Dépendance à l'alcool : la molécule miracle n'existe pas encore

Si plusieurs molécules parviennent à réduire la dépendance à l'alcool, aucune n'obtient de résultats significatifs pour mettre totalement fin à l'addiction chez tous les types de patients. La médecine personnalisée pourrait être une solution pour y parvenir.
Jean-Yves Paillé
Aujourd'hui, seules 10% des personnes dépendantes à l'alcool seraient prises en charge en France.

Après les annonces multiples et les titres dans la presse évoquant des molécules miracles capables de guérir l'alcoolisme, l'heure est à la prise de recul. Des avancées et des effets encourageant ont été constatés lors des essais cliniques pour plusieurs molécules, réduisant la dépendance à l'alcool. Mais aucune d'entre elle n'a encore atteint de façon significative le but recherché : mettre fin à l'addiction de n'importe quelle type de personne dépendante.

Vendredi 17 mars, lors des journées de la Société française d'alcoologie, plusieurs résultats montrant les performances cliniques de molécules ont été présentés. L'étude clinique sur l'oxybate de sodium (le médicament Alcover de D&A Pharma s'appuie sur cette molécule) évoque "64,3% des patients avec une abstinence continue ou une consommation contrôlée (<40g/jour) pour l'oxybate de sodium, contre 25,3% pour le placebo". Et pour l'abstinence continue seule, l'oxybate atteint 28,6% d'efficacité contre 10,6% pour le placebo.

L'étude bacloville, avec utilisation du baclofène à forte dose, fait valoir une abstinence ou une réduction de la consommation à un "niveau médicalement correct" chez 56,8% des patients traités, contre 36,5% pour le placebo. Le succès "était défini par une abstinence ou une consommation médicalement correcte au 12ème mois de traitement".

Interrogée par La Tribune, Charlotte Haas, directrice développement stratégique produits de spécialité chez Etypharm, assure que les performances du baclofène sont significatives dans la réduction à la dépendance à l'alcool. Elle reconnait toutefois que les résultats "ne sont pas aussi importants qu'attendus par rapport au placebo". "L'effet placebo est particulièrement important dans la dépendance à l'alcool", assure-t-elle.

Manque d'enthousiasme des autorités de santé

Signe d'exigences insuffisamment satisfaites par les nouveaux traitements, les autorités de santé tardent à donner des feux verts concrets pour les nouvelles molécules. Les sociétés pharmaceutiques françaises engagées dans le domaine thérapeutique font partie des plus avancées dans ce domaine. Mais elles connaissent des difficultés pour obtenir cette une autorisation de mise sur le marché (AMM).

C'est le cas d'Etypharm. Certes, la Recommendation temporaire d'utilisation (RTU) accordée en mars 2014 par l'ANSM à son traitement à base de baclofène a été renouvelée jeudi 16 mars. Mais le laboratoire n'a toujours pas obtenu d'AMM. Il ne désespère pas pour autant. "Nous allons déposer  un dossier auprès de l'ANSM  fin mars pour obtenir une autorisation de mise sur le marché de la molécule", explique à La Tribune Charlotte Haas, directrice développement stratégique produits de spécialité chez Etypharm

Son concurrent, D&A Pharma, avait déposé en décembre 2014 un dossier dans douze pays dans le cadre d'une procédure décentralisée et devait obtenir un consensus pour commercialiser son médicament. Mais malgré les nombreuses discussions, il n'a pas réussi à l'obtenir. "Le dossier a été référé à l'Agence européenne du médicament, fin décembre 2016. L'Agence a posé des questions complémentaires, et pourrait donner un feu vert fin avril, ou poser des questions complémentaires", explique à La Tribune Julien Guiraud, directeur général de D&A Pharma. Selon lui la difficulté d'obtenir un consensus s'explique par l'origine un peu particulière de la molécule. "Le médicament est issu d'un extrait de GHB, or des agences de santé s'étonne des résultats d'études montrant la non-toxicité de notre produit. Le GHB est peu utilisé en France, mais dans d'autres pays, on rencontre plus de cas d'intoxication."

