« We will, we will stop you », chantaient hier des militants écologistes à l'assemblée générale du géant pétrolier Shell, sur l'air du célèbre titre de Queen. « The show must go on », semble leur répondre aujourd'hui la major française TotalEnergies, chahutée à son tour pour la réunion annuelle de ses actionnaires.
Et pour cause, alors même que près de 250 activistes ont bloqué les accès à la salle dès l'aube, ce mercredi 25 mai, les cris des manifestants enchaînés entre eux ne l'ont pas empêché de maintenir l'événement, malgré un amphithéâtre pour le moins clairsemé. Avec à peine dix minutes de retard, celui-ci s'est en effet tenu à huis clos, en ligne, loin des slogans et des pancartes...et presque comme si de rien n'était.
« La séance peut se dérouler normalement. [...] Plus de 28.000 actionnaires sont présents, représentés ou ont voté par correspondance, ce qui représente un quorum de 68,87% des actionnaires », a ainsi souligné le PDG de l'entreprise, Patrick Pouyanné, à l'ouverture.
Surtout, malgré les dénonciations des activistes, les actionnaires ont applaudi le plan climat du groupe : 89% l'ont approuvé, contre 92% en 2021 - année lors de laquelle TotalEnergies se pliait pour la première fois à cet exercice. « Les actionnaires soutiennent la stratégie mise en œuvre à une très, très large majorité », s'est ainsi félicité Patrick Pouyanné.
Tacle aux actionnaires rebelles
Et pourtant, plusieurs investisseurs avaient fait savoir en amont qu'ils s'y opposeraient, parmi lesquels MN, Meeschaert, CNP Assurances, OFI AM, Edmond de Rothschild, La Financière De l'Échiquier (LFDE), Sycomore AM ou encore Mandarine Gestion. Mais également le Crédit Mutuel, bien décidé à se rebeller du fait d'une « forte augmentation de la production des hydrocarbures sur 2019-2030 » et déplorant que « les excédents découlant des prix actuels élevés des hydrocarbures ne soient pas affectés prioritairement à des investissements additionnels dans le renouvelable ». En effet, porté par la hausse des cours de l'énergie, le groupe a dégagé en 2021 un bénéfice record de 16 milliards de dollars, et continue d'investir massivement dans les combustibles fossiles. Mais pas de quoi déstabiliser l'imperturbable patron de la multinationale :
« Chacun est libre de ne pas conserver ses actions. [...] Une partie des actionnaires opposés aux nouveaux champs pétroliers et gaziers ont par ailleurs augmenté la part de leurs actions chez TotalEnergies. S'ils n'aiment pas les émissions [de gaz à effet de serre, ndlr], ils aiment le dividende ! », a-t-il taclé mercredi.
D'autant que le groupe « se transforme », a-t-il une nouvelle fois assuré. Pour atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle, celui-ci défend simplement une stratégie des petits pas, avec un glissement progressif vers les énergies décarbonées, entre autres, a ainsi répété le PDG.
La major pétrolière a d'ailleurs annoncé ce matin l'acquisition de 50% de Clearway, le cinquième acteur américain dans le secteur des renouvelables. « Cela illustre notre accélération, après avoir mis la main fin avril sur l'entreprise texane Solar Core », spécialisée dans la prospection et le développement de sites pouvant accueillir de grandes fermes de panneaux photovoltaïques, a insisté Patrick Pouyanné.
TotalEnergies renvoie la balle aux constructeurs et aux clients
Il n'empêche que cette mutation reste lente. Trop lente, estiment les activistes, qui implorent TotalEnergies de stopper les nouveaux projets d'extraction d'hydrocarbures, comme le préconisait récemment l'Agence internationale de l'Energie (AIE) elle-même, afin de rester sous la barre fatidique des +1,5°C d'ici à 2100 par rapport à l'ère pré-industrielle.
Mais « l'arrêt du pétrole ne serait ni possible, ni souhaitable, face à la demande actuelle d'énergie », a coupé court Marie-Christine Coisne-Roquette, administratrice référente. « La stratégie aura besoin de temps pour produire ses pleins effets », a renchéri Patrick Pouyanné.
L'entreprise reste d'ailleurs l'opérateur d'un projet pour le moins controversé de pipeline de pétrole brut en Afrique de l'Est, baptisé EACOP, dont la mise en service est prévue dès 2025 malgré des impacts délétères sur l'environnement. « Ces pays n'auraient donc pas le droit de développer leurs ressources naturelles au motif que nous, les pays occidentaux, jugerions qu'il y a déjà eu trop de CO2 émis par nous-mêmes ? », s'est défendu mercredi le PDG de TotalEnergies. Et d'ajouter que « la façon dont les avions, les trains, les camions ou les bateaux utilisent l'énergie, ce n'est pas [nous] qui le décidons, mais les constructeurs ».
« Surtout, la manière d'arriver au net zéro sera certes le résultat d'une politique de l'offre, mais dépendra aussi de la capacité qu'on aura à faire évoluer la demande des consommateurs. [...] Or, la demande de pétrole et de gaz ne baissera pas de 30% d'ici aux dix prochaines années comme l'affirme l'AIE, ce n'est pas vrai. Celle-ci reste plutôt stable, voire a monté ! Je suis prêt à prendre tous les paris », a-t-il poursuivi, assumant son choix de ne « pas prendre en considération » la trajectoire vers la neutralité carbone publiée par l'AIE.
Il faut dire que, pour l'heure, TotalEnergies trouverait bien peu d'intérêt à ce que cette demande chute. Car l'envolée des prix des hydrocarbures lui offre des résultats mirobolants, notamment dans le gaz naturel liquéfié (GNL). 42 millions de tonnes de GNL ont ainsi été vendues en 2021, soit un bond de 40% « par rapport à l'avant-Covid », avec un résultat net ajusté proche de 6 milliards de dollars pour cette seule activité.
« C'est le fruit d'un développement et d'une croissance structurelle sur ces dernières années, qui font de TotalEnergies un acteur mondial de premier ordre dans GNL », s'est félicité le directeur financier Jean-Pierre Sbraire.
Le gaz naturel liquéfié toujours au cœur de la stratégie
TotalEnergies compte d'ailleurs pleinement sur le GNL pour assurer sa « transition » et se désengager progressivement du pétrole à partir de 2025, malgré le caractère fