Il s'agit de préserver la « souveraineté alimentaire » de la France. Serge Papin, l'ancien patron de Système U, appelle à rendre « non négociable » la prise en compte du coût des matières premières agricoles dans la fixation des prix entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Dans un rapport rendu à Julien Denormandie et Agnès Pannier-Runacher, respectivement ministre de l'Agriculture et ministre déléguée à l'Industrie, il demande une nouvelle loi en la matière.
Après avoir auditionné « plus de soixante parties prenantes », le chef d'entreprise préconise notamment de rendre obligatoire la signature d'un contrat pluriannuel entre l'agriculteur et l'industriel qui transforme ses produits. « Ce contrat doit devenir le fil conducteur de la négociation finale », fait-il valoir.
En aval, pendant la négociation entre l'industriel et la distribution, la part qui revient à chacun dans la répartition du prix de la matière première agricole devra « figurer comme un élément non négociable ». « De ce fait, il implique la transparence sur le prix payé par le premier transformateur au producteur au moment de la signature du contrat commercial. Ce prix pourrait même figurer à part sur les factures », note le rapport.
Négocier le prix en amont
Des propositions saluées par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). « Les leviers devant être renforcés ont été clairement identifiés par Serge Papin », a réagi le syndicat dans un communiqué jeudi 25 mars. « Le producteur et l'industriel doivent en effet d'abord négocier le prix en amont. Aujourd'hui, c'est l'inverse : le distributeur le fixe en concertation avec l'industriel, qui va ensuite déterminer celui pour l'agriculteur, indépendamment de ce qu'il demande », précise sa présidente, Christiane Lambert à la Tribune.
Ce procédé conduit nombre d'entre eux à vendre à perte. « Les éleveurs en particulier voient leurs coûts de production flamber avec l'envolée du prix des céréales entrant dans la ration des animaux », regrette Serge Papin. Alors que l'agriculture est devenue « la variable d'ajustement dans ce rapport de force », avec des négociations parfois « brutales », il exhorte à une remise en cause du système. « Si on ne bifurque pas, la pérennité même de notre modèle agricole est remis en cause », alerte-t-il.
Indexation du prix sur les intrants
Concrètement, la durée du contrat qu'il propose serait de trois ans renouvelables, et pourrait même s'étendre à six ans en cas d'investissements industriels importants, afin d'assurer l'amortissement. « Sortir des négociations commerciales annuelles permettrait d'engager un dialogue sur le temps long. Afin de faire naître des stratégies de coopération et non plus d'opposition », explique l'auteur du rapport.
Pour garantir une juste répartition, ce contrat serait établi sur la base d'« indicateurs de prix de référence » acceptés par les deux parties, de manière à tenir compte des coûts de production interprofessionnels. S'ils sont établis, ces marqueurs devront être à la fois « légitimes et crédibles », souligne Serge Papin.
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En outre, ils devront prévoir des « clauses mécaniques d'indexation du prix basées sur la hausse ou la baisse des intrants », comme les fertilisants ou la nourriture du bétail, « qui ont un impact sur le prix de la matière première agricole ».
D'aucuns pourraient craindre une forte augmentation des prix pour le consommateur. Il n'en est rien, assure Serge Papin : « Cela concernerait seulement les produits agricoles issus de la première transformation, c'est-à-dire qui ont une matière première agricole majoritaire. Si augmentation il y a, celle-ci serait de quelques centimes ». Et de prendre l'exemple de l'entreprise Bonduelle : la hausse de 5% de la rémunération de ses producteurs s'est traduite par une hausse de 1% seulement du prix au kilo de ses haricots (4 centimes).
Mais pour la FNSEA, il faut aller plus loin. Le syndicat plaide pour contraindre l'élaboration par une tierce partie de ces indicateurs de coût de production, seul moyen d'« avoir réellement un impact sur le revenu des agriculteurs ». « Aujourd'hui, les coûts de production sont décidés par les interprofessions. Nous souhaitons qu'il soit obligatoire qu'une autre instance publie une référence, écrite noire sur blanc, dès lors qu'il y a un contrat. Pas seulement que ce soit recommandé », précise sa présidente Christiane Lambert à la Tribune.
Des agriculteurs mal représentés
Par ailleurs, Serge Papin propose de renforcer les pouvoirs du médiateur, dont le rôle est de faciliter le dialogue entre partenaires commerciaux de la chaîne alimentaire. « A l'issue de la médiation, dont la période devrait être rallongée, il faut imaginer une forme de proposition d'arbitrage permettant de trancher », est-il précisé. Une mesure défendue par la FNSEA, qui défend la mise en place d'une instance arbitrale en cas de litige.
Surtout, le chef d'entreprise recommande la création d'entités plus fortes de la profession pour mener les concertations. « C'est un milieu très atomisé. L'éclatement de leur représentation les affaiblit. Ensemble, [ils] arriveront à s'ouvrir à d'autres modes de distribution ou de valorisation de leurs produits et ainsi de sortir de la sous-traitance », souligne-t-il.
Pression sur les prix
Le rapport intervient plus de deux ans après la promulgation de la loi alimentation (EGAlim), dénoncée par de nombreux agriculteurs pour ses dysfonctionnements. Des milliers d'entre eux ont à nouveau manifesté ce jeudi 25 mars à Lyon et à Clermont-Ferrand pour « défendre leur métier », qu'ils estiment mal rémunéré. Face à ce constat, Serge Papin avait été missionné début octobre pour trouver les moyens de rééquilibrer le rapport de force.
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Selon le dernier rapport de l'Observatoire de la formation des prix et des marges, sur 100 € de dépenses alimentaires, 6 € seulement reviennent au producteur. « Les plus forts et les mieux organisés, en l'occurrence la grande distribution et les grandes entreprises, sont les gagnants du système actuel », tandis que « les agriculteurs, moins bien organisés et moins bien équipés pour la négociation, sont le maillon faible de la filière », note Serge Papin.
« Il faut sortir de la confrontation permanente entre acteurs de la filière. Ce renouvellement ne pourra se mettre en place que si l'on arrive à un mécanisme vertueux, pour stopper cette guerre des prix », a réagi Carole Ly, conseillère économie agricole et agroalimentaire au cabinet de Julien Denormandie.
Ce dernier avait affirmé le 24 mars aux Echos mener des discussions avec les parlementaires pour que ces recommandations « soient suivies d'effet ». Lors de la séance de questions au gouvernement au Sénat, il avait assuré vouloir « faire bouger les lignes » pour cesser ce « jeu de dupes » des négociations commerciales annuelles.
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