Armée européenne : un tabou est levé

Angela Merkel et Emmanuel Macron ont tous deux évoqué autour du 11 novembre l’idée d’une vraie armée européenne. Cette convergence inédite de la pensée et du verbe franco-allemands, qui a suscité l’ire américaine, marque un tournant. Un article de notre partenaire Euractiv.
(Crédits : skeeze / Pixabay / Creative Commons CC0.)

L'idée d'une armée européenne revient. Devant le Parlement européen réuni à Strasbourg, la chancelière allemande, Angela Merkel, a appelé à élaborer une vision en vue d'une armée européenne, là où le président français, Emmanuel Macron, quelques jours plus tôt a évoqué la nécessité de mettre en place une « vraie armée européenne ». Une convergence de pensée franco-allemande assez rare. Que faut-il en penser ?

L'idée d'une armée européenne n'est pas nouvelle. Cette notion a été évoquée par différents dirigeants européens, souvent venus de la démocratie chrétienne, mais pas systématiquement, avec parfois des vues très diverses sur le futur de l'intégration européenne.

Elle avait été évoquée un moment par Silvio Berlusconi quand il présidait le conseil des ministres italiens. Plus récemment, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker (PPE) a évoqué l'hypothèse dès le début de son mandat, rejoint par d'autres dirigeants venus d'Europe de l'Est comme le président tchèque conservateur Miloš Zeman, l'ancien Premier ministre tchèque social-démocrate Bohuslav Sobotka, voire le Premier ministre hongrois (PPE) Viktor Orban. Ce projet a aussi été intégré dans le programme du parti populaire européen défini à Madrid il y a trois ans.

Un tabou est levé

Pourtant, jamais un responsable français en poste n'avait évoqué cette idée, de façon aussi précise, depuis le projet d'une communauté européenne de défense, repoussé in extremis par les Français.

Un tabou est levé. Certains diplomates soucieux d'édulcorer le propos présidentiel estiment que le chef de l'État n'a pas voulu parler « d'armée » mais de l'initiative européenne d'intervention ou d'autres projets. C'est faire peu de cas du rôle spécial du président français ,qui est aussi le chef de l'armée.

À ce titre quand il évoque « une vraie armée européenne », ce n'est donc pas d'un simple projet de coopération qu'il évoque. D'autres pourraient estimer qu'avec ce propos, il veut surtout marquer les esprits, ne pas laisser à Berlin le monopole de l'initiative, redorer son blason dans une atmosphère de pré-campagne électorale difficile.

Le propos est d'autant plus important qu'Emmanuel Macron donne deux objectifs à cette force : la nécessité de faire « face à la Russie », et d'avoir « une Europe qui se défend davantage seule, et sans dépendre seulement des États-Unis et de manière plus souveraine ».

Merkel plus classique

Le propos d'Angela Merkel est plus classique. Il figurait déjà dans le contrat de coalition CDU-SPD conclu début 2018 et a été déjà cité par plusieurs responsables nationaux. Il a ainsi été repris très récemment dans une tribune publiée dans le Handelsblatt par le philosophe allemand Jürgen Habermas, l'ancienne ministre sociale-démocrate de la Justice Brigitte Zypries et le membre de la CDU Friedrich Merz, aujourd'hui pressenti pour succéder à Angela Merkel.

La chancelière, fidèle à sa ligne, a aussi apporté plusieurs précisions que n'avait pas pris soin de donner le président français. Premièrement, il s'agit d'un projet à long terme, le premier acte étant « d'élaborer une vision », pour arriver « un jour » à une « véritable armée européenne ». Ensuite, il s'agit d'un « complément à l'OTAN » non d'un outil dirigé « contre l'OTAN ».

Un projet utopique ?

Si on se fie à la fusion de toutes les armées nationales en une seule, à l'échelle de l'OTAN ou de l'Union européenne, oui ce projet est carrément utopique, et ne pourrait se produire à moins d'un cataclysme.

Même en pleine débâcle, lors de la seconde guerre mondiale, le 16 juin 1940, la France avait refusé un projet d'armée commune que lui proposaient la chambre des Communes britannique sur instigation de Jean Monnet et Winston Churchill.

Si le projet consiste à accomplir certaines tâches pragmatiques, mettre en place une force complémentaire des armées nationales, dans un objectif de défendre le territoire européen ou de venir en aide aux citoyens européens, l'idée est certes complexe, difficile à mettre en œuvre, mais pourrait constituer un projet d'avenir ambitieux pour l'Europe qui en manque tant.

Mais il semble difficile de dérouler ce projet dans le cadre actuel de l'Union européenne. Le traité prévoit certes la définition progressive d'une politique de défense commune, mais l'unanimité reste requise. Si ce projet veut avoir quelques chances d'aboutir, il ne devrait pas plus réunir plus de cinq ou six pays dont la France et l'Allemagne, du moins, au départ. Au-delà, le commandement des opérations s'avère complexe.

Enfin la mise en place d'une nouvelle structure de souveraineté comme l'octroi de certaines prérogatives de puissance publique, nécessite une organisation plus intégrée que celle actuelle de l'Union européenne.

