"Le gaz sera le vainqueur de la compétition des énergies" (Philippe Crouzet, PDG de Vallourec)

Malgré la dépendance du leader mondial des tubes en acier sans soudure à l'égard du brésilien Petrobras, qui a réduit brutalement ses commandes, le PDG de Vallourec est optimiste. Gaz de schiste, transition énergétique... Pour Philippe Crouzet, l'avenir est encore aux énergies fossiles.
Philippe Crouzet, PDG de Vallourec. / DR

LA TRIBUNE - Vallourec traverse une période agitée. Petrobras vous a contraint à annoncer un profit warning, puis vous sortez du CAC 40. Les fondamentaux du groupe sont-ils toujours aussi solides ?

Sur le marché du pétrole et gaz, les tendances de fonds restent favorables à Vallourec en termes de volumes et sur le plan qualitatif en dépit de la décision conjoncturelle de Petrobras de réduire ses stocks drastiquement. Les investissements des compagnies pétrolières sont en effet  à des niveaux historiques.  Les investissements industriels pour l'exploration-production gazière et pétrolière ont atteint 700 milliards de dollars en 2013. Contre 500 milliards il y a trois ans.

Ce sont donc des niveaux très élevés. Selon les évaluations des experts, les investissements devraient enregistrer en 2014 une croissance comprise entre 5 % et 6 %. Une croissance générée par les compagnies nationales plutôt que les majors qui seront un petit peu plus prudentes. C'est de bonne augure pour la croissance de Vallourec !

Ce qui veut dire que le secteur reste en pleine croissance...

... Les volumes sont en croissance à peu près partout. Le taux de croissance de nos produits premium est estimé entre 6 % et 8 % par an pour les prochaines années. Ce sont donc des taux de croissance qui sont forts, indépendamment des reports de certains projets qui vont s'étaler dans le temps. Nous restons optimistes parce que nos clients le sont. Ce n'est pas la méthode coué. Il  n'y a pas une compagnie pétrolière qui n'a pas pour objectif d'augmenter sa production.

Par exemple, Petrobras, veut atteindre  4,2 millions barils/jour, Total 3 millions barils/jour. Chacun des grands opérateurs du monde dont nous sommes fournisseur a des projets de croissance de sa production. Nous sommes dans un secteur qui se prépare à faire face à une augmentation de ses capacités de production.

Un pétrolier qui ne fore pas aujourd'hui, verra sa production diminuée. C'est un secteur où il y a énormément d'activité. Vallourec qui réalise 66 % de son chiffre d'affaires dans le pétrole et de gaz en 2013 (contre moins de 50 % il y a cinq ans), est réellement ancré sur un secteur de croissance.

La décision de Petrobras est-elle donc à ranger aux aléas conjoncturels ?

C'est une situation singulière sur une période limitée qui concerne Petrobras. qui a décidé de réduire drastiquement et brutalement ses stocks jusqu'à la fin de l'année sans lancer de nouvelles commandes comme cela était prévu.

Mais nous savons qu'une fois qu'ils auront ramené leurs stocks au niveau bas requis, il est évident qu'ils vont devoir à nouveau recommander pour continuer leur exploitation. On est vraiment en mesure de dire que c'est un « one shot ». Cette décision a un impact limité dans le temps, sur le troisième et surtout quatrième trimestre de cette année.

Quand vous ont-ils prévenu ?

Nous avons communiqué dans les jours qui ont suivi la décision de Petrobras. C'est réellement comme cela se passe dans le monde du pétrole et du gaz. Ce sont des décisions brutales que les fournisseurs ne peuvent pas anticiper. Les personnes qui connaissent ce métier le comprennent bien. A nous de réagir très vite. Nous avons une équipe de direction très réactive parce qu'elle vit dans un secteur où il y a des hauts et des bas en permanence. 

Quand un problème de ce type arrive, nous avons déjà  un certain nombre de plans prêts. Ce qui nous permet de réagir très, très vite. Par exemple, nous avons en termes d'investissements nos listes de priorité.

