Si l'urgence climatique n'aura pas suffi à justifier un vaste plan d'économies d'énergie, la perspective d'une rupture d'approvisionnement, elle, met l'exécutif sur le qui-vive. De fait, le ton a radicalement changé au sommet de l'Etat : alors que début juin, Emmanuel Macron affirmait qu'il n'y avait « aucun risque de coupure » de courant cet hiver, expliquant vouloir « rassurer » les Français, le gouvernement multiplie depuis quelques jours les interventions inquiétantes. « Il faut se mettre dans le scénario du pire car il existe », presse notamment la ministre de l'Energie, Agnès Pannier-Runacher, dans les colonnes du Figaro ce lundi. Emboîtant le pas au locataire de Bercy, Bruno Le Maire, qui soulignait ce week-end qu'« on ne pourra pas se chauffer ni se transporter comme si de rien n'était dans quelques mois ».
« Cette crise peut avoir un impact absolument majeur sur nos vies quotidiennes, sur l'emploi, sur le fonctionnement de nos entreprises, sur l'outil industriel français », a-t-il insisté en marge des rencontres économiques d'Aix.
De quoi préparer les esprits à des mesures drastiques. Car la situation, déjà tendue depuis près d'un an, s'est encore aggravée, alors que le géant gazier russe Gazprom a débuté ce lundi une opération de maintenance du gazoduc Nord Stream 1 qui, même si elle était prévue, inquiète les Européens quant à une possible interruption des approvisionnements à son issue.
Surtout, la France redoute de manquer cruellement de marges pour produire son électricité, tant le parc nucléaire accumule les déboires : touché par un défaut de corrosion générique aux raisons encore inconnues, celui-ci accuse une disponibilité historiquement basse. « Sur le sujet, nous sommes confrontés à une situation pire que nos voisins pour cet hiver », confie un industriel à La Tribune. D'autant que l'Hexagone ne pourra pas s'appuyer pleinement sur les importations d'électricité depuis les pays limitrophes, puisque celles-ci seront de toute façon limitées par des freins techniques.
« Il faut s'attendre à des goulots d'étranglement liés aux capacités d'interconnexion des réseaux, aujourd'hui limitées à 13 GW environ. C'est pour cela qu'en période de tension, il y a toujours des congestions aux frontières », note Jacques Percebois, , économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).
Les industriels mis à contribution
Dans ces conditions, « il faut nous mettre en ordre de bataille maintenant sur l'organisation, le délestage, la sobriété, la réduction de consommation », a prévenu Bruno Le Maire ce week-end. Le but : diminuer de 10% la consommation d'énergie d'ici à deux ans par rapport à 2019, en agissant à la fois sur l'industrie, l'administration, les commerces mais aussi les ménages. « Il faudra activer tous les leviers à la fois, et récolter la facture à la fin », souligne une source proche du dossier.
Les citoyens ne seront cependant pas la cible principale, alors que l'Elysée redoute une résurgence des Gilets jaunes, ce mouvement de protestation né en 2018 de la perspective d'une hausse du prix du carburant. « La France a envisagé de lancer cet été une campagne de communication pour appeler les consommateurs à faire attention, mais a préféré attendre pour ne pas inquiéter », rapporte ainsi Le Monde, citant une source à la Commission européenne. Pour l'heure, l'exécutif préfère donc s'attaquer aux entreprises, et notamment aux industries, qui représentent 17% de la consommation totale d'électricité dans l'Hexagone.
Ainsi certains sites pourraient se voir demander de « ralentir leur consommation d'énergie, voire d'arrêter leur consommation d'énergie pendant un certain temps », a précisé Bruno Le Maire à Aix-en-Provence, tout en ajoutant que « c'est totalement impossible » pour certains sites, afin de ne pas « casser l'outil industriel ». L'Etat devrait donc multiplier les contrats d'effacement avec une partie d'entre eux en échange de tarifs avantageux et de contreparties financières, de manière à lisser la courbe de charge.