L'échec de la communauté européenne de défense n'est pas un excuse

Le projet de la communauté européenne de défense (CED) a échoué il y a plus de 60 ans. La décolonisation n'était pas achevée, l'Allemagne était toujours divisée en plusieurs zones d'occupation, très effectives, la Sarre bénéficiait encore d'un statut spécial. Le mur de Berlin n'était pas encore construit et l'armée allemande n'avait pas été autorisée à se reconstituer.

D'autre part, la CED n'était pas vraiment un projet d'armée européenne. Et l'objectif principal de la CED était de permettre le réarmement de l'Allemagne, ces unités étant placées non sous commandement européen, mais américain.

On était donc à la fois dans un autre monde et dans un autre projet qu'une armée authentiquement européenne. Ressortir à chaque fois l'échec de la CED pour ne pas discuter d'un projet nouveau ressort de la psalmodie -et d'un certain défaitisme.

__

Par Nicolas Gros-Verheyde, Euractiv.fr

(Article publié le vendredi 16 novembre 2018 à 9:42, mis à jour à 15h57)

___

Retrouvez toutes les actualités et débats qui animent l'Union européenne sur Euractiv.fr

EURACTIV 2017 new logo

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 14
à écrit le 17/11/2018 à 18:57
Signaler
N'en déplaise a Mr Macron, il lui faudra créer un nouveau nationalisme niveau "impérial" sur les décombres des nations! Mais n'obtiendra l'appui d'aucun Patriote!

à écrit le 17/11/2018 à 13:53
Signaler
Comment on gâche une bonne idée par un coup de pub idiot et provocateur: Pas d'argent, pas toutes les technologies, pas les mêmes besoins, pas les mêmes stratégies, pas les mêmes ressources, il y a du travail sur la planche, mais enfin, il y a un peu...

à écrit le 17/11/2018 à 9:57
Signaler
Une armée européenne Ho ho ho !Et quelle langue parleront ces soldatsparmis les 20 qui composent l'Europe !A oui la langue moderne ,l'anglais !On aurait pas l'air conde voir les soldats européens parler une langue qui n'est pas la leur ,une langue ét...

le 18/11/2018 à 17:00
Signaler
La menace russe n'est qu'un prétexte pour faire vivre l'OTAN qui n'est qu'une extension de l'armée US. Le fait de créer une armée européenne n'a pas d'autre but que de ne plus dépendre des USA, c'est bien pour ça que ça énerve Trump et pas Poutine. ...

à écrit le 16/11/2018 à 22:31
Signaler
Qui risquerait sa peau pour défendre l'Union Européenne, ce monstre technocratique ? Personne. Qui risquerait sa peau pour défendre son Pays, la terre de ses Aïeux ? Beaucoup, pour ne pas dire presque tous les citoyens de ce pays !

à écrit le 16/11/2018 à 21:32
Signaler
Il est grand temps qu'on dispose enfin d'une mutualisation des moyens , pour marquer notre unité, nos frontières, démontrant ainsi qu'il n'y a plus de pb de conflits entre nous Macron a par contre raté le fait de faire de son service "militaire" new...

à écrit le 16/11/2018 à 19:11
Signaler
Mise en commun de moyens, créer des forces européennes, c'est évidemment possible (n'avons-nous pas déjà un bataillon franco-allemand). Mais pour la dissuasion nucléaire, utilisation d'outils lourds (porte avions), choix des flottes (navales, aérienn...

le 17/11/2018 à 8:14
Signaler
Pour avoir une défense "commune" en plus de ce que vous évoquez, il faudrait avoir "une langue commune" c'est la différence entre les US, la Russie et la Chine. Parce que s'il faut traduire un ordre en 28 langues, ce n'est pas gagné d'avance. En plus...

à écrit le 16/11/2018 à 18:49
Signaler
je la vois bien cette armée européenne , corps terrestres avec blindés allemands confiés au commandement de Rommel , aviation d'attaque avec rafales , airbus de transport , hélicoptères tigre et puma commandée par Guynemer , marine avec porte- avions...

à écrit le 16/11/2018 à 17:48
Signaler
Reconnaissons que notre Président à ete tres maladroit à l'encontre des états unis dont nous avons encore besoin meme s'il fallait souligner leur arrogance par exemple sur l'Iran .Il aurait gagne à leurs faire en plaisir un exprimant la necessite d'...

à écrit le 16/11/2018 à 17:41
Signaler
Une armée européenne de mercenaire, mais nullement démocratique, pour défendre des intérêts privés!

le 18/11/2018 à 17:02
Signaler
Parceque l'armée US s'est battu en Irak pour la démocratie? Ou pour le pétrole?

à écrit le 16/11/2018 à 17:41
Signaler
Une armée européenne de mercenaire, mais nullement démocratique, pour défendre des intérêts privés!

à écrit le 16/11/2018 à 17:38
Signaler
L'article 42 du Traité de l'Union européenne a pour effet de soumettre la défense, la politique européenne de sécurité et de défense de l'Union européenne sous la tutelle de l'Otan, puisque l'Otan est mentionné expressément dans cet article 42 comme ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.