Hydrogène : la France a toutes les cartes en main

Bleu, blanc, rouge… ou plutôt bleu, gris, vert. Ce sont les couleurs de l’hydrogène, et nombre de pays, dont la France, parient sur une nouvelle filière pour assurer en partie la transition énergétique. Il faut le produire, certes, et de la façon la plus propre possible, puis le stocker, mais une fois ces deux exercices réalisés, ce produit pourrait être utilisé à la place d’énergies fossiles, pour faire fonctionner des sites de production industriels, alimenter des trains, tracter des poids lourds et propulser des avions. (Cet article est issu de T La Revue n°13 - "Energies, la France qui innove" actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

« Oui, mes amis, je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir », écrivait Jules Verne, toujours visionnaire, dans son roman L'Île mystérieuse, en 1874. À quoi faisait-il allusion exactement ? Qu'est-ce que l'hydrogène ? Ou, plutôt, qu'est-ce que le dihydrogène, puisqu'en fait, ce sont deux atomes d'hydrogène (H2) qui structurent la molécule de dihydrogène, elle-même porteuse d'un fort potentiel énergétique. Quoi qu'il en soit, c'est le principal composant du soleil, et au cœur de notre astre bienveillant, la température, de 15 millions de degrés, permet des réactions de fusion au cours desquelles l'hydrogène est transformé en hélium, libérant de l'énergie. Bien que ce soit l'élément le plus abondant de l'Univers, l'hydrogène est très peu présent à l'état naturel sur notre planète. En fait, inodore, incolore, non toxique mais très inflammable, il est combiné avec d'autres atomes. On le trouve dans l'eau, le pétrole, le gaz naturel. Pour l'extraire, il faut donc appliquer des procédés chimiques - pyrolyse de la biomasse ou électrolyse de l'eau ­­­­­-, entre autres, qui vont le séparer des autres éléments auxquels il est associé.

 Et c'est là que les premiers enjeux, dans la lutte contre le dérèglement climatique, se font jour. Car tout dépend de l'origine du produit de base. S'il s'agit de produits fossiles - gaz naturel, méthane - comme c'est le plus souvent le cas actuellement, il est dit « gris » (car le CO2 émis est relâché dans l'atmosphère) et sert, à 80 %, de matière de base dans la chimie, pour la production d'ammoniac en vue de fabriquer des engrais et du méthanol, ainsi que comme réactif dans le cadre du raffinage de pétrole brut, pour désulfurer les carburants. Il sert aussi à la synthèse de matières plastiques, pour certains processus de l'industrie du verre ou la fabrication de circuits imprimés électroniques. Si le CO2 est capturé et séquestré de façon permanente, l'hydrogène est dit « bleu ». Mais l'objectif, aujourd'hui, est de l'obtenir grâce à l'électrolyse de l'eau, et mieux que cela, via des renouvelables en ce qui concerne les énergies nécessaires à ce processus. Dans ce cas, il est dit « vert ». Et c'est ce dernier type d'hydrogène qui concentre tous les espoirs. Il pourrait en effet apporter une contribution, partielle mais significative, à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre qui dérèglent le climat.

Mais à quelles conditions et dans quelles proportions ? À l'heure actuelle, selon le rapport 2022 sur l'hydrogène de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la demande mondiale d'hydrogène (toutes couleurs confondues) a atteint 94 millions de tonnes en 2021 (contre 91 millions en 2019, avant la pandémie), ce qui représente environ 2,5 % de la consommation totale en énergie dans le monde. Autant dire que si l'on poursuit sur cette lancée, la contribution de l'hydrogène à la transition écologique serait on ne peut plus modérée... En outre, afin de répondre à la demande actuelle, la production, en 2021, s'est faite essentiellement à base de produits fossiles, précise l'Agence. De fait, celle d'hydrogène « basses émissions » (qui englobe le bleu et le vert) n'a été que de moins d'un million de tonnes. Toutefois, si l'augmentation de ces derniers mois reste encore le fait des utilisateurs traditionnels - raffineurs et industrie -, sur le total de la demande, une partie : quelque 40 000 tonnes (soit, en 2022, une hausse de 60 % sur 2021) - provient de ce que l'Agence appelle de nouvelles applications : des projets de production d'acier utilisant l'hydrogène pour réduire le fer, par exemple, de même que d'autres, visant à alimenter certains secteurs, dont la logistique et le transport maritime ou aérien. Enfin, des centrales électriques s'y intéressent également. L'AIE relève en outre que les projets de production d'hydrogène « basses émissions » prennent de l'ampleur et ce, à un rythme soutenu.

