
Une fuite de gaz dans un réacteur nucléaire en Chine peut-elle influencer la politique énergétique française ? Ce serait une erreur selon Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, pourtant opposante de longue date au nucléaire. Interviewée sur France inter, ce matin, elle a demandé de ne pas réagir "à chaud", alors que les voix contre les futurs projets d'EPR se multiplient, après qu'un dysfonctionnement sur un EPR chinois ait été révélé.
Hier, lundi 14 juin, la chaîne américaine CNN a dévoilé l'existence d'une fuite dans la centrale nucléaire de Taishan, dans le sud de la Chine. Cette centrale, construite par EDF et dont il est actionnaire minoritaire, est composée de deux EPR, les seuls actuellement en fonctionnement dans le monde. Quelques heures plus tard, EDF a confirmé avoir été averti d'une augmentation de la concentration des gaz rares dans le circuit primaire du réacteur numéro 1. Ce dysfonctionnement traduit un problème d'étanchéité au niveau des gaines des combustibles et a conduit l'exploitant chinois à réaliser des rejets atmosphériques de deux gaz rares : le xenon et le krypton.
EDF relativise la fuite
EDF relativise toutefois la dangerosité de ces rejets.
"Les informations transmises par l'exploitant montrent que la valeur des rejets atmosphériques respecte les contraintes réglementaires. Il ne s'agit donc pas d'une contamination, mais de rejets maîtrisés", a précisé un porte-parole du groupe, détenu à près de 84% par l'Etat français.
L'énergéticien tricolore va même plus loin et affirme qu'il ne s'agit pas d'un incident nucléaire. Cette confiance d'EDF dans la gestion de la fuite par l'exploitant chinois ne semble même pas être altérée par le fait que l'autorité de sûreté chinoise ait procédé, il y a quelques semaines, au rehaussement du seuil autorisé concernant ces rejets dans le circuit, le passant à 324 GBq par tonne d'eau. A titre de comparaison, en France, le seuil de 150 GBq par tonne d'eau est retenu comme déclencheur d'un repli du réacteur sous 48h, depuis 2009, rappelle sur Twitter Yves Marignac, chef du pôle expertise énergies nucléaire et fossiles de l'institut négaWatt.
Un manque de transparence qui alimente les critiques
Malgré les propos rassurants d'EDF, ce problème nucléaire, sur fond de silence des autorités chinoises, alimente depuis lundi les critiques contre l'EPR, dont les chantiers en France, en Finlande et au Royaume-Uni sont marqués par des retards et des surcoûts.
"L'EPR, à l'épreuve de son fonctionnement, de sa sécurité réelle et de la démocratie, est une catastrophe. Stoppons ces projets ! " a ainsi tweeté l'eurodéputé Yannick Jadot.
Est-ce que cette fuite pourrait influencer la décision de la France sur la construction de six nouveaux EPR ?
"Il ne faut pas qu'on ait une réflexion sur notre politique énergétique en partant d'un fait, en réaction à un fait qui se passe. Hâtons-nous de réfléchir. Ne réagissons pas comme ça au premier événement qui arrive, a enjoint Barbara Pompili. (...)Toutes les énergies ont des avantages et des inconvénients. Regardons-les, mais ne réagissons pas à chaud. (...) Le nucléaire c'est plus de 70% de l'électricité produite en France. Il est évident qu'on va en avoir pour des années", a plaidé la ministre.
L'ONG antinucléaire Greenpeace n'a pas manqué de réagir. Elle exige "une transparence complète d'EDF" sur cet événement. Dans un communiqué, l'association demande "un examen approfondi et transparent par EDF et les autorités françaises, afin d'en tirer toutes les leçons pour les EPR en construction".
"Avec l'EPR de Taishan, EDF mène une expérimentation inédite, grandeur nature. Les retours d'expérience sur cette "tête de série" devraient être connus de toutes et tous, au vu des implications qu'ils pourraient avoir en France, mais aussi en Finlande ou au Royaume-Uni", estime Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France.
L'avenir du nouveau nucléaire français fait débat
Le problème révélé à Taishan pourrait être un vrai coup dur pour EDF, à un moment où l'industriel français espère justement vendre de nouveaux EPR, dont six en France. Mais les autorités jouent la prudence et préfèrent attendre le démarrage de l'EPR de Flamanville, le seul EPR actuellement en construction dans l'Hexagone, pour se prononcer. La décision de construire ou non cette demi-douzaine d'EPR supplémentaires sera donc prise au prochain quinquennat puisque la mise en service du réacteur de troisième génération de Flamanville ne devrait pas intervenir avant la fin 2022.
Le débat sur l'avenir du nucléaire en France s'annonce explosif. Surtout depuis que RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité haute tension et l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ont publié un rapport démontrant qu'il était techniquement possible pour la France de se passer du nucléaire. RTE se prononcera à l'automne prochain sur la faisabilité économique d'un tel scénario. Cinq autres scénarios, qui accordent tous une large place aux énergies renouvelables, sont également à l'étude.
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