"Le SPAC devrait s'institutionnaliser en Europe pour offrir des capitaux à long terme" (Antoine Flamarion et Mathieu Chabran,Tikehau Capital)

Tikehau Capital est la "sucess story" de la gestion d'actifs de ces dernières années en France. Ses deux cofondateurs, Antoine Flamarion et Mathieu Chabran, issus de l'univers de la banque d'investissement anglo-saxonne, détonnent dans le paysage feutré de la gestion. Revendiquant un profil de "serial entrepreneur", ils tentent d'imposer en France un modèle hybride de gestion alternative. Leur modèle? Les géants américains KKR ou Blackstone ou le fonds coté suédois EQT. Pour La Tribune, ils livrent leur regard sur les marchés et la sortie de crise et plaident en faveur de nouveaux outils pour aider les entreprises à trouver des fonds propres alors qu'ils viennent d'introduire en Bourse le plus important SPAC européen.
Lancé en 2004 avec un capital de 4 millions d'euros par Mathieu Chabran et Antoine Flamarion, Tikehau Capital gère 28,5 milliards d'euros d'actifs à la fin 2020.
Lancé en 2004 avec un capital de 4 millions d'euros par Mathieu Chabran et Antoine Flamarion, Tikehau Capital gère 28,5 milliards d'euros d'actifs à la fin 2020. (Crédits : David Morganti)

LA TRIBUNE - Un an après le début de la crise sanitaire, faut-il craindre une prochaine vague de faillite des entreprises ?

ANTOINE FLAMARION - Des entreprises déjà fragilisées avant la crise risquent en effet de ne pas résister une fois que le ballon d'oxygène des aides publiques se tarira. Dans la période post-Covid, les entreprises auront cruellement besoin de fonds propres et il n'est pas certain que les banques puissent seules répondre à toute la demande de financement. Il existe pourtant de nombreux outils pour drainer l'épargne vers les entreprises, et des acteurs non bancaires comme Tikehau Capital peuvent jouer un rôle important en sortie de crise. Nous sommes convaincus qu'il sortira de cette crise de nombreuses opportunités.

MATHIEU CHABRAN - Il y a toujours eu en France un problème dans le « late stage financing» pour les grosses PME ou les ETI. Vous trouvez tous les fonds nécessaires pour acheter une entreprise à dix milliards d'euros mais il existe un grand vide lorsqu'il s'agit d'apporter 200 ou 300 millions d'euros de capitaux pour accompagner le développement d'une société. La crise n'a fait qu'exacerber les choses.

Investir dans une période où l'argent n'a plus réellement de valeur n'est-il pas devenu dangereux ?

AF. Nous clamons depuis deux ans que les valorisations sont sans doute excessives et que l'endettement des sociétés s'emballe. Et, pourtant, les prix des actifs continuent de monter. Nous avons sans doute sous-estimé l'impact des injections massives de liquidités par les banques centrales. Cela crée un effet de richesse des détenteurs de patrimoines financiers que l'on ne souligne pas assez. C'est pourquoi nous avons été prudents dans nos investissements et que nos fonds sont granulaires pour mieux disperser les risques.

MC. Notre métier est de financer les entreprises. Mais nous comptons sur notre différence pour faire la différence ! Notre spécificité est de privilégier une approche entrepreneuriale dans nos investissements, ce qui n'est pas si courant dans le monde de la finance, du moins en Europe. Nous sommes finalement des entrepreneurs à l'écoute d'autres entrepreneurs. Du coup, nous restons très à l'écoute des besoins des chefs d'entreprise, très présents dans leur développement et accommodants quand il faut l'être. C'est également la raison pour laquelle nous investissons beaucoup dans notre infrastructure, avec douze bureaux sur trois continents et 600 collaborateurs, sans parler de notre actionnariat. C'est notre marque de fabrique et cela nous permet de rester constamment à l'écoute de ce qu'il se passe.

Vous venez de lancer un SPAC avec Financière Agache et deux banquiers de renom pour investir dans les services financiers. Pour quelles raisons avez-vous choisi ce type de véhicule ?

AF. Un SPAC (Special Purpose Acquisition Company, NDLR) permet de collecter des capitaux pour investir dans une société non cotée qui envisage une cotation pour se financer. A nos yeux, lancer un SPAC représente bien une extension de notre activité qui consiste à proposer des solutions de financement aux entreprises. Le SPAC fait partie des outils permettant d'offrir à ces dernières de nouveaux moyens d'accéder au capital et ainsi de flécher l'épargne vers les entreprises. Nous comptons d'ailleurs en lancer d'autres et créer ainsi une famille de SPAC, à l'image d'ailleurs de ce que font certains grands fonds d'investissement américains.