Des contraintes fortes

Reste que les jeux ne sont pas faits et que certaines ONG, en particulier, critiquent la foi placée dans l'hydrogène pour relever le défi climatique. C'est dans ce contexte de voix dissonantes que l'université Paris-Saclay a voulu vérifier jusqu'à quel point une transition vers une économie fondée sur l'hydrogène pouvait être une alternative propre aux combustibles fossiles. Pour cela, les chercheurs ont utilisé plusieurs scénarios de transition jusqu'à 2100, en fonction, entre autres, des fameuses couleurs de l'hydrogène, et publié leur étude, intitulée Climate benefit of a future hydrogen economy, en novembre 2022. « Selon l'un des derniers rapports du GIEC, qui prend en compte les émissions de carbone cumulées depuis le début de l'ère industrielle, il ne nous reste plus qu'un total de 900 milliards de tonnes de CO2 à émettre dans l'atmosphère d'ici 2100 si nous voulons que le réchauffement se situe en dessous de 2 degrés Celsius. Or une économie partiellement à base d'hydrogène vert permettrait d'éviter de rejeter un tiers de ce total », souligne Didier Hauglustaine, directeur de recherche au laboratoire sciences du climat et de l'environnement à l'université Paris-Saclay. En effet, sur la période 2030-2100, l'usage d'hydrogène vert entraînerait une réduction de 331 milliards de tonnes de CO2 émises dans l'atmosphère. Mais à certaines conditions. D'abord qu'il n'y ait pas de fuites, lors de la production, du transport, du stockage et de l'utilisation. Ce sont en effet autant de dangers, puisque libéré, l'hydrogène affecte d'autres molécules, dont celles des gaz à effet de serre, dont il augmente en outre le potentiel de réchauffement... Autre contrainte : que la consommation d'hydrogène, et donc la production, augmente de près de huit fois entre 2020 et 2050 par rapport aux niveaux constatés en 2017... Ce qui implique aussi des productions d'énergies renouvelables (pour activer l'électrolyse) trois fois supérieures au parc mondial actuel, uniquement pour produire cet hydrogène. « Compte tenu des avantages pour le climat, cela vaut la peine d'essayer, assure le chercheur, en particulier dans les secteurs difficiles à décarboner, comme l'industrie lourde, le transport (trains, navires de commerce, avions) pour viser un usage, en 2050, qui correspondrait à 20 % de l'énergie totale nécessaire à l'économie. » Il s'agit donc d'introduire l'hydrogène, vert, de préférence, dans le nouveau mix énergétique, tout en gérant l'ensemble des contraintes.

Ambitions françaises

Malgré les incertitudes, si les économies veulent bénéficier de l'apport de l'hydrogène vert dans la lutte contre le dérèglement climatique, les États doivent stimuler les porteurs de technologies nécessaires et créer des filières de production d'hydrogène vert. Et c'est ce qu'ils font, de l'Amérique du Nord à l'Asie, en passant par l'Europe. Dans ce paysage, la France entend jouer un rôle majeur. En octobre 2021, devant le Conseil national de l'hydrogène, installé en janvier 2021, Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, n'a d'ailleurs pas hésité à proclamer que « la France doit être le leader mondial de l'hydrogène vert »...  Et selon Daniel Hissel, vice-président de l'université de Franche-Comté et directeur-adjoint de la Fédération Nationale Hydrogène (FRH2, CNRS), elle s'en donne les moyens. « L'écosystème qui se met en place - à base de grandes et de petites entreprises industrielles et de start-up, un peu partout sur le territoire - bénéficie d'un soutien fondamental de l'État, souligne-t-il. Alors qu'en 2018, il ne consacrait que 100 millions d'euros à la création d'une filière, le plan hydrogène, annoncé en 2020, a porté la somme à quelque 7,2 milliards d'euros jusqu'à 2030. » Certes, l'Allemagne entend (tout en important de l'hydrogène) également épauler son propre secteur, avec, peu ou prou, les mêmes montants d'investissements, et d'autres pays, dont l'Espagne et le Portugal, misent eux aussi sur l'hydrogène avec un soutien fort, d'autant que ces deux pays s'appuient sur leurs capacités en énergie photovoltaïque pour activer l'électrolyse. Mais comme l'indique Daniel Hissel : « La France a toutes les cartes en main. Elle peut profiter d'un savoir-faire, de la recherche et développement menée par ses ingénieurs de grande qualité et de l'innovation de ses start-up ». En outre, dans sa volonté d'indépendance énergétique et de relocalisations industrielles - et pour ne pas commettre la même erreur qu'avec le photovoltaïque, qu'elle voulait dynamiser mais dont les panneaux solaires étaient fabriqués en Chine... - « la France a adopté une stratégie axée sur la production nationale d'hydrogène et compte des champions aux ambitions européennes voire mondiales, comme Engie, EDF, TotalEnergies, Air Liquide, McPhy... », renchérit Charlotte de Lorgeril, Partner Energy, Utilities & Environment et Climate Analysis Center Global Lead, au cabinet de conseil SIA Partners. « La France a un écosystème très complet, confirme Christelle Werquin, déléguée générale de France Hydrogène, qui regroupe quelque 460 acteurs de la filière, dont 350 industriels, ainsi que des collectivités locales, très engagées, et elle bénéficie, pour l'électrolyse, de l'apport en électricité du nucléaire. Les conditions sont réunies. »

Reste, maintenant, à faire baisser le coût de production de l'hydrogène pour que ce produit devienne réellement compétitif - et il l'est presque -, de même qu'à réduire le prix d'achat de certains engins de transport, dont les poids lourds. Pour cela, « il faut massifier l'offre et la demande ; faire en sorte que tous les acteurs - producteurs, constructeurs et consommateurs - aient confiance et investissent ; construire des infrastructures, dont des stations de ravitaillement, et accroître, comme le fait le gouvernement, les mécanismes de soutien », résume-t-elle. Bref, il faut que le passage à l'échelle réussisse, pour que l'hydrogène, qui ne peut certes pas répondre à toutes les questions énergétiques ni relever tous les défis climatiques, fasse effectivement partie de la solution.

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T 13

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Commentaire 1
à écrit le 19/03/2023 à 22:04
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"Toutes les cartes en main" reste à ne pas les gâcher.

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