Attendiez-vous à une réaction aussi brutale des marchés ?

Elle était prévisible. Depuis cette annonce, nous avons rencontré nos principaux actionnaires qui ont compris qu'il s'agissait d'un événement singulier.

Pourquoi finalement Petrobras a-t-il pris une telle décision alors que le groupe a devant lui un énorme plan d'investissements ?

Petrobras souffre d'un contexte brésilien particulier qui lui est très défavorable et qui s'est dégradé depuis un an. Indépendamment d'être producteur de pétrole, la compagnie est aussi le fournisseur numéro un au Brésil d'essence et de gasoil pour l'automobile. Cette consommation a explosé au cours de ces dernières années en partie absorbée par l'éthanol sur lequel le Brésil a beaucoup misé.

Mais la production d'éthanol a beaucoup baissé notamment en raison de la sécheresse. Il y a donc aujourd'hui beaucoup plus de demandes que d'offres pour l'essence et le gasoil produit par Petrobras, qui n'a pas de capacité de raffinage suffisante. Ce qui les oblige à importer des produits raffinés alors que la monnaie brésilienne a fortement perdu de sa valeur contre le dollar. Le coût d'importation des produits raffinés a énormément augmenté et Petrobras n'a pas pu répondre par une hausse des prix à la pompe. 

Cette activité a donc été génératrice de fortes pertes. Tout en continuant son programme d'investissement considérable (250 milliards de dollars) et vital pour sa croissance, Petrobras a donc été amené à prendre des décisions inattendues et  brutales pour pouvoir continuer sur une trajectoire de croissance de ses profits.

Ce cercle infernal ne remet-il pas en cause le plan d'investissements de Petrobras ?

Non. Petrobras est une société qui doit faire face à un programme d'investissements le plus important du secteur pétrolier et gazier dans le monde. C'est en moyenne 50 milliards de dollars par an sur cinq ans pour une compagnie pétrolière qui ne produit que 2 millions de barils/jour encore en 2013. Ces investissements supportent et soutiennent sa croissance.

Petrobras a pour objectif de doubler sa production d'ici à 2020, c'est-à-dire passer à plus de 4,2 millions barils/jour. Petrobras reste bien dans une continuité de croissance. Ce qui est favorable à Vallourec car c'est autant de tubes à livrer : nous sommes le seul fournisseur de Petrobras pour les tubes les plus techniques utilisés en off-shore profond.

PHILIPPE CROUZET

La croissance de Petrobras est aussi la vôtre...

Exactement.  Et nous n'avons pas de doute sur la croissance de Petrobras. Cette compagnie est en train de réaliser une des performances les plus exceptionnelles du secteur gazier et pétrolier depuis très longtemps. Sept ans après avoir découvert des gisements en off-shore profond  (presalt) à plus de 300 km des côtes brésiliennes, Petrobras produit déjà à partir de ces champs 500.000 barils/jour. Soit un quart de sa production.

Dans l'histoire des grandes découvertes du monde de ce secteur depuis 20 ans, il n'en y a pas de plus importantes. Deuxièmement il n'existe pas de précédent d'une montée en régime aussi rapide pour des gisements aussi compliqués. Techniquement, technologiquement et industriellement,  c'est un très grand succès.

Certaines mauvaises langues estiment que Vallourec est trop lié à Petrobras ?

Nous sommes leur seul fournisseur pour l'activité presalt et nous sommes très dominants pour l'ensemble de leurs autres activités. Au total Petrobras représente entre 5% et 10% de notre chiffre d'affaires, le Brésil 25%. Je considère que ce lien étroit comme un atout, un plus. Nous avons la chance d'être porté par cette situation exceptionnelle. Revers de la médaille, Vallourec doit prendre sa part quand Petrobras rencontre des difficultés.

De même que c'est un atout d'être un partenaire de Total, d'Aramco et de quelques autres. Je préfère avoir ces grands noms dans mon portefeuille que de ne pas les avoir.

