Cinq ans après le Dieselgate, les luttes intestines persistent chez Volkswagen

Après plusieurs mois de bisbilles avec les baronnies internes, le PDG du premier groupe automobile mondial, Herbert Diess, vient d'arracher le soutien du conseil de surveillance pour mettre en œuvre son plan de transformation stratégique. Le lancement raté de l'ID3 (un an de retard, une interface logicielle inachevée) illustre le retard pris par Volkswagen dans l'électromobilité, notamment en raison de résistances internes.
Nabil Bourassi
(Crédits : Reuters)

La révolution de palais est-elle étouffée ? Après plusieurs mois de bisbilles internes autour du plan Together 2025+, le PDG du groupe Volkswagen, Herbert Diess, a obtenu le soutien de son conseil de surveillance pour placer trois de ses proches à des postes stratégiques. Le conseil a ainsi accepté la nomination d'Arno Antlitz au poste de Directeur Financier, celle de Murat Aksel à la division achats, tandis qu'une nouvelle fonction Technologie est créée et sera placée sous la responsabilité de Thomas Schmall.

En outre, le conseil a également accepté de conserver Ducati et Lamborghini, tandis que Bentley sera désormais rattaché à Audi afin d'accélérer son électrification. Enfin, le conseil a fixé des objectifs d'économie de coûts. En revanche, Herbert Diess n'a pas obtenu le prolongement anticipé de son mandat qui court actuellement jusqu'en 2023. Ce n'est donc pas un blanc seing, mais une première victoire que remporte le patron du groupe automobile allemand.

Une culture d'entreprise verrouillée

Depuis plusieurs mois, Herbert Diess tente d'imposer ses hommes dans les postes clés du groupe qu'il dirige depuis avril 2018. L'idée étant d'accélérer la refonte de l'étouffante culture d'entreprise de Volkswagen (660.000 salariés) verrouillée par un pacte tacite entre plusieurs baronnies qui lient l'ingénierie, les syndicalistes et les actionnaires.

Cet été, c'est Bernd Osterloh qui a cristallisé la charge en s'en prenant à l'ID3, la première voiture 100% électrique de Volkswagen. Le très puissant représentant des salariés du groupe automobile avait tiré à boulets rouges sur ce véhicule, considéré comme un ersatz de la voiture à propulsion thermique qui continue d'employer des centaines de milliers de personnes en Allemagne. Pour Herbert Diess, le retard colossal (près d'un an) du lancement de l'ID3 s'explique en grande partie par les résistances internes. Sauf que ce retard pourrait coûter extrêmement cher à Volkswagen qui pourrait payer de lourdes amendes si le constructeur ne rentre pas dans les clous des objectifs CO2 imposés par l'Union européenne. D'après le dernier pointage de l'institut d'analyse de marché spécialisé dans l'automobile, JATO, Volkswagen pourrait échapper de justesse aux amendes au prix d'une commercialisation précipitée et avec une interface logicielle inachevée de l'ID3.

Pour Herbert Diess, cet épisode illustre le manque de résilience d'une organisation incapable de s'adapter à la profonde transformation de l'industrie automobile. En novembre, il n'avait pas hésité à rendre public cette "guéguerre" interne en publiant une tribune intitulée "Instant-T", dans laquelle il compare la puissance d'innovation de Tesla aux certitudes sclérosantes du numéro un mondial de l'industrie automobile. Il y lance un appel à réformer l'organisation interne de Volkswagen pour aller plus loin dans l'agilité décisionnelle et la capacité à challenger ses convictions technologiques. Autrement dit, Herbert Diess a mis en demeure le groupe d'enclencher une véritable révolution culturelle. Et pour dramatiser l'enjeu, il a mis son mandat en jeu, mettant le conseil de surveillance du groupe au pied du mur pour le forcer à trancher. Ce faisant, il a pris le risque de réveiller de vieilles rancunes mises en sommeil, celles opposant les Porsche aux Piëch qui détiennent la moitié des droits de vote du groupe, tandis que le land de Basse-Saxe (20% du capital) s'est retrouvé dans la situation inconfortable d'arbitre, sous pression du très puissant syndicat IG Metall.

Brutalement sorti de sa torpeur, le conseil de surveillance a traîné des pieds avant d'adouber le projet de transformation d'Herbert Diess... Début décembre, le patron de Volkswagen s'en tire avec le statu quo, ou dit autrement, avec un affaiblissement de son autorité et de sa capacité à mener son projet à terme.

Revirement soudain en faveur d'Herbert Diess

Pourtant, ce 14 décembre le conseil de surveillance a fini par trancher en apportant son soutien "unanime" à Herbert Diess et son plan Together 2025+. Le communiqué publié est subitement devenu laudateur à l'endroit de celui qui semblait encore sur un siège éjectable il y a peine deux semaines.

"Le Directoire a décidé à l'unanimité d'apporter son soutien inconditionnel à la stratégie, et notamment à l'orientation prise par l'entreprise en faveur de l'électro-mobilité et de la digitalisation", affirme le communiqué officiel avant de poursuivre:

"Herbert Diess a eu un impact majeur sur Volkswagen depuis 2015. Sans son engagement, la transformation de l'entreprise n'aurait pas été aussi cohérente et réussie. Le Conseil de Surveillance apprécie la détermination et la persévérance dont Herbert Diess a fait preuve pour encourager non seulement les changements technologiques et la contribution à la réalisation des objectifs climatiques, mais aussi l'amélioration des résultats financiers de l'entreprise. Dans les années à venir, le Directoire de Volkswagen AG mettra la stratégie en œuvre en gardant Herbert Diess aux commandes. Le Président du Directoire et sa nouvelle équipe ont le soutien sans réserve du Conseil de Surveillance, que ce soit pour la nouvelle orientation vers l'électro-mobilité et la digitalisation ou pour améliorer l'efficacité et la rentabilité de toutes les marques et de tous les secteurs du Groupe".

Cinq ans de crise

Avec la décision du conseil de surveillance, Herbert Diess retrouve un répit, mais il est encore loin d'avoir trouvé les coudées franches pour conduire son projet de transformation. Il pourrait rappeler la nécessité pour le groupe Volkswagen de retrouver de la stabilité après cinq ans de crises managériales successives. En 2015, six mois avant le scandale des moteurs truqués, le groupe avait fait l'objet d'un inattendu règlement de compte familial avec la chute du patriarche Ferdinand Piëch, fondateur de l'empire aux douze marques. Les cousins rivaux baptisés sous le nom de l'aïeul commun (Porsche) en avaient profité pour reprendre la main sur l'équilibre familiale en évinçant Piëch. De son côté, Matthias Müller n'a pas tenu plus de deux ans et demi à la tête du groupe, après avoir succédé à Martin Winterkorn emporté par le dieselgate. Herbert Diess est-il en train de refermer la page de ce scandale qui a déjà coûté 25 milliards d'euros au groupe et qui n'en finit pas de produire des répliques sismiques ?

Nabil Bourassi

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