Philippe-Loïc Jacob (Citeo) : "Je souhaite que 100% des déchets soient valorisés"

A l'occasion de la Journée mondiale du recyclage, le président de Citeo, l'éco-organisme résultat de la fusion entre Eco-emballages et Ecofolio, explique à La Tribune comment il compte surmonter les défis qui font obstacle à cet objectif. Son plaidoyer pour le geste de tri, Green is the new gold, est sorti en librairies le 9 novembre.
Giulietta Gamberini
Aujourd'hui, "les performances en matière de taux de recyclage varient selon les matériaux: alors que pour l'acier nous atteignons 120%, pour le plastique le mieux qu'on obtient c'est 62% pour les bouteilles en PET", reconnaît toutefois Philippe-Loïc Jacob.

LA TRIBUNE - Le taux de recyclage des emballages stagne en France depuis plusieurs années en dessous de 70%, alors que le Grenelle de l'environnement avait fixé l'objectif de 75% pour 2012. Comment analysez-vous ce retard ?

PHILIPPE-LOIC JACOB - Je ne pense pas qu'il y ait un retard. Le taux de recyclage des emballages continue de croître, y compris au cours des dernières années. Mais s'il faut sans doute fixer des caps, afin d'enclencher et de soutenir une dynamique, l'objectif de 75% a néanmoins été sorti d'un chapeau: s'il avait été de 65%, aujourd'hui on dirait qu'on est en avance ! Or, il est incompatible avec l'existence encore autorisée de décharges... La question est donc surtout de comment continuer de progresser, tout en tenant compte des coûts. A terme, mon souhait serait même qu'on atteigne 100% de valorisation des déchets, dont 75% recyclés et le reste valorisé sous forme d'énergie.

Quels sont alors les freins et les leviers de cette progression?

La première frontière à franchir est celle de l'habitat vertical. L'objectif de 75% est le même dans tout le pays mais, en vérité, le taux de recyclage varie sensiblement selon les territoires: dans les petites villes du Nord du pays, il peut atteindre facilement 100%. Dans les grandes villes, les résultats sont moins bons, et ce indépendamment du niveau de richesse des quartiers. Le manque de place dans les appartement et l'état des locaux à poubelles, mal éclairés et malodorants, expliquent une partie de cet échec. C'est en raison de ce constat que nous avons proposé à Paris la mise en place des Trilib': des stations de tri sélectif complémentaires à la collecte porte-à-porte. Nous testons ce dispositif depuis juillet 2016 dans quatre arrondissements avec des résultats positifs, en matière de tonnages collectés comme d'erreurs de tri. L'objectif est donc de le généraliser.

Il y a néanmoins aussi une dimension culturelle dans le geste de tri...

Oui, c'est pourquoi notre deuxième axe d'action porte sur la sensibilisation. S'il y a une contribution dont Eco-emballages peut être fier, c'est justement d'avoir remis le geste de tri au goût du jour. Mais il y a encore un grand travail à faire, notamment auprès des jeunes qui, selon les sondages, trient bien moins que les plus âgés, et plus généralement chez tous les réfractaires, qui invoquent des doutes sur l'utilité du tri pour se justifier. Le livre que je viens de publier, Green is the new gold, est au fond essentiellement cela: un plaidoyer pour un geste simple aux très grands effets. Et le changement de nom d'Eco-Emballages en Citeo [cette année, après la fusion avec Ecofolio, NDLR] vise lui aussi à souligner la dimension de civisme du recyclage.

Pour certaines filières, comme celle du plastique, les doutes concernant l'efficacité du recyclage sont toutefois légitimes...

Il est sûr que les performances en matière de taux de recyclage varient selon les matériaux: alors que pour l'acier, qui peut être récupéré même dans les incinérateurs après la combustion, nous atteignons 120% [car on en récupère des quantités supérieures à celles mises sur le marché, NDLR], pour le plastique le mieux qu'on puisse obtenir c'est 62% pour les bouteilles en PET. Le plastique est donc notre troisième priorité. Le défi est surtout technique, et consiste à séparer les différentes résines, ce qui demande un tri optique. Il impose donc des investissements, et une réindustrialisation des centres de tri, parfois encore trop petites et vétustes. Depuis la création d'Eco-Emballages, ils sont déjà passés de plus de 300 à 208, mais notre objectif est de ne pas dépasser la centaine.

Depuis l'annonce par la Chine de sa volonté de ne plus recevoir de déchets occidentaux, les professionnels du recyclage craignent de devoir finir par incinérer le plastique pourtant trié voire recyclé... L'enjeu est donc aussi de promouvoir en France et en Europe l'utilisation du plastique recyclé, aujourd'hui moins compétitif que celui vierge.

