Pourquoi le Portugal a déjà gagné la bataille de l'inflation

Alors que la plupart des économies de la zone euro peinent à sortir du choc inflationniste, le Portugal semble avoir une longueur d’avance en la matière. Au bord de la banqueroute financière il y a dix ans, le pays lusophone fait preuve d’une résilience étonnante en comparaison des autres pays de l’Union européenne. Quels sont les secrets de cette résistance ? Explications.
Mathieu Viviani
En décembre dernier, l'inflation portugaise a enregistré un nouveau ralentissement, le quatrième en quatre mois consécutifs, à 1,5% sur un an, après 1,4% un mois auparavant.
En décembre dernier, l'inflation portugaise a enregistré un nouveau ralentissement, le quatrième en quatre mois consécutifs, à 1,5% sur un an, après 1,4% un mois auparavant. (Crédits : Reuters)

Face au choc inflationniste dans lequel la plupart des économies européennes pataugent encore, la bonne santé de l'économie portugaise n'en finit pas d'étonner. Dernière illustration en date de cette trajectoire positive, son dernier taux d'inflation : selon l'Institut national des statistiques du Portugal (Ine), en décembre dernier, l'inflation portugaise a enregistré un nouveau ralentissement, le quatrième en quatre mois consécutifs, à 1,5% sur un an, après 1,4% un mois auparavant. Son inflation annuelle s'est, elle, établie à 4,3% en 2023, contre 7,8% en 2022. Et pour rappel, en octobre 2022, l'inflation portugaise avait atteint son plus haut niveau depuis 30 ans à 10,1%.

Le taux d'inflation portugais contraste nettement avec celui de l'ensemble de la zone euro. Selon les derniers chiffres d'Eurostat dévoilés vendredi dernier, en décembre 2023, l'inflation est en effet remontée 2,9% sur un an, pour les vingt pays ayant adopté la monnaie unique. Elle s'affichait pourtant à 2,4% en novembre.

Désormais surnommé par de nombreux observateurs économiques comme « le bon élève de l'UE », le Portugal est donc passé en novembre en dessous du seuil des 2% d'inflation, synonyme de stabilité des prix par la Banque centrale européenne (BCE). Une première depuis octobre 2021, pic de la pandémie de Covid, et surtout un résultat inimaginable si l'on remonte à l'année 2013, où le pays a frôlé la cessation de paiement...  Pour rappel, au bord de la banqueroute financière à l'époque, l'Etat ibérique a été sauvé in extremis par un plan d'aide de 78 milliards d'euros accordé par l'Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI).

L'alimentation au cœur de la désinflation portugaise

Quels sont les moteurs de la désinflation portugaise ? Selon son institut statistique, la baisse du mois de décembre s'explique par le recul de 0,6% des prix des produits alimentaires par rapport au mois précédent. Plus globalement, sur ce mois, les prix à la consommation ont reculé de 0,5% dans le pays, après une baisse de 0,3% en novembre.

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Antoine Goujard, économiste spécialiste du Portugal à l'OCDE, va plus loin dans l'explication : « Au Portugal, le prix du panier alimentaire moyen influe plus fortement sur l'inflation que dans les autres pays de la zone euro. C'est le cas en décembre et même plus généralement sur l'ensemble de l'année 2023. »

Il poursuit : « La baisse est d'autant plus visible lorsqu'on compare les prix alimentaires en 2022, marqués par une grande sécheresse dans le pays. Cette dernière a impacté négativement la production agricole, et donc le prix des denrées. »

Autre facteur qui a joué dans les baisses de prix alimentaires :  les ménages portugais ont bénéficié à partir d'avril 2023 d'une TVA à taux zéro, sur un ensemble de 46 produits alimentaires de première nécessité (légumes, fruits, viande, poisson, produits laitiers, etc). Une mesure qui ne sera pas prolongée cette année, selon le gouvernement.

Le coût de l'énergie, l'autre atout

Autre facteur ralentissant l'inflation portugaise : le coût de l'énergie mieux maîtrisé par le pays en comparaison des autres Etats de l'Union européenne. En novembre dernier, l'indice qui mesure son évolution a notamment chuté de 12,4%.

« Le Portugal rebondit mieux par rapport aux autres pays européens car il est moins exposé aux conséquences de la guerre en Ukraine. Notamment par rapport à l'énergie, ce qui n'est pas rien. Le Portugal était beaucoup moins dépendant aux importations de gaz russe, contrairement à l'Allemagne par exemple », avait expliqué mi-octobre à La Tribune, Sofia Fernandes, chercheuse senior à l'institut Jacque Delors et spécialiste du Portugal.

Un contexte facilité aussi par « l'exception tarifaire ibérique », du nom de ce régime dérogatoire mis en place en juin 2022 et permettant plafonner le prix du gaz utilisé pour la production d'électricité au Portugal et en Espagne. Ce, en raison de la faiblesse de leur interconnexion gazière au niveau de l'infrastructure.

Selon l'économiste de l'OCDE, une autre raison est à trouver dans le mix énergétique du Portugal : « Le pays a pris le virage des renouvelables depuis plusieurs années déjà. Lorsque la crise énergétique a déferlé sur l'Union européenne suite à la guerre en Ukraine, ce positionnement a permis au pays de mieux tenir. » Les derniers chiffres du gestionnaire portugais des réseaux énergétiques nationaux (REN) tombés mardi 2 janvier, confirment cette tendance : en 2023, les ENR ont ainsi fourni 61% de l'électricité consommée dans le pays. Un record historique.

Si l'inflation portugaise est globalement mieux maîtrisée que les autres membres de l'UE comme la France, l'Allemagne ou même l'Espagne, son premier partenaire économique, Antoine Goujard rappelle qu'elle bénéficie d'un contexte inflationniste global en amélioration. « On va vers un recul sur ce front dans toute l'Europe. La politique de hausse des taux de la BCE commence à opérer », analyse-t-il.

