Du point de vue des consommateurs, le modèle français des services d'eau et d'assainissement prouve sa performance. Par mètre cube, le prix moyen de l'eau dans les cinq plus grandes villes françaises était au 1er janvier 2017 inférieur de 11% à la moyenne d'une cinquantaine de métropoles européennes, révèle le 11e baromètre du cabinet NUS Consulting publié mardi 28 novembre par la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E).
Déterminé sur la base d'une consommation annuelle de référence établie par l'Insee de 120 mètres cubes par foyer, toutes taxes et redevances comprises, ce prix était en France de 3,56 euros par mètre cube (0,00356 euros par litre), contre 4,01 pour la moyenne de l'échantillon, constitués des cinq villes les plus peuplées de dix pays: l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède*. Pour une consommation moyenne de 330 litres d'eau par jour, un foyer français dépense donc environ 1 euro, tous usages confondus. Sur l'année, cela absorbe 0,8% de son budget -une donnée constante depuis 1996.
Décentralisation et compétition
Entre janvier 2015 et janvier 2017, la progression des prix français, de 0,6% par an, a d'ailleurs été maîtrisée à un taux bien inférieur à celui moyen des deux années précédentes, de 2%. En France en plus, ces prix bas intègrent des exigences de qualité, notamment en matière sanitaire, de continuité du service, de protection de l'environnement et d'équité sociale puisque, à la différence de ce qui se passe dans d'autres pays, la facture du consommateur français supporte la quasi-totalité des coûts de fonctionnement et d'investissement, observe la FP2E, qui regroupe la quasi-totalité des délégués privés des services d'eau et d'assainissement.
Une efficacité qui s'explique par les particularités du modèle français, selon le délégué général de la fédération Tristan Mathieu: d'une part, la décentralisation, qui permet aux maires de porter l'intérêt de la population à des prix bas ; de l'autre, la compétition entre acteurs publics et privés, qui les pousse à accroître leur performance technique et économique, mais aussi sociale et environnementale.
"Les Pays-Bas, où la délégation du service de l'eau à des entreprises privées est interdite, figurent parmi les trois pays de l'échantillon où les prix sont les plus élevés, avant l'Allemagne et le Danemark", note Tristan Mathieu.
Un "sous-investissement chronique"
Mais, "si la photo est belle, le film est triste", estime Olivier Grunberg, vice-président de FP2E. "Les prix bas ne disent rien de l'avenir": si la performance française résulte des efforts du passé, les investissements, qui représentent un quart des prix payés par les Français, sont en effet en baisse en France, explique Tristan Mathieu, qui pointe un "sous-investissement chronique" en citant une étude publiée cette année par l'Union nationale des industries et entreprises de l'eau et de l'environnement (UIE).
Pourtant, les défis sont toujours là. En premier lieu, la fracture territoriale. Au-delà des différences de prix, l'eau distribuée dans les zones les plus rurales connaît un taux de non-conformité bactériologique de 20 fois supérieur à celui des zones les plus urbaines, note la FP2E. Or, alors que de nouveaux défis comme celui des micro-polluants surgissent, les prélèvement prévus dans le budget de l'Agence de l'eau au profit de l' Agence pour la biodiversité, de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et des parcs nationaux laissent craindre un affaiblissement du soutien financier des plus petites communes... Les régions françaises pour leur part se sont encore trop peu mobilisées pour faire connaître l'existence de 15 milliards de financement européens, qui en 2016, au bout de trois ans de programme sur sept, n'avaient été utilisés par la France que pour 4% (contre 47% en Allemagne).
La crainte d'une dégradation des infrastructures
Autre problème à résoudre, le vieillissement des infrastructures, et notamment des canalisations, dont la durée de vie ne dépasse pas les 80 ans, mais dont seulement 0,6 à 1% est aujourd'hui renouvelé chaque année: pour éviter ue dégradation du réseau, les 800 millions d'euros actuellement investis annuellement devraient être doublés, considère la FP2E. Les stations d'épuration, construites il y a une trentaine d'années, sont aussi vieillissantes, alors que l'assainissement pèse sur la facture même plus que la fourniture d'eau potable en raison d'une normative plus stricte.
Si ces interventions nécessaires sont repoussées, les prix du service pourraient en pâtir par la suite, met en garde la fédération: c'est justement ce qui s'est passé en Italie, pays qui affiche les prix les plus bas de l'échantillon étudié (1,43 euros par mètre cube d'eau), mais qui a enregistré la plus forte augmentation annuelle entre 2015 et 2017 (3%), justement car elle a dû rattraper le retard pris dans l'entretien de ses infrastructures. Sans compter les coûts de nouveaux services, notamment dans une industrie où la digitalisation joue un rôle de plus en plus important (capteurs sur les réseaux, compteurs intelligents, alertes etc.).
Efficacité économique et concurrence
Refusant un "déclassement" de la politique hydrique et voulant au contraire se saisir de toutes les opportunités drainées par les nouvelles technologies ainsi que l'essor de l'économie circulaire, la FPE2 mise donc sur les Assises de l'au promises par Emmanuel Macron pour le printemps 2018 pour remettre sur la table la question du financement des investissements et de l'innovation.
"L'efficacité économique et concurrence sont des facteurs clés de la performance à long terme", martèle Tristan Mathieu, qui réclame l'application de ces critères aussi aux délégataires publics du service de l'eau.
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(*) Les zones rurales ne sont donc pas représentées dans l'étude. Toutefois, selon la FP2E, en France la moyenne des prix de l'eau dans les grandes villes étudiées est très représentative de la moyenne nationale.
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