MC. Nous avons toujours construit Tikehau Capital en essayant d'innover et le SPAC est une innovation. Et comme toute innovation, il peut y avoir une forme d'euphorie peu rationnelle, comme on le constate aujourd'hui aux Etats-Unis où chaque 'rock star' lance son SPAC !

Quand KKR a inventé, dans les années soixante-dix, l'idée du LBO (achat avec un effet de levier, NDLR), la perception avait été à l'époque également très critique mais le LBO est devenu à un moment donné incontournable dans le private equity, avec son utilité et parfois ses excès. De la même façon, le SPAC devrait s'institutionnaliser dans les cinq à dix ans pour offrir des capitaux à long terme aux entreprises.

Aujourd'hui, nous ne voyons que les excès et le nombre très important de SPAC lancés à Wall Street. En Europe, c'est différent. Le nombre de SPAC est beaucoup moins important. Amsterdam, la place de cotation que nous avons choisie, est aujourd'hui celle permettant d'attirer à la fois des investisseurs internationaux et des entreprises européennes en recherche d'opportunités de financement et de réalisation d'opérations structurantes.

De nombreuses personnes sont prêtes à faire de l'argent avec l'argent des autres mais plus rares sont celles prêtes à le faire avec l'argent de leurs enfants !

Comment faire la différence entre un « bon » SPAC et un « mauvais » SPAC ?

AF. Pour nous, ce qui fait la différence, c'est l'engagement en capital de la part des promoteurs du SPAC. C'est un vrai critère de sérieux. De nombreuses personnes sont prêtes à faire de l'argent avec l'argent des autres mais plus rares sont celles prêtes à le faire avec l'argent de leurs enfants ! Ainsi, les sponsors du SPAC que nous venons de lancer s'engagent à mettre 165 millions d'euros sur la table. Ce qui renvoie d'ailleurs à notre ADN d'entrepreneurs favorisant l'alignement d'intérêts. Nous nous associons avec d'autres entrepreneurs pour un projet entrepreneurial et nous mettons notre argent dans ce projet. Nos deux 'operating partners', deux banquiers de renom, ont par ailleurs un track-record et une expérience reconnus dans le secteur de la finance. Ce gage de sérieux était pour nous primordial. Le message est visiblement passé car l'introduction en Bourse a été un succès.

Les SPAC ne risquent-ils pas de faire concurrence au private equity et de gonfler les valorisations des bonnes cibles ?

MC. Les deux activités sont très complémentaires. D'abord, nous ne cherchons pas à prendre le contrôle. Le SPAC est avant tout une opération minoritaire. Et dans l'univers du private equity, il existe très peu d'acteurs qui font des opérations minoritaires. Nous sommes d'ailleurs un peu une exception car Tikehau Capital réalise principalement des opérations minoritaires en private equity. Ensuite, le SPAC nous permet de mettre, conjointement avec nos partenaires, un ticket important dans un projet, plusieurs centaines de millions d'euros, alors que le montant de nos lignes dans nos fonds de private equity oscille plutôt entre 20 et 150 millions d'euros. C'est donc un changement de dimension dans nos investissements.

Pour quelles raisons les fonds d'investissement s'intéressent-ils de plus en plus au secteur financier, pourtant très réglementé et soumis à une forte concurrence ?

AF. Nous finançons les entreprises au même titre que les banques. L'univers des services financiers repose sur des fondamentaux solides avec une épargne de plus en plus abondante et un besoin croissant de financement des entreprises. Mais c'est un univers en profonde mutation où les acteurs historiques n'ont pas forcément vu venir les évolutions technologiques. Regardez dans le monde des paiements où une fintech, comme Adyen a su saisir les besoins du e-commerce et est désormais valorisée en Bourse 63 milliards d'euros ! Des pans entiers d'activités, comme la gestion d'actifs, le private equity ou le conseil, sortent ainsi du giron des banques pour de multiples raisons, de capital, de ressources ou de réglementation. Cette industrie change et ce changement s'accélère un peu plus à chaque crise. Ce qui offre d'immenses opportunités, même s'il existe manifestement une bulle sur les fintechs, comme il en existait une sur les GAFA au début de leur développement.

Quels avantages trouvez-vous à être coté en bourse ?