L'équivalent de 3 à 6 EPR en effacement ou interruptibilité
Mais en cas de vague de froid, ce dispositif risque de ne pas suffire. Et pourrait laisser place à des leviers « post marché » à la main du gestionnaire du réseau national RTE, comme l'interruptibilité, c'est-à-dire des coupures en quelques secondes sans préavis. Pour encadrer ce mécanisme, RTE a ainsi lancé une consultation flash sur l'hiver auprès des entreprises et des fournisseurs afin de trouver entre 5 et 10 GW (l'équivalent en puissance de 3 à 6 réacteurs nucléaires de type EPR environ), via l'interruptibilité et l'effacement, que ce soit celle des grands industriels ou celle des Français.
Surtout, en dernier recours, la France pourrait pratiquer des délestages. « Cela signifie que l'on couperait massivement l'électricité sur une zone pendant 2 heures, avant de tourner vers une autre zone. C'est un défaut d'alimentation, pas un levier d'équilibre entre l'offre et la demande, contrairement à l'effacement qui est volontaire et contractualisé dans un cadre de marché », explique Nicolas Goldberg, senior manager Energie chez Colombus Consulting.
Sur le sujet, la Première ministre, Elisabeth Borne, a d'ores et déjà clarifié que l'Etat travaillait sur des scénarios comprenant une baisse de la tension et des délestages, qui ne concerneront cependant pas « les ménages » et « les installations essentielles ».
Appel aux citoyens pour lisser la demande
Au-delà de ces mesures d'urgence, la question de la gestion des pointes de consommations sera par ailleurs essentielle, y compris pour les citoyens. « Au-delà de consommer moins, il s'agira de décaler sa consommation », souligne-t-on chez RTE. En effet, en hiver, la France connaît des pics de demande le matin et le soir, auquel le gestionnaire, chargé d'équilibrer à tout moment l'offre et la demande, pourrait avoir du mal à répondre.
C'est d'ailleurs ce qu'il s'était passé le 4 avril dernier : alors que la production nationale était inférieure à la consommation à cause d'une vague de froid, le réseau a été mis à rude épreuve. La veille, RTE avait même déclenché une alerte orange, aux côtés du fournisseur historique EDF. Si une coupure d'électricité a finalement pu être évitée, avec 800 mégawatts (MW) économisés grâce à la mobilisation collective des Français, le pays a dû importer jusqu'à 9 gigawatts (GW) dans la matinée ce jour-là, depuis l'Allemagne et l'Angleterre notamment, contre une production domestique totale au moment du pic de 63,6 GW.
Une situation qui promet de se reproduire cet hiver, notamment en cas de températures négatives. Afin de l'éviter au maximum, le gouvernement prévoit donc d'inciter chacun à faire des efforts à chacun après l'été. « Pour les ménages, c'est à partir de l'automne que la mobilisation aura le plus d'impact. Un degré de chauffage en moins, c'est 7% de gaz consommé en moins », avance ainsi Agnès Pannier-Runacher dans le Figaro. « Se chauffer à 19 au lieu de 21°C constitue une économie considérable », affirme de son côté une source ministérielle à La Tribune.
Inciter plutôt qu'obliger
En Allemagne, l'exécutif a d'ores et déjà appelé la population à économiser de l'énergie, et notamment du gaz. En guise de réponse, de nombreuses villes ont ainsi diminué la température de l'eau des piscines ou l'éclairage urbain. Et les acteurs privés ont également répondu à l'appel puisque jeudi, Vonovia, le plus grand propriétaire résidentiel du pays, a déclaré qu'il abaisserait la température du chauffage central au gaz de ses locataires à 17°C entre 23 heures et 6 heures du matin. Ce n'est pas tout : une coopérative immobilière près de Dresde, en Saxe (est), a décidé de couper l'eau chaude la nuit dans ses 600 logements, provoquant une polémique nationale.
En France, aucune mesure de ce type n'est cependant prévue. « Les gens ne comprendraient pas pourquoi on leur demande de baisser la climatisation chez eux alors que celle-ci fonctionne à fond dans les entreprises ! Il faut déjà que tout le monde balaie devant sa porte, avant d'aller demander aux Français d'en faire plus », défend-on au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher.
RTE, lui, mise beaucoup sur son nouvel outil EcoWatt, une application mise au point en 2020 qui envoie à chaque instant des signaux clairs (de vert à rouge) au consommateur pour lui permettre d'adapter sa demande, sans aucune contrainte ou obligation. La filiale d'EDF prévoit d'ailleurs de lancer une vaste campagne de communication sur le sujet d'ici à quelques mois, afin d'inciter chaque Français à surveiller sa consommation.
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