La rigueur budgétaire portugaise, bouclier efficace

Selon l'expert de l'OCDE, la rigueur budgétaire portugaise depuis dix ans a aussi été « un rempart très solide face au choc inflationniste »des années covid et de la crise énergétique liée à l'Ukraine. Début octobre 2023, le gouvernement socialiste du Premier ministre Antonio Costa (qui a démissionné du pouvoir depuis) a en effet annoncé un excédent budgétaire de 0,8%.

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Une première depuis l'avènement de la démocratie dans le pays en 1974, et un résultat meilleur qu'attendu puisque le gouvernement socialiste tablait plutôt sur un déficit de 0,4%. De quoi aussi espérer atteindre un excédent budgétaire de 0,2% du PIB cette année et ainsi revenir plus rapidement à l'équilibre des finances publiques. A l'origine, cet objectif n'était prévu qu'en 2027.

Concernant la dette publique, boulet au pied de l'économie portugaise pendant des années, le gouvernement prévoit de la ramener sous le seuil des 100% du PIB dès cette année. En juin 2023, elle était à 113,9% du PIB, ce qui reste tout de même non négligeable, et proche de la France (111,8% en octobre dernier). Enfin, les services statistiques du Portugal anticipent en 2024 un PIB en hausse de 2,2%, tiré notamment par le secteur du tourisme, poumon économique du pays lusophone. Quant à son marché de l'emploi, celui-ci s'est montré résilient avec un taux de chômage à 6% en 2023, un des plus bas des deux dernières décennies.

Vigilance en 2024

Si l'économie portugaise a indéniablement su résister à l'hydre inflationniste, elle n'en est pas débarrassée pour autant. Le secteur immobilier en pâtit particulièrement : en dix ans, l'essor du tourisme de masse et l'inflation galopante, ont fait exploser les prix de l'immobilier de 75% en moyenne dans le pays. Un phénomène particulièrement vrai dans les centres urbains des principales métropoles (Lisbonne, Porto, etc). « Il faut aussi voir l'incidence sur l'inflation à venir de la fin de la TVA à taux zéro sur les produits alimentaires de première nécessité », ajoute Antoine Goujard de l'OCDE.

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Derrière ces métriques que le gouvernement du Portugal surveille comme le lait sur le feu, se cachent des enjeux sociaux considérables. Après des années de cure, les services de santé et l'éducation nationale sont censés recevoir des investissements. Deux chantiers sur lesquels l'exécutif est attendu au tournant par les Portugais. En jeu, la stabilité politique, et au bout du compte, économique du pays.

Et la Direction générale française du Trésor de rappeler dans un de ses notes publiées en juin de l'année dernière : « La stabilité économique du Portugal en 2023 dépendra fortement de l'évolution du contexte extérieur (géopolitique et économique), mais également de la bonne exécution de son Plan national de Relance et de Résilience [une enveloppe fournie par l'UE pour amortir la crise économique post-covid, ndlr], principal levier de transformation économique du pays. » Loin d'être anecdotique, son montant s'est élevé en 2023 à 16,6 milliards d'euros, dont 13,9 milliards d'euros de subventions non remboursables.

L'Espagne, la France et l'Allemagne dans la spirale inflationniste

Voisin et premier partenaire commercial du Portugal, l'Espagne a vu son inflation atteindre 3,1% en décembre, après 3,2% en décembre. Mais contrairement à son voisin, le pays a vu son taux bondir de plus d'un point en l'espace de quelques mois l'année dernière, passant de 1,9 % en juin, pour remonter brusquement à 3,5% en septembre.

En cause, la hausse des prix des carburants, tirés par l'envolée mondiale des cours du pétrole et le coût de son électricité. Les variations des prix de l'énergie sont d'autant plus visibles en Espagne que « l'énergie a un poids plus important dans le panier des ménages espagnols que dans celui des Français, par exemple », expliquait en juin dernier à La Tribune Christophe Blot, directeur adjoint du département Analyse et prévision à l'Observatoire français des conjonctures économiques (ofce).

Lorsqu'on zoome sur la France, troisième partenaire commercial du Portugal, le contraste avec l'État lusophone est tout aussi saisissant : en décembre dernier l'inflation dans l'Hexagone est ainsi montée à 3,7% sur un an, après 3,5% en novembre. En cause, « l'accélération » des prix de l'énergie et des services, selon des données provisoires publiées jeudi dernier par l'Institut national de la statistique (Insee).

Autre pays à citer en comparaison, l'Allemagne, deuxième partenaire commercial du Portugal, qui en décembre a vu ses prix à la consommation bondir de 0,5 point, à 3,7%, après 3,2% en novembre selon l'institut allemand de la statistique Destatis.

Mathieu Viviani
Commentaires 4
à écrit le 10/01/2024 à 22:16
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Tout ce qui vous intéresse c'est ce que vous voulez voir, vous devez être socialistes

à écrit le 09/01/2024 à 20:33
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Portugal SMIC € 820,00/mois a partir de 01 jan 2024.

à écrit le 09/01/2024 à 10:49
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Parce qu'ils bossent pour leurs administrés ! c'est assez simple ! macron peut bloquer les prix , il ne le fait pas, cela lui permet d'utiliser le surplus d'impôts pour leur budget (ils empruntent tellement d'argent a taux variable sur le marchés) qu...

à écrit le 09/01/2024 à 8:40
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Il y a moins d intermédiaires dans l économie Portugaise qu en France .. et la grande distrib y est moins développée…en moyenne / hab Donc moins de Strate à payer pour le consommateur De même la consommation de produit transformés y est moins im...

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