Est-ce surprenant que certains pays du Moyen Orient reportent leurs investissements alors qu'il y a un déclin de leurs réserves ?

Au Moyen Orient, toutes les compagnies nationales ont des projets de développement et de croissance extrêmement importants dans lesquels Vallourec a toute confiance. Ces projets de croissance sont soutenus par l'épuisement progressif des gisements anciens (la déplétion) et par la nécessité d'accroître les capacités de production de gaz en vue de répondre aux besoins nationaux de ces pays en développement. Premièrement, les experts considèrent que les puits anciens de cette région perdent chaque année au moins 5% de leur capacité. Ce qui veut dire que chaque année pour maintenir leur production les compagnies nationales doivent compenser d'autant, en forant l'équivalent de 5% de leur capacité existante.

Parallèlement à cela, les populations des pays du Moyen Orient ont des aspirations à des modes de vie différents, en particulier avoir un confort, la climatisation.... Cela se traduit pour ces pays par des besoins de production d'énergie électrique considérable. Ainsi, il existe beaucoup de projets de centrales de production d'énergie électrique. A cela s'ajoute des besoins d'eau dans cette région. Cela veut dire désalinisation. Ces usines qui désalinisent l'eau de mer consomment énormément d'énergie électrique et ont besoin d'une centrale électrique à côté. 

Pour faire face à cette demande en énergie, ces pays cherchent du gaz plutôt que de brûler inutilement du pétrole.  Car l'exploitation du gaz est moins chère et moins polluante. Des compagnies nationales ont donc commandé énormément de tubes depuis 18 mois et ont accumulé des stocks de tubes. Elles sont en train de réviser à la baisse leur commandes car elles ne sont pas capables d'utiliser ces tubes aussi vite qu'elles ne l'espéraient.  Certains clients travaillent avec pratiquement un an de stocks, c'est beaucoup trop dans nos métiers. Donc ils ajustent. Ce ne sont que des petits ajustements.

Ces reports de projets sont-ils uniquement localisés au Moyen Orient ?

A une moindre échelle, il y a essentiellement des reports de projets off-shore à l'image de ceux de Petrobras. C'est vrai aussi en Afrique de l'Est africain, Afrique de l'Ouest et en Mer du Nord. Ce sont des projets énormes sur lesquels les compagnies pétrolières font effectivement un travail de révision pour en réduire les coûts. C'est cela qui peut générer des reports de projets. Il faut réingénierier et refaire le design d'un certain nombre de projets pour en réduire le coût. Pour Vallourec, ces décisions n'ont pas un impact significatif mais nous l'avons signalé parce qu'elles ont un impact sur 2015.

Donc la théorie du peak oil est morte ? 

Il existe un énorme appétit de croissance. On est très loin du « peak oil », qui est un thème des  années  80 puis de 2000.

En réalité le besoin de pétrole et de gaz reste extrêmement fort. Le monde, notamment pour des raisons démographique mais pas seulement, a besoin de ressources fossiles. Ce qui n'est pas contradictoire avec le fait de développer les énergies renouvelables. Mais les rythmes, et surtout les masses en jeu sont très, très différents. 

Le renouvelable se développe très vite mais est parti pratiquement de zéro. Avant que le renouvelable puisse se substituer durablement aux ressources fossiles, il va se passer encore beaucoup de temps.

Ces reports ont-ils un impact sur le social dans votre groupe ?

En France,  ce sont ajustements temporaires dans les usines impactées, qui se font par les congés et les comptes d'épargne temps que l'on sait utiliser chez Vallourec aussi bien en France qu'en Allemagne. Lorsque nous avons besoin de faire une adaptation conjoncturelle, nous amortissons les chocs comme cela.

Bien sûr on réduit aussi le nombre de travailleurs temporaires et les CDD. Ce sont des ajustements classiques que l'on fait en ce moment dans certaines usines à cause de quelques reports de projets conjoncturels au Moyen Orient et en Mer du Nord.

Finalement, pour Vallourec c'est très bénéfique la multiplication des forages de gaz qui sont plus rentables que ceux  de pétrole ?

