Les actions se multiplient, signe que l'échéance approche. « Réforme de la PAC : à quand un virage agroécologique ? » affichait en fin de matinée une banderole déployée par la Confédération paysanne, la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB) et Greenpeace, entre autres, devant le ministère de l'Agriculture, à Paris. Au même moment, à Strasbourg, près de 1.500 tracteurs convergeaient devant le Parlement européen, à l'appel de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles (FRSEA) et des Jeunes agriculteurs (JA) du Grand Est. « Plus vert, c'est plus cher », pouvait-on lire sur les pancartes.
Quand les premiers, réunis dans le collectif « Pour une autre PAC », demandaient à « tourner la page d'un modèle agro-industriel à bout de souffle » - dénonçant le statu quo en matière d'écologie, les seconds, inquiets de voir des aides précieuses leur échapper, fustigeaient les éco-régimes - ces primes accordées aux agriculteurs participant à des programmes environnementaux plus exigeants, qui seront obligatoires dans la nouvelle PAC.
Des revendications différentes, pour un objectif commun : peser sur les négociations de la future Politique agricole commune (PAC) pour 2023-2027 et ses 386 milliards d'euros de budget, dont le cadre général est en cours de discussion à Bruxelles, et la déclinaison nationale discutée, en parallèle, rue de Varenne.
Quel fléchage vers la transition ?
L'un des principaux points de tension réside dans les aides attribuées aux exploitations afin d'accompagner la transition écologique. Concrètement, avec ce dispositif, entre 20 et 30% des aides directes du premier pilier de la PAC (qui concerne celles allouées directement aux agriculteurs pour leur assurer un revenu minimum) - soit, pour la France seulement, au minimum 1,5 milliard d'euros sur les 8,8 milliards d'euros totaux allouées à l'Hexagone -, seraient conditionnées à la mise en place de certaines pratiques agricoles, comme le maintien des prairies, la réduction des pesticides, la diversification des cultures ou encore le soutien à la biodiversité et à l'agriculture biologique.
Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs se déchirent autour des contours de ce mécanisme, dont beaucoup craignent qu'ils privent une partie des paysans de leurs revenus actuels, pour favoriser les fermes les plus avancées en la matière. C'est pourtant l'inverse qui se dessine, a fait valoir la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB) ce matin : selon les premiers arbitrages, l'agriculture biologique perdrait 132 euros par hectare et par an, soit 66% de ses aides, estime le syndicat. Et la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) serait traitée à la même égide que le bio, pourtant plus regardant.
« Entre 2015 et 2019 un agriculteur bio touchait en moyenne 202 euros par hectare et par an d'aides environnementales sur le pilier 1 de la PAC [...] Les premiers arbitrages pour la future politique agricole commune [...] propose de passer ce montant à 70 euros par hectare et par an pour la Bio, au même niveau que d'autres pratiques agricoles qui autorisent les pesticides et engrais azotés de synthèse », a-t-on expliqué à la FNAB.
Migrer vers un nouveau système
Une mesure incompréhensible pour le syndicat, alors même que la future PAC se veut plus ambitieuse sur le plan de la transition écologique. « Il faut réellement rémunérer les services environnementaux fournis, pour inciter à arrêter d'utiliser des pesticides et des engrais azotés, et conditionner 25% de l'aide à des pratiques et des labels vertueux, ou à une évolution dans ce sens », a ainsi fait valoir Guillaume Riou, son président. D'autant que, pour les agriculteurs bio, ces revenus supplémentaires ne seraient pas de trop : produire avec ce label coûte plus cher et demande un cahier des charges techniques exigeant, ainsi qu'une plus grande surface, a-t-il souligné.
A Strasbourg, le discours était tout autre : « Les contraintes environnementales deviennent tellement importantes et ubuesques qu'elles sont presque impossibles à mettre en œuvre. On ne peut pas faire que de l'environnement sans tenir compte de l'économie », a déclaré à l'AFP Fabrice Couturier, président de la FDSEA Moselle. Et Eric Thirouin, président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) d'ajouter que cela risque d'aboutir à « un tiers d'aides en moins (...) pour plus de la moitié » des céréaliers français.
« Cet éco-régime doit créer un peu d'insatisfaction, pour pousser à migrer vers des pratiques plus respectueuses, répond-on à la FNAB. Sinon, c'est l'immobilisme. L'idée n'est pas de tout renverser brutalement, mais de migrer pas à pas vers ce système, en n'abandonnant personne ».
Accompagner les hommes et les femmes
Autre demande du collectif, « véritable socle de la transition agro-écologique » selon la Confédération paysanne : une architecture sociale plus aboutie, alors que le pays est confronté à l'abandon massif d'agriculteurs. « Nous savons que nous ne sortirons pas tout de suite de l'aide conditionnée à l'hectare. Mais il faut une PAC qui cible beaucoup plus les hommes et les femmes », a ainsi réclamé Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. Pour ce faire, le syndicat demande d'activer trois leviers : le plafonnement et la dégressivité des aides - pour permettre une redistribution, la revalorisation du paiement aux premiers hectares - de manière à favoriser les petites exploitations, et l'aide forfaitaire aux petits agriculteurs, « oubliés de la PAC ».
Une partie loin d'être gagnée, a regretté le président de « Pour une autre PAC », Mathieu Courgeau : reçu il y a trois semaines par le ministre de l'agriculture, Julien Denormandie, le paysan vendéen s'est inquiété de la teneur des négociations jusqu'à présent. « Nous pressentons, au mieux, une politique du statu quo, qui ne servirait ni les agriculteurs, à qui on doit donner les moyens de relever les défis à venir, ni nos concitoyens », a-t-il déclaré. « Pour l'instant, les arbitrages n'ont pas l'air d'aller dans notre sens », a abondé Nicolas Girod.
« Le ministre a plusieurs fois fait part de sa crainte de rompre certains équilibres, en prenant à certains pour donner à d'autres. Mais la solution n'est pas de rester dans un système inefficace fondé sur une logique de tiroir caisse. A la fin de cette future programmation, il ne faut pas qu'on se retourne et qu'on constate qu'on a encore perdu des paysans, avec un impact catastrophique sur l'environnement et une augmentation de la précarité alimentaire », a souligné le porte-parole.
Le suspense sera de courte durée : la déclinaison française de la PAC devrait être finalisée d'ici à quelques semaines par le gouvernement, et soumise en juin à l'Union européenne. A Bruxelles, des pourparlers ont repris vendredi dans le cadre d'une « super-trilogue » entre le rapporteur du Parlement européen, la présidence du Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne, pour en déterminer le cadre général.
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