas « faire de la politique. Je ne m'y retrouverais pas ». Il raconte en souriant qu'il a sans doute transmis ce caractère engagé à ses trois enfants, au regard des débats qui animent la vie de famille.

EN 2050

Si Kerbone représente un futur proche, 2050 lui paraît bien loin. « J'aurai 73 ans... J'espère à titre personnel être apaisé. Je me rêve en grand-père idéal. » Christophe Le Bihan ajoute immédiatement en riant « Pour l'entreprise, si je suis encore là, il faudra penser à passer le flambeau ! »

Plus sérieusement, il espère que Mytilimer continuera de participer à l'économie du secteur et du territoire, « et que l'entreprise poursuivra son activité sans perdre ses valeurs ». Il s'agira aussi de réfléchir à la pêche de demain. Comment apporter une juste rémunération aux pêcheurs, comment réinventer un modèle, comment concevoir les bateaux du futur également. Et que la protéine marine ne soit jamais réservée à une élite. On mesure alors à quel point l'aventure entrepreneuriale de Mytilimer est globale, un combat au quotidien engageant le futur d'une filière et de notre alimentation.

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Commentaires 4
à écrit le 14/10/2023 à 11:14
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Une industrie vertueuse est une industrie qui n'existe pas. Il faut donc accepter l'industrie telle qu,'elle est: Polluante. Illusoire donc de penser que la vertu dans ce domaine puisse contribuer à un quelconque résultat sur la dégradation du climat...

à écrit le 14/10/2023 à 8:48
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Pourquoi cette obsession pour la vertu, en France

le 14/10/2023 à 11:16
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#Charlie Vous préférez la vertu Chinoise Russe ou Nord Coréenne ?

à écrit le 14/10/2023 à 8:36
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En effet mais pour l'instant ce sont des usines à goudron et des usines à médicaments, on espère donc que l'industrie vertueuse arrive vite parce que pour l'instant c'est une industrie complètement pourrie.

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