Des éléments peu pris en compte dans les essais cliniques

A l'avenir, de nouvelles pistes pour développer des traitements plus efficaces pourraient séduire les autorités de santé. A l'instar de nombreux traitements pour d'autres pathologies, l'association de plusieurs molécules complémentaires pourrait en être une. Lors d'un essai clinique, l'Alcover a été associé au Revia. "Deux tiers des patients répondent favorablement avec l'Alcover seul. En Italie, on a associé la Naltrexone (Revia) à l''oxybate de sodium: 100% des patients répondaient. L'Alcover pourrait être très intéressant en association avec une autre molécule", assure Julien Guiraud.

Autre piste évoquée par les chercheurs et certains industriels : tendre vers la médecine personnalisée. Aujourd'hui, la plupart des études cliniques visant à prouver l'efficacité d'une molécule sont "randomisées", c'est-à-dire que les patients, souvent sélectionnés sur des critères larges, sont répartis de façon aléatoire dans le groupe recevant le traitement et celui ne le recevant pas. Selon Charlotte Haas, "Il est difficile de concevoir qu'une étude mesurant la quantité d'alcool absorbée et passant à côté du problème de ce que le patient ressent, ses objectifs personnels." Et de renchérir : "Le cadre des études n'est pas forcément adapté pour l'industriel pour développer un tel médicament."

La médecine personnalisée dans ce domaine thérapeutique implique de prendre en compte de nombreux éléments pour soigner les patients : des facteurs socio-économiques, psychosomatiques, la quantité d'alcool bu, et les variations génétiques du patient. "Il faut trouver des indicateurs individuels ou environnementaux pour que le patient réponde à tel ou tel traitement", précise à La Tribune Mickael Naassila, chercheur à l'Inserm et président de la Société française d'alcoologie.

Mais en parallèle, il faudra répondre à un enjeu de taille, identifier les personnes dépendantes à l'alcool. Aujourd'hui, seules 10% d'entre elles seraient prises en charge en France.

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 8
à écrit le 25/11/2017 à 11:02
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Poirot59. Merci pour vos encouragements. J'ai parfaitement intégré le traitement et ma perception et mon usage de l'alcool sont radicalement différents. En clair, le n'ai plus besoin de l'alcool, voire même plus envie. Je selectionne et privilegie la...

à écrit le 20/03/2017 à 23:59
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Avoir une molécule qui donne 57% de bon résultat ce n'est pas miraculeux mais très efficace compte tenu de ce que l'on avait jusqu'à présent. Bien sur chaque chemin est individuel, surtout dans une telle pathologie multifactorielle, mais au sein de ...

à écrit le 20/03/2017 à 21:50
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Un sujet que j'aborde dans l'une des sessions du eCongrès national d'addictologie #eadd2017 le 23 mars 2017 http://www.drogues.gouv.fr/evenements/1er-congres-virtuel-national-addictions

à écrit le 20/03/2017 à 12:11
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Il existe un autre médicament dont on ne parle pas et qui donne de bons résultats : SELINCRO ou MALMEFENE. Je suis traité depuis 1 an à raison d'un comprimé par jour. Les résultats sont excellents car j'ai divisé ma consommation d'alcool par 4 et san...

le 25/11/2017 à 10:07
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Bonjour, J'ai fait ma 2° cure de sevrage en 2013 puis une post-cure de 3 mois. Suivi par mon addictologue, j'ai pris le baclofène la mise en place du traitement par paliers progressifs fut difficile avant d'atteindre le seuil nécessaire à l'abstin...

à écrit le 20/03/2017 à 11:15
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La meilleur façon de contrôler so alcoolemie et la consommation d'alcool dit être reduite et contrôler de façon draconienne. Oui l'alcool n'est pas le remède à tous les mots et il faut que consommer de l'alcool soit un plaisir comme consommer des gra...

le 21/03/2017 à 22:28
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Sauf que contrôler sa consommation d'alcool est impossible pour une personne dépendante. Le baclofène ne sert pas à réduire l'alcoolémie mais à supprimer la dépendance ... Je crois que quand on n'est pas malade, il est impossible de comprendre ceux...

à écrit le 20/03/2017 à 10:56
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"Le cadre des études n'est pas forcément adapté pour l'industriel pour développer un tel médicament."" Hé oui, l'industrie a besoin de gens caricaturaux que l'on puisse classer par catégories or nous sommes 7 milliards d'êtres humains tous différ...

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