Le forage de gaz est plus technique car plus à risques. Nous travaillons essentiellement sur les connexions qui doivent être plus beaucoup plus étanches dans le cas du gaz. Elles sont au maximum d'étanchéité pour éviter tout risque de fuite, donc d'explosion. D'une façon générale, ce sont des investissements très importants pour les compagnies nationales et les majors.

Quelle est votre sentiment avec la sortie de Vallourec du CAC 40 ?

C'est d'abord la reconnaissance de la très belle performance de Valeo. Pour faire partie du CAC 40, la capitalisation boursière est un facteur important et celle de Valeo a évolué beaucoup plus favorablement que la nôtre l'année dernière. C'est bien sûr une déception pour nous. C'est une déception qui j'espère n'est que temporaire. Mais cet événement ne change pas notre stratégie ni  nos perspectives. Cela ne change pas non plus notre détermination à la mettre en œuvre.

Le changement vient aussi d'Amérique du Nord avec le gaz et le pétrole de schiste. Quels sont les enjeux pour Vallourec ?

Les Etats-Unis sont en train de vivre un véritable changement de paradigme énergétique. Les hydrocarbures non conventionnels,  gaz et « huile » de schiste -les Américains parlent de - « liquid gas  »- y sont en abondance. Tellement  qu'en 2013, la production américaine de pétrole a dépassé ses importations. Les Etats-Unis, qui étaient le premier importateur de pétrole avec environ 12 millions de barils par jour sont retombés à 7,5 millions l'année dernière, tandis que la production locale dépasse les 8 millions de barils par jour dont la moitié vient déjà du « liquid gas ».

D'ici peu, ils pourraient s'approcher de l'autosuffisance en matière pétrolière ! C'est un bouleversement. Imaginez que c'était le premier acheteur de pétrole dans le monde et qu'à un horizon de 4 à 5 ans, il pourrait pratiquement ne plus importer si ce n'est 1 à 2 millions barils. Ils seront bientôt également exportateurs de gaz dans un avenir proche. Cela change complètement leur stratégie énergétique et leur politique industrielle. Dans le nucléaire, dans les forages pétroliers en Floride, ils réduisent la voilure. Et ils n'ont construit aucune des douze usines de regazéification du GNL qui étaient en projet. Au contraire, pour exporter, notamment en Europe, ils construisent des unités de liquéfaction du gaz de schiste. La première va démarrer fin 2015.

Ce bouleversement de la donne énergétique américaine va avoir des conséquences économiques et géopolitiques planétaires. Les Etats-Unis vont devenir un concurrent des pays producteurs de gaz et de pétrole, et bénéficient d'un choc de compétitivité grâce à l'énergie bon marché qui leur permet de réindustrialiser leur pays, notamment dans le secteur pétrochimique.

PHILIPPE CROUZET

Oui, mais certains experts disent que n'est là qu'une bulle et que ces réserves s'épuiseront vite...

Ces gens-là ne sont pas allés voir de près ce qui se passe. C'est tout le contraire. C'est parce qu'il y a trop de gaz qui sort que les prix chutent. C'est une découverte qu'ils ont fait en exploitant les puits : non seulement ils sont plus productifs que prévu, mais en se reportant vers l'huile de schiste, ils se sont rendus compte en forant qu'il y avait à la fois du pétrole et du gaz.

Pour Vallourec, les Etats-Unis sont une opportunité considérable : c'est notre principal débouché en termes de volumes et nous allons produire plus de 700.000 tonnes de tubes dont l'essentiel va servir à l'exploitation de ces gaz et pétrole non conventionnels. Nous avons quasiment doublé la capacité de production de notre usine de Youngstown dans l'Ohio, tout près du plus gros gisement de gaz naturel non conventionnel des Etats-Unis, Marcellus. On a été les premiers à voir cette opportunité, on a bougé vite. Le gaz de schiste, c'est une réalité quotidienne. Ce n'est pas de la théorie. C'est une histoire de croissance où on est également très, très bien positionné. La spécificité du système américain, c'est que c'est un marché plus fragmenté, avec beaucoup de petits producteurs locaux, qui utilisent aussi des produits premium, mais c'est là aussi un élément de soutien à la croissance du groupe. Nous réalisons 20% à 25% de notre chiffre d'affaires aux Etats-Unis. Il sera en progression.

