Ces derniers jours, depuis son bureau de la rue de Rivoli, François Hollande n'a pas loupé une miette du psychodrame politique autour du projet de loi immigration. L'ancien président a même fait ses calculs : la scission au sein de la majorité permettrait de détacher un tiers de l'électorat d'Emmanuel Macron, soit 7 à 8 % des voix. « Pour le mouvement socialiste, il y a un vase d'expansion possible », théorise-t-il auprès de La Tribune Dimanche. Le coup porté au quinquennat de son prédécesseur peut-il constituer un nouveau départ pour la gauche anti-Mélenchon ? Soixante-deux députés macronistes n'ont pas voté le texte. « Ça les réintègre dans notre champ ; cette déliaison modifie complètement la perception que la gauche avait d'elle-même », veut croire un cacique du PS.
Un autre souhait de l'ex-président s'est concrétisé en 2023 : l'année aura été fatale à la Nupes. Elle avait pourtant attaqué l'hiver unie et en phase avec l'opinion sur la réforme des retraites. Mais on ne retiendra que la bordélisation à outrance de l'Assemblée nationale par les Insoumis. L'été n'a rien arrangé. Lors des émeutes consécutives à la mort de Nahel, Jean-Luc Mélenchon n'avait pas appelé au calme mais à la justice. Une position qui lui a valu une vive discussion avec le patron du PS. « Ce que l'on retient surtout, c'est que tu n'appelles pas au calme », lui avait reproché Olivier Faure. L'Insoumis l'a envoyé balader. Ce sera le dernier échange de l'année entre les deux hommes.
La seule fois où les écologistes ont fait parler d'eux, c'était pour leurs universités fin août, où l'invitation du rappeur controversé Médine avait éclipsé tout le reste. Leur nouvelle présidente, Marine Tondelier, tente d'imprimer médiatiquement mais son opération de refondation du parti, devenu en octobre Les Écologistes, passe plutôt inaperçu.
L'automne aura été fatal. L'alliance des gauches, diablement efficace sur le plan électoral (151 députés Nupes élus en juin 2022), s'est brisée après les attaques perpétrées par le Hamas en Israël. La France insoumise refusera de qualifier le mouvement de terroriste. La réunion entre les quatre groupes de la Nupes trois jours après les faits sera la dernière. Les socialistes suspendront leur participation dans la foulée. « Ça te dérange pas de dire bonjour aux idiots utiles du Hamas ? » lancera Manuel Bompard, bras droit de Jean-Luc Mélenchon, à Jérôme Guedj, premier socialiste à avoir posé la question de l'appartenance à la Nupes.
« Mélenchon bouffe ses enfants »
Exit donc toute possibilité de partir ensemble aux européennes, comme en auraient rêvé les Insoumis. « Ce sera pour nous un très mauvais moment à passer, ça va être moche », acte une députée LFI. La figure de Raphaël Glucksmann, 44 ans, donne des espoirs à la gauche anti-Mélenchon. Les derniers sondages placent le député européen comme troisième homme du scrutin, avec 10 % d'intentions de vote, devant la liste des écologistes et celle des Insoumis, loin devant celle des communistes. La dernière fois que les socialistes ont obtenu un score à deux chiffres, c'était aux élections régionales de 2015.
Lui qui a fondé son mouvement Place publique recevra fin janvier le soutien du Parti socialiste, comme c'était déjà le cas il y a cinq ans. Il a récemment eu celui de Daniel Cohn-Bendit alors que les écolos ont choisi une parfaite inconnue, Marie Toussaint, pour les représenter. François Hollande, qui était peu convaincu en 2019 par le profil de l'essayiste, pense aujourd'hui qu'il « correspond parfaitement au moment ». Et le soutiendra autant qu'il le voudra. « À lui de savoir rassembler », dit-il.
Le début de la fin du macronisme donne aux socialistes anti-Nupes (Carole Delga, Michaël Delafosse...) l'espoir d'une renaissance de la gauche sociale-démocrate. Bernard Cazeneuve tente des initiatives (il veut lancer des assises de la gauche) sans que personne ne sache vraiment où il veut en venir. « Bernard devrait être le leader de la gauche aujourd'hui, observe un proche. Mais c'est un moteur stop and go, il nourrit sans arrêt des interrogations sur sa volonté d'être candidat. »
En quelques mois, Jean-Luc Mélenchon, qui n'a renoncé à rien pour 2027, s'est, lui, démonétisé auprès de ses partenaires. Son soutien inconditionnel à Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales, avait outré ses alliés ; son positionnement sur le conflit israélo-palestinien a brisé l'union de la gauche. « La politique peut rendre fou quand se confondent en vous la personne privée et publique, assure un responsable socialiste. Il y a un aspect psychanalytique chez lui sur la terreur de la fin. Mélenchon bouffe ses enfants, il nous bouffe tous. » François Ruffin, 48 ans, député Insoumis depuis 2017, apparaît lui aussi comme un nouvel espoir à gauche. L'élu de la Somme, fougueux lors de son premier mandat, se fait désormais discret et s'émancipe doucement, comme d'autres de ses collègues, du chef Insoumis. « Si Ruffin veut être en situation pour 2027, il doit déterminer quand est-ce qu'il rompt avec Mélenchon, ça l'obsède », glisse un responsable écologiste. Comme souvent en politique, la question est celle de tuer le père.