Pour les entreprises, pour des raisons techniques, il n'est pas toujours facile d'utiliser des matières recyclées pour leurs emballages, sauf à en faire un argument marketing. Il est donc sans doute essentiel que les pouvoirs publics interviennent sur cette question par des incitations ou des taxes, car sans promotion de matière recyclée, qu'entend-on par cette économie circulaire dont on parle tant ? Travailler sur ce point serait sans doute bien plus intéressant que de pénaliser, comme cela a été fait, le PET opaque ! Les difficultés de recyclage de ce nouveau matériau, que le gouvernement a soumis à un malus, peuvent en effet être plus efficacement résolues par des investissements en matière de recherche et développement. Citeo vient d'ailleurs de consacrer 1,5 million d'euros au financement de 17 projets sur l'éco-conception, le recyclage et le développement de nouveaux débouchés du PET opaque, dans le cadre d'un travail concerté avec les metteurs sur le marché et les recycleurs. Nous avons d'ailleurs déjà résolu de la même manière, sans besoin de malus, un problème de recyclage analogue causé par de nouvelles étiquettes de bouteilles de bière. Notre mission n'est pas d'interdire, mais de faire dialoguer nos diverses parties prenantes, et d'accompagner l'innovation. Sans oublier qu'en matière de recyclage, il faut raisonner en temps longs: ceux que prend la sensibilisation et le travail sur les processus industriels.

Vous avez néanmoins des obligations en matière de promotion de l'éco-conception. Le débat autour du PET opaque ne rentre-t-il pas dans ce cadre?

A mon sens, non. Certes, les metteurs sur le marché ne se sont pas suffisamment concertés à ce sujet avec les recycleurs. Mais sur l'ensemble de son cycle de vie, l'empreinte environnementale de cet extraordinaire nouveau matériau est meilleure que celle du PEHD qu'il remplace. Je suis d'ailleurs très attaché à l'éco-conception. Le travail mené à Eco-emballages sur la réduction du poids des emballages nous a permis d'éviter entre 2007 et 2012 100.000 tonnes de déchets. Et même lorsque j'étais secrétaire général du groupe Danone, je militais contre le sur-emballage. C'est d'ailleurs parce que Eco-emballages l'a suggéré, que l'éco-conception a été insérée lors du dernier agrément dans le cahier des charges des éco-organismes: nous voulions nous assurer que cette mission s'impose aussi à tout éventuel concurrent, et éviter que, avec la sensibilisation, elle ne soit pénalisée par d'éventuelles stratégies de réduction des coûts. En Allemagne, l'arrivée de la concurrence a malheureusement été accompagnée d'une baisse de la publicité et donc d'une chute du geste de tri.

Votre concurrent potentiel, Leko, vient justement de renoncer. Vous vous retrouvez donc de nouveau dans une situation de monopole de fait. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Quand nous avons commencé, en 1993, nous avions bien un concurrent: Adelphe. Cela a duré 13 ans. Si ensuite nous avons repris cette société, qui aujourd'hui est notre filiale, c'est justement car, malgré ses difficultés financières, nous croyons qu'elle avait un rôle complémentaire au nôtre à jouer. Son marché est constitué essentiellement de petits viticulteurs, et on n'interagit pas de la manière avec ce type de clients qu'avec Nestlé! La concurrence est donc la bienvenue. L'arrivée de Leko nous a d'ailleurs poussés à évoluer d'une approche très tournée vers les collectivités à une plus grande attention pour le service du client. En 2015, nous avons changé de direction générale. Et un travail de simplification des déclarations demandées à nos clients, que des exigences de précision, de contrôle et d'équité rendaient jusqu'à présent beaucoup trop compliquées, a été engagé.
Je m'interroge toutefois sur les raisons de l'échec de Leko. Puisque nous n'avons pas d'usines, nous d'avons pas besoin de beaucoup de capital. Or, Leko  affirmait avoir le soutien de 20% des metteurs sur le marché. Il est vrai en revanche que leur promesse de faire baisser l'éco-contribution était difficile à tenir, puisque les éco-organismes doivent supporter 80% des coûts de la gestion du recyclage selon la loi... Je me demande aussi si un négociant allemand [le recycleur Reclay, à l'origine de la création de Leko via sa filiale Valorie, NDLR] est le mieux placé pour poursuivre la mission d'intérêt général confiée à un éco-organisme.

On peut aussi se demander si les mieux placés sont les metteurs sur le marché des emballages...

Les metteurs sur le marché sont pourtant ceux sur qui, selon le principe du pollueur-payeur, pèse l'obligation de gérer la fin de vie de leurs objets. Et au-delà des nombreux contrôles auxquels nous sommes soumis, la meilleure garantie de transparence de Citeo est le fait que nous sommes une société à but non lucratif. Mais je souhaite vraiment qu'on ait bientôt un concurrent de poids, car cela ne peut que nous faire évoluer positivement.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 15/11/2017 à 18:27
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"il peut atteindre facilement 100%." pas possible, une partie des plastiques n'est pas gérée, pas prise, le polystyrène (barquettes, emballages, ..) uniquement en déchetterie, sinon brulé. Et du plastique on en a partout. Me souviens des piles à l'un...

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