AF. Il n'y a que des avantages. Cela nous permet tout d'abord de conforter notre marque. Dans l'industrie financière, la confiance est capitale et le fait d'être coté est un gage de transparence. Ensuite, cela permet d'avoir une monnaie d'échange pour d'éventuelles acquisitions. Et les actions font partie de la rémunération de la plupart de nos collaborateurs. Enfin, il est plus facile pour une société cotée d'émettre des obligations, sans compter que nous avons procédé à deux augmentations de capital. En revanche, cela demande beaucoup d'efforts pour animer le titre, d'autant que la recherche devient de plus en plus rare en Europe pour des sociétés de notre capitalisation, surtout depuis la directive européenne Mifid, qui impose la rémunération de la recherche.

Aux Etats-Unis, il y a plus de sociétés cotées ayant un modèle comparable au nôtre. Si le marché américain a parfaitement compris notre modèle hybride, entre société d'investissement et gérant d'actifs, cela prend un peu plus de temps en Europe, mais cela évolue chaque jour.

Vous avez levé plus d'un milliard d'euros pour un fonds dédié à la transition énergétique. L'avenir de la finance sera-t-elle forcément vert ?

AF. Nous avons investi très tôt sur ces problématiques mais nous faisions de l'ISR (investissement socialement responsable, NDLR) sans le savoir ! Avant d'aller chercher les fonds des investisseurs, nous commençons à y mettre les nôtres, ce qui nous oblige à une vision de long terme.  Quand nous avons lancé, il y deux ans, notre premier fonds sur la transition énergétique en partenariat avec Total, les institutionnels nous ont d'abord regardé avec un certain étonnement. La thématique n'était pas encore au cœur des préoccupations. Mais, Total en connaissait parfaitement les enjeux et les technologies. C'est un partenaire de grande qualité et l'une des grandes entreprises au monde les mieux classées dans les critères ESG (concept lié à la RSE, ce sigle international désigne les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance qui permettent une analyse extra-financière d'une entreprise, NDLR). Pourquoi ? Parce qu'elle a compris, contrairement à d'autres, qu'il fallait transformer le modèle. C'est bien dans cette démarche que nous nous inscrivons.

MC. La finance verte est également une question générationnelle. Il est essentiel d'avoir un alignement d'intérêts sur les projets car les équipes les plus jeunes portent de plus en plus les projets par conviction. Et le référentiel a changé extrêmement vite. Il y a un moment où les gens se disent qu'investir dans le charbon, ce n'est tout simplement plus possible ! Mais il faut être également incitatif. En pleine pandémie, nous avons ainsi participé au lancement d'un fonds dédié à l'aéronautique, avec des partenaires industriels et l'Etat français, et obtenu sa gestion exclusive dans le cadre d'un appel d'offres pour accompagner la mutation du secteur et soutenir les acteurs clés à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

AF. Les épargnants veulent aussi clairement savoir où est investie leur épargne et souhaitent donner du sens à leurs investissements. C'est l'une des grandes tendances de ces dernières années au niveau mondial. Les investisseurs vont de plus en plus chercher l'épargne directement auprès des particuliers. Nous avons ainsi par exemple créé une Unité de compte « Transition énergétique » pour l'assurance-vie avec CNP Assurances, ainsi qu'un fonds ELTIF (European Long Term Investment Fund, NDLR) destiné à la clientèle privée espagnole désirant investir dans la transition énergétique. C'est toute la chaîne alimentaire de la finance qui est désormais concernée par l'ESG et l'impact.




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Commentaires 4
à écrit le 12/05/2021 à 9:32
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Bref! Alors que la croissance économique est un dogme en voix d’obsolescence certain s'y raccrochent! Un monde virtuel s'ouvrent a eux!

à écrit le 12/05/2021 à 8:58
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faut songer a arreter les frankenstein financiers les outils existent y a des fonds specialises small caps, y a des gens facon eurazeo dont c'est le metier, etc....... si c'est pour refaire des produits foireux, ou a la fin sous couvert de fonds p...

à écrit le 12/05/2021 à 8:31
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La finance où notre argent les interesse, l'histoire des banques depuis leurs créations il y a 500 ans il fallait bien se douter que cela finirait en tragédie. Les comptables ne sont pas des dirigeants.

le 12/05/2021 à 10:09
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Bah vu ce que je viens d'apprendre sur les compteurs linky, je sentais bien qu'il y avait anguille sous roche mais je ne pensais pas du tout que ce serait cela, j'étais bien trop mesuré, plus rien ne m'étonne en dictature financière.

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