"Les bâtiments deviennent de véritables plateformes de services"

À quelques semaines de ses universités d'été, Emmanuel François, fondateur de la Smart Building Alliance, revient sur le rôle essentiel du numérique et explique pourquoi le bâtiment intelligent, en devenant plateforme de services, est à ses yeux la pierre angulaire de la transition énergétique.

LA TRIBUNE - Quelle est la vocation de la Smart Building Alliance que vous présidez ?

EMMANUEL FRANÇOIS - La Smart Building Alliance (SBA) est un think tank, une agora fondée en 2013 ; elle a pour objectif d'accompagner les acteurs du bâtiment et de la ville dans leur transition numérique et de sensibiliser à la nécessité d'adopter une approche globale et transverse des solutions et des modèles économiques. Elle regroupe des maîtres d'ouvrage et des maîtres d'oeuvre, des acteurs de l'énergie, des technologies de l'information et des télécommunications, des fabricants de matériel, peut-être bientôt des groupes de l'assurance et de la finance... Avec 200 membres, nous avons la taille critique qui nous permet de dialoguer avec les collectivités locales ou les équipes gouvernementales.

Vous mettez le bâtiment intelligent au coeur de la transition énergétique. Pourquoi?

On ne peut pas parler de ville intelligente sans parler de bâtiment intelligent. Pour pouvoir opérer un pilotage intelligent à l'échelle d'un territoire, il faut d'abord que les bâtiments soient intelligents. L'enjeu énergétique lui-même se situe essentiellement dans le bâtiment.

Historiquement, on a commencé avec une approche smart grids, donc en interconnectant les bâtiments entre eux. Mais, hors contraintes réglementaires ou subventions, le coût de l'énergie est actuellement trop bas pour rentabiliser les projets.

Quelle approche préconisez-vous ?

Il faut que les bâtiments deviennent de véritables plateformes de services, au-delà de l'énergie. Ce qui passe par la rénovation numérique des bâtiments et des territoires, assortie de mesures d'efficacité énergétique. En dehors de la production d'énergie [solaire notamment, ndlr], les bâtiments doivent être en mesure d'offrir une assistance aux personnes âgées ou dépendantes, des services de santé, etc. Le bien-être va devenir un enjeu crucial dans les prochaines années, peut-être même devant l'énergie. Pour y parvenir, il faut mutualiser les infrastructures, alors que les solutions qui sont déployées aujourd'hui restent très cloisonnées et non interopérables.

Vous pensez donc que la rénovation thermique n'est pas l'essentiel ?

L'isolation des bâtiments est importante, mais elle ne constitue pas la réponse unique à l'enjeu de la transition énergétique. D'autant plus qu'il est impossible de rénover le parc en dix ans. En revanche, on peut le rendre numérique et l'instrumenter, et cela permettrait des économies d'énergie significatives, de l'ordre de 20 à 25 %. Si l'on pense aux écoles, par exemple, qui sont chauffées en permanence alors que les élèves n'y passent que quelques heures par jour, la mise en place de capteurs et de systèmes d'économie d'énergie serait très efficace. À Paris, isoler un logement social revient en moyenne à 25 000 euros, alors que 2000 euros suffisent à l'instrumenter et à le doter d'une infrastructure numérique. En plus du coût d'exploitation, en utilisant la maquette numérique dès la conception des nouveaux bâtiments, qui permet de préfabriquer et de répliquer, il est possible de réduire de 30 % le coût de construction.

La rénovation thermique est réputée créatrice d'emplois, en est-il de même avec la numérisation des bâtiments ?

Tout à fait, c'est même sans doute encore plus créateur d'emplois. Nous préconisons d'enclencher sur cinq à dix ans un plan de rénovation énergétique s'appuyant sur le numérique pour élargir l'offre de services. Il doit s'accompagner d'un plan de production et de stockage d'énergie renouvelable au niveau local. Enfin, la mobilité doit devenir de plus en plus partagée. Il faut viser la suppression des véhicules utilitaires thermiques dans les villes à horizon 2025 comme l'ont prévu plusieurs villes en Allemagne et en Scandinavie. Une refonte du travail en faveur du télétravail contribuera également à limiter les déplacements. En recourant à ce moyen, certains groupes parviennent à diminuer de 40 % la surface de leur siège social. En parallèle, il faut encourager le développement de lieux de vie, d'une économie de proximité, et promouvoir le développement de l'économe collaborative, notamment en termes de fiscalité.

Les blocages que vous critiquez existent également au sein des équipes municipales. Comment espérez-vous dépasser ce frein ?

Le label « Ready2service » que nous venons d'élaborer, valable aussi bien dans le neuf que dans la rénovation, doit permettre aux municipalités de lancer des appels d'offres pour un lot « smart » unique qui relie tous les lots entre eux.

En revanche, ces nouvelles sources d'efficience s'accompagnent de nouveaux métiers et de nouvelles organisations chez les industriels. Par exemple, la frontière entre ceux qui installent et ceux qui exploitent va s'estomper. L'action de Smart Building Alliance séduit et dérange à la fois car elle va à l'encontre de la gestion temporelle de la transition qu'aimeraient adopter les acteurs historiques. Mais ils ont pourtant intérêt à accélérer face à de nouveaux entrants très agiles et agressifs. Google, par exemple, vient d'obtenir l'autorisation de construire une vraie ville dans le centre de San Jose (Californie).

Dans ce contexte, comment voyez-vous évoluer les modèles économiques de ces acteurs ?

La transition vers une société décarbonée va en effet bousculer le positionnement des acteurs sur la chaîne de valeur et la répartition de cette valeur, qui ne va pas rester figée mais devenir au contraire dynamique. Des acteurs de rang 1 vont probablement devenir des fournisseurs de rang 2. Les modèles économiques constituent la vraie pierre d'achoppement. Les freins organisationnels et la force des habitudes sont les principaux obstacles à cette transition.

La réglementation actuelle favorise-t-elle cette évolution ?

Pas vraiment, et c'est d'ailleurs pourquoi nous avons lancé un nouveau groupe de travail au sein de SBA afin de réfléchir à la révision et à la modernisation des normes et des standards dans le contexte de la révolution numérique.

Comment vont se répartir les rôles entre la ville et les entreprises qui la font ?

Nous allons assister à une redistribution des rôles, dans laquelle la ville, mais aussi le syndic ou le bailleur social, voire le promoteur immobilier s'il s'empare du sujet, pourraient être amenés à intervenir en tant que tiers de confiance de la confidentialité des données et de leur bon usage.

Propos recueillis par Dominique Pialot

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ENCADRE

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>Smart Building for Smart City : Université d'été 2017, les 30 et 31 août à Lyon

L'impact du numérique pour les bâtiments et les territoires

Les 30 et 31 août prochains, la Smart Building Alliance organise à l'EM Lyon Business School la 4e édition de son université d'été, baptisée SB4SC (pour "Smart Buildings for Smart Cities"), en partenariat avec La Tribune. On y débattra des enjeux de la transition numérique associée à la transition énergétique pour le smart building et la smart city, de la valorisation du bâtiment intelligent dans la ville intelligente, de l'adaptation du bâtiment et de la ville aux nouveaux modes de vie... Une quarantaine d'ateliers seront organisés autour des données, des nouveaux espaces de vie, des solutions technologiques, des services aux usagers et des modèles économiques.

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