Les polémiques sur les conditions d'exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis ne vont-elles pas conduire au durcissement des normes ?

Contrairement à l'idée répandue, il y a eu très peu d'accidents. Les rares cas viennent de l'indiscipline de petits producteurs qui n'ont pas été assez prudents dans le traitement et le recyclage de l'eau utilisée pour fracturer la roche.

De nouvelles normes pour améliorer la transparence chimique sont en train de se généraliser, notamment sur la nature des produits chimiques mélangés à l'eau, Il y a eu beaucoup de désinformation : ces produits représentent 1% des liquides utilisés et servent à permettre aux billes de céramique de bien glisser dans la roche pour libérer le gaz. Il se fore plus de 10.000 puits par an aux Etats-Unis. Les contentieux sont en réalité très peu nombreux et se comptent sur les doigts d'une main. Il y a peu d'incidents et ceux-ci sont peu graves. L'essentiel du sujet concerne les bassins de décantation des eaux usées.

Avec un cadre réglementaire adapté, ce ne sont pas des forages dangereux, bien moins risqués que dans d'autres cas d'exploitation de puits conventionnels. C'est d'industrie qu'il s'agit. Comme dans toute industrie, il y a des risques et le rôle d'un industriel est de les maîtriser.

C'est un message que vous adressez à l'opinion publique en France, qui reste, comme le monde politique, opposé à l'exploitation des gaz de schistes ?

En France, le débat n'a pas lieu car la loi de 2011 l'a interdit. Je regrette que l'on ne nous permette même pas d'évaluer l'existence ou non de cette ressource. Avant de se poser la question de l'exploitation, encore faut-il au moins faire l'effort de regarder ce que contient notre sous-sol. Pourtant il était prévu par le législateur la création d'un organisme qui devait faire ce travail d'évaluation. Résultat, à vouloir rester aveugles, on ne sait rien des conditions d'une éventuelle production

A défaut de la France, vous regardez donc en Europe, où le tabou semble se lever...

Oui, cela semble moins compliqué chez nos voisins. Même les Allemands, à leur manière avancent. Ils n'ont pas envie manifestement d'être les premiers, mais ils ne veulent pas passer à côté d'une opportunité. Il y a donc des forages en cours et une réflexion sur le cadre réglementaire. Pareil dans le Nord de l'Europe au Danemark et Suède.

En Pologne, les résultats des premiers forages n'ont pas donné de bons résultats. Le gaz semble être prisonnier dans des couches plus profondes qu'aux Etats-Unis, ce qui veut dire des coûts plus élevés et une moindre rentabilité qu'aux Etats-Unis. Ceux qui avancent le plus vite, ce sont les britanniques, qui ont une approche systématique et où un cadre réglementaire vient d'être adopté, à l'unanimité, au Parlement. Un cadre assez rigoureux d'ailleurs, à l'européenne. Les britanniques ne sont pas moins sensibles que nous à la protection de l'environnement mais ils sont plus pragmatiques. Ils vont pouvoir explorer et mesurer si une exploitation est ou non économiquement viable.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'échéance d'une exploitation est lointaine, car il faut de cinq à dix ans pour pouvoir sortir le gaz, et il faut aussi des infrastructures pour le transporter. Nous n'avons pas en France le réseau de gaz des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, car nous avons fait d'autres choix énergétiques, en faveur de l'électricité.

Total a pourtant exploité le gaz de Lacq...

Le gaz de Lacq n'était pas un produit facile à sortir. Si on avait eu à l'époque les mêmes préventions qu'aujourd'hui, la France n'aurait jamais exploité ce gisement, où le gaz  est très souffré et corrosif. C'est d'ailleurs cette caractéristique qui a permis à Vallourec de devenir le leader actuel, car nous avons dû innover pour fournir des connexions uniques au monde et mises au point spécialement pour Lacq. J'en tire comme maxime qu'un peu d'audace industrielle stimule l'innovation et l'emploi...

Aux Etats-Unis aussi, nous avons innové pour adapter nos tubes aux contraintes physiques très fortes de forages horizontaux sur de longues distances. Vallourec investit 90 millions d'euros par an pour sa R&D. A ce niveau-là, on est l'industriel du secteur qui investit le plus en R&D. Nous estimons que c'est suffisant pour faire face à tous nos challenges. Nous ne réduirons pas notre R&D pour accompagner nos clients.

Le projet de loi de Ségolène Royal sur la transition énergétique a été présenté et devrait être débattu cet automne. Qu'en pensez-vous ?

Notre vision du sujet n'est pas franco-française. Nous réalisons 20% de notre production en France mais seulement 4% de nos ventes. Je ne peux que souscrire aux objectifs de ce débat : renforcer notre sécurité énergétique, et notre compétitivité, car le prix de l'énergie compte beaucoup et que nous voulons continuer de produire en France. Réduire notre dépendance énergétique - en tout cas ne pas l'augmenter - est crucial car les 75 milliards d'euros du déficit de notre balance commerciale viennent presque exclusivement de notre facture énergétique.

Donc, soit on découvre et on exploite nos propres ressources, mais il faut être réaliste sur ce point ; soit nous réduisons notre consommation d'énergie, selon le principe qui dit que l'énergie la moins chère est celle que l'on dépense pas. Les gisements d'économies d'énergie sont bien connus : c'est le transport, d'où l'urgence qu'il y a à découvrir des moyens de diminuer la consommation de carburants des véhicules ; et le logement, où l'écart reste énorme par rapport à d'autres pays en avance sur nous dans la rénovation énergétique des bâtiments.

Pour ce qui touche aux grands choix énergétique, c'est une question politique. Je remarque cependant que les énergies renouvelables sont chères et intermittentes, et que nous continuerons donc d'avoir besoin dans notre mix énergétique du carbone et du nucléaire encore longtemps. Tant que nous ne saurons pas stocker l'électricité, en tout cas... Il y a des régions du monde où le vent souffle et la lumière est abondante en permanence : ce n'est pas le cas chez nous.

Et à l'échelle du monde...

Notre vision est que les énergies renouvelables vont se développer mais lentement. Le nucléaire repart dans les pays qui l'acceptent, notamment la Chine, le Brésil, ou même le Royaume-Uni. Comme les énergies fossiles resteront nécessaires, je pense que le charbon est là pour longtemps car il n'est pas cher à exploiter. Ce n'est pas une bonne nouvelle en termes d'émissions de CO2, mais on commence à avoir des technologies propres pour réduire cet impact. Le charbon bénéficie aussi du report des Etats-Unis vers les hydrocarbures non conventionnels.

Les Américains vendent en Europe, en Allemagne notamment, leur surcapacité de charbon, ce qui se fait au détriment des installations gazières qui ferment. Ce n'est pas très rationnel sur le plan écologique, mais c'est la conséquence de l'absence de politique énergétique européenne. Toujours au niveau mondial, le pétrole va conserver sa part de marché, mais celle-ci ne va plus croître, car les coûts de production augmentent puisqu'il faut aller le chercher sous les mers, de plus en plus loin.

Donc, selon nous, le grand vainqueur de la compétition mondiale des énergies sera le gaz, en particulier sous sa forme liquéfiée (GNL). Il est nécessaire comme back-up des énergies renouvelables, il est abondant sur la planète même s'il reste plus cher que le charbon. Sur le plan géopolitique, cela veut dire que les pays riches consommeront plus de gaz, pour tenir les engagements climatiques, et les pays « pauvres » plus de charbon.

Le patriotisme économique est-il légitime ?

Le débat sur le patriotisme économique est tout à fait légitime. Il ne faut pas avoir de honte à l'avoir. Tous les pays se comportent de la même façon. Tous, même les plus libéraux, y compris les Etats-Unis. En Allemagne, je me souviens de la façon dont le gouvernement a bloqué une acquisition par Airbus de BAE Systems. Je ne trouve donc pas illégitime que les pouvoirs publics français s'intéressent à un certain nombre de sujets. Quand un centre de décision se déplace à l'étranger, cela peut avoir des conséquences même si elles ne sont pas immédiates. C'est important de conserver de vrais centres de décisions en France. 

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Commentaires 29
à écrit le 02/07/2014 à 1:33
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Vous rendez-vous compte, nous dépensons 69 milliards d'euros par an pour acheter du pétrole et du gaz à l'étranger. Cela représente "un pacte de responsabilité" chaque année. Imaginez le résultât si chaque année on injectait 50 milliards d'euros d...

à écrit le 30/06/2014 à 13:51
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Excellente analyse et pour une fois à peu près équilibrée

le 30/06/2014 à 18:44
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Alors pourquoi vends-tu si cher ton gaz aux ukrainiens comparativement aux autres s'il y en a pour si longtemps Vladimir ?

le 30/06/2014 à 21:10
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On ne peut pas dire que les russes surfacturent leur gaz aux ukrainiens. C'est plutôt que dans le passé les ukrainiens achetaient à un prix très inférieur au prix de marché (et donc beaucoup moins cher que ce que nous payons nous). Mais depuis que l'...

à écrit le 30/06/2014 à 13:14
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Et donc pour la France, tout sur le gaz de schiste et rien sur le potentiel du Biogaz et de la méthanisation (même produit au final, mais renouvelable à l'infini), alors qu'il y a la plus grande agriculture d'Europe !

le 01/07/2014 à 0:37
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C'est déjà en cours avec grdf! Mais il faut savoir que les volumes produits par mechanization ne couvriront jamais les besoins de consommation. Cela restera un complément.

à écrit le 30/06/2014 à 11:53
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il faut accélérer le développer des centrales biomasse/biogaz, mieux vaut tard que j'amais avec une cible 15% de nos besoins, on est très en retard sur les allemands

le 30/06/2014 à 23:32
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sur le fond d'accord , mais je le vois déjà dans certaines régions françaises ou les habitants se braquent contre de telles installations a coté de chez eux .. récemment une entreprise de bio gaz a annulé son implantation a coté de chez moi .. les ha...

à écrit le 30/06/2014 à 11:28
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Voilà le vendeur numéro un de tuyaux de gaz qui nous dit que le gaz va gagner!! C'est surement un cousin de monsieur de la Lapalisse. Il gagne combien par mois pour des prévisions comme celles-ci? Vite le CA qu'on lui donne une augmentation;

le 30/06/2014 à 23:34
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sur le fond il a raison , les USA mais aussi d'autres pays comme le bresil et d'autres construisent en ce moment des centrales au Gaz , le prochain rush énergétique sera sur le charbon qui commence a redresser le nez .. seulement la demande augmentan...

à écrit le 30/06/2014 à 10:35
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Pour votre information quelques fautes non exhaustive : verra sa production diminuée Certains clients travaillent avec pratiquement un an de stocks, c'est beaucoup trop nos métiers

à écrit le 30/06/2014 à 10:19
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En France, comme le reste du monde, l'énergie sert d'abord à la production de chaleur. Selon les derniers chiffres de l'ADEME Dans les résidences principales, 78% de l'énergie est utilisée pour le chauffage et pour l'eau chaude sanitaire. Da...

le 30/06/2014 à 12:28
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C'est tout a fait cela. Nos importation d'énergies fossiles, constituant l'intégralité de notre déficit commercial, ne servent principalement qu'a chauffer nos maisons et bureaux... Il va être temps de s'enlever les pouces du Q et d'enfin s'occuper d...

le 30/06/2014 à 13:53
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En maison individuelle, avec pierre apparente en extérieur  : - L'isolation par l'intérieur nécessite de refaire tous les corps d'états sur toutes les parois extérieures et parois adjacentes (évier – bidet – baignoire – douche – lavabos – alimentat...

le 30/06/2014 à 18:36
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@ Isolation de ma maison coûte une fortune : Tout le monde n'a pas un hôtel particulier du XVIIIe non plus ;o)) L'isolation d'un bâtiment par l'extérieur lors d'un ravalement n'ajoute pas tellement au prix global et est assez vite amorti dans la plup...

à écrit le 30/06/2014 à 9:11
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Ne pas oublier que le gaz de schiste pollue autant que le mazout ou le charbon dans son cycle complet d'exploitation (études Stanford, Cornell Univ etc). Que les énergies renouvelables ne partent plus de "zéro" ont dépassé le nucléaire, sont déjà les...

le 30/06/2014 à 9:29
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Bien vu Energitech. Et sans oublier l'efficacité énergétique !

le 30/06/2014 à 13:17
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Je partage aussi le point de vue d'Energitech. Le gaz a de l'avenir mais ce n'est pas la voie la plus pertinente si l'on veut viser le moyen long terme.

à écrit le 30/06/2014 à 9:03
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Bien sur, les énergies renouvelables seraient, ou seront, la meilleure solution. Mais en attendant qu'elles puissent réellement remplacer les fossiles, le gaz reste une excellente solution, et la France est riche pour des dizaines d'années de cette é...

le 30/06/2014 à 9:19
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Cette énergie (gaz de schiste) n'est pas assez rentable en France, les ressources ne sont pas certaines, elle fait prendre des risques, elle coûte des investissements qui peuvent être réalisés mieux encore dans les énergies renouvelables et elle ne f...

à écrit le 30/06/2014 à 9:00
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"Donc la théorie du peak oil est morte ? " Ce monsieur élude la question et prêche pour sa paroisse en évoquant la croissance, la démographie et les besoins de pétrole et de gaz.Tout au plus reconnaît-il qu'il faut aller chercher le pétrole toujours ...

le 30/06/2014 à 12:34
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Sauf que le principe : "l'énergie la moins chère est celle qu'on ne consomme pas" est bien évidemment faux car pour baisser sa consommation d'énergie il faut en général investir au préalable, par exemple dans l'isolation pour le bâtiment et cet inves...

le 30/06/2014 à 13:23
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@ @ JB de 12h34 : L'isolation est désormais obligatoire lors des ravalements avec des aides en contrepartie. Ce n'est pas l'isolation qui coûte le plus généralement en cas de ravalement, loin s'en faut ! Et pour les gens très pauvres les aides prenn...

à écrit le 30/06/2014 à 8:49
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L'énergie doit être analysée aussi par son aspect macroéconomique et pas uniquement technique, écologique et géopolitique.

à écrit le 30/06/2014 à 7:42
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Les énergies fossiles sont en voie d'épuisement accéléré et posent d'énormes problèmes en matière d'équilibre climatique et à moyen terme de survie de notre espèce. Il n'y a pas photo, le solaire, l'éolien et les autres formes d'énergie renouvela...

le 30/06/2014 à 8:04
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Bien vu pour votre pseudo...

le 30/06/2014 à 9:22
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Bonne remarque de Courte vue, Totoff devrait nettoyer ses lunettes !

le 30/06/2014 à 10:55
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Outre la surface et les réseaux nécessaires par les éoliennes et les PV pour produire des quantités massives d'électricité, comment proposez-vous de compenser leur facteur de charge très faible (à peine 25% pour les éoliennes, encore moins pour les P...

le 30/06/2014 à 13:30
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Les énergies renouvelables ne se limitent pas au PV et à l'éolien terrestre, loin s'en faut ! Et le PV se fait sous forme hybride dont thermique ce qui porte le rendement à près de 100%. Le réseau actuel permet une intégration des enr de plus de 40% ...

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