Des circuits courts alimentaires pour mieux manger en ville

PRISE DIRECTE. Plébiscités lors du confinement, les circuits courts d'approvisionnement alimentaire participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, au renforcement de la souveraineté alimentaire des territoires ainsi qu'à une meilleure nutrition de leurs habitants. Comment les promouvoir ? C'est sur sujet qui concerne les urbains qu'ont réfléchi lors du Forum Zéro Carbone de La Tribune et la Ville de Paris Léa Barbier, cofondatrice de Kelbongoo, Yuna Chiffoleau, ingénieur agronome, sociologue et directrice de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), Damien Conaré, secrétaire général de la chaire Unesco Alimentations du monde à Montpellier SupAgro, Stéphane Layani, PDG de la Semmaris et Audrey Pulvar, adjointe à la Maire de Paris chargée de l'alimentation durable, de l'agriculture et des circuits courts.

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Le ballet des poids-lourds et des camionnettes qui viennent approvisionner les supermarchés des villes, engendrant pollution et embouteillages, vont-ils se raréfier grâce au développement des circuits courts ? La France dispose depuis 2009 d'une définition officielle de ce mode de distribution alternatif : un intermédiaire maximum entre le producteur et le consommateur. Des circuits courts qui présentent au moins deux avantages : une meilleure captation de la valeur ajoutée par le producteur agricole et apporter au consommateur des produits de qualité. « En 2020, on en attend encore plus : des modes de production respectueux de l'environnement, une contribution à la santé et à la résilience des villes en termes d'approvisionnement » selon Yuna Chiffoleau, ingénieur agronome, sociologue et directrice de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui évoque une « diversité du champ à l'assiette ».

À la Mairie de Paris, Audrey Pulvar, adjointe à la Maire, chargée de l'alimentation durable, de l'agriculture et des circuits courts rajoute toujours à ce titre la mention « de proximité ». « Un circuit court peut être long ! Ce qui compte, c'est le nombre d'étapes et non la distance. L'objectif, c'est que les 30 millions de repas de restauration collective servis chaque année par la mairie soient composés de plus en plus d'alimentation durable ou bio, mais provenant d'un rayon de 2 à 250 km ». La moyenne de distance aujourd'hui étant de 450 km, la mairie veut rapprocher producteurs et consommateurs. La part actuelle du durable et du bio dans la restauration collective parisienne est de 54%, avec comme objectif pour cette mandature de passer à 100% dont la moitié de produits provenant de moins de 250 km.

Léa Barbier, cofondatrice de la start-up Kelbongoo, labellisée ESUS (entreprise solidaire d'utilité sociale) veut promouvoir « le bien manger pour tous » en évitant une alimentation à deux vitesses entre CSP + d'un côté et familles modestes de l'autre. « Nous avons choisi d'intégrer entièrement la chaîne logistique. Celle-ci est souvent coûteuse et chronophage pour le producteur quand il doit s'en charger. Car même s'il reçoit 80% du prix de sortie contre 6% en distribution classique, cela occupe la moitié de son temps de travail » rappelle Léa Barbier.

Des États généraux de l'agriculture et de l'alimentation durable

La start-up a mis en place des ramasses poids-lourds en Picardie pour récupérer les produits à des points de dépôts, ce qui permet au producteur d'accéder de manière simple au marché parisien. Kelbongoo a installé des boutiques dans le nord-est parisien et la Seine-Saint-Denis pour que les habitants des quartiers populaires puissent retirer leurs paniers à prix bas commandés en ligne.

Même le célèbre MIN (marché d'intérêt national) de Rungis se met aux circuits courts. « Nous sommes le plus gros et le plus vieux circuit court de France avec plus de 400 agriculteurs qui viennent tous les jours » rappelle Stéphane Layani, PDG de la SEMMARIS qui exploite le site de Rungis. « Les circuits longs sont parfois meilleurs en empreinte carbone que les courts. Selon l'Ademe, une salade produite sous serre hors saison représente 510 g de CO2, contre 200 g quand elle vient d'Espagne » ajoute Stéphane Layani.  « Attention à ne pas tomber dans le piège du local vertueux par nature. Sans conditions de travail décentes ni respect de l'environnement, ça n'a pas de sens » avertit Damien Conaré, secrétaire général de la chaire Unesco Alimentations du monde à Montpellier SupAgro. Pour lui, les circuits courts rétablissent des liens de confiance entre consommateurs et producteurs, et permettent de rétablir la valeur en faveur du  producteur, sans oublier une baisse du gaspillage.

Comment accélérer l'arrivée de ces circuits courts, qui, malgré leurs nombreux atouts, rencontrent encore des difficultés ? La Mairie de Paris va organiser au premier semestre 2021 des états généraux de l'agriculture et de l'alimentation durable et va lancer Agriparis, un établissement pour aider à l'installation, la conversion et la transformation vers l'alimentation durable ou bio des agriculteurs. « Pour la partie agriculture de plein champ, nous allons garantir des débouchés et un revenu pérenne aux agriculteurs » promet Audrey Pulvar.

Un investissement public trop faible

Ces circuits courts ont été plébiscités lors du premier confinement. Chez Kelbongoo, Léa Barbier évoque un modèle économique qui fonctionne bien : « l'enjeu, c'est de bénéficier de davantage de ressources pour répliquer ce modèle à grande échelle ».  Ce qui sous-entend une volonté politique pour investir massivement dans les circuits courts. Pour Yuna Chiffoleau, « la reconnaissance de ces circuits, longtemps marginalisés, est en cours. La crise sanitaire les mets en avant mais l'investissement public est trop faible ».  A Rungis, le Carreau des producteurs, inauguré il y a un an, regroupe l'ensemble des producteurs de fruits et légumes d'Ile-de-France sous un même bâtiment. « Rungis livré chez vous (livraison à domicile de produits frais) a eu 25.000 commandes en deux semaines et nous allons doubler le carreau des producteurs. Et nous allons aussi créer un label Rungis qui indiquera l'empreinte carbone des produits » annonce Stéphane Layani pour qui « ce qui compte dans le circuit court, c'est le bénéfice économique et social pour la société, et pas seulement l'argent ». Pour Audrey Pulvar, il existe deux points névralgiques : le foncier agricole et les marchés publics : « c'est compliqué de garantir des débouchés à des petits producteurs quand vous êtes contraint de respecter le Code des marchés publics. Il faut faire preuve d'ingéniosité, comme les commandes groupés des petits marchés ».

Yuna Chiffauleau invite à « ne pas oublier les initiatives citoyennes, comme les groupement d'achats dans certains quartiers parisiens, et une approche de démocratie alimentaire. Il y a là des choses à inventer ». Comme par exemple l'association d'éducation populaire les Tambouilles, initiée par Kelbongoo, qui organise des visites de fermes et la distribution de paniers solidaires pris charge à 80% pendant un an. Quant à la Mairie de Paris, elle veut développer les projets d'agriculture urbaine avec un écosystème composé d'une épicerie sociale et solidaire et une antenne de la Maison Zéro Déchet. « Nous voulons faire en sorte que les denrées distribuées en aide alimentaire proviennent aussi des circuits de proximité. On n'y est pas encore mais on y travaille » conclut Audrey Pulvar.

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Commentaire 1
à écrit le 06/01/2021 à 19:01
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Mais pour cela il faut une véritable politique d'incitation à l'installation de permaculteurs, leur réserver des terrains pas cher à côté des cours d'eau, éloignés des terres sulfatées en tout genre ce qui est certainement la plus grosse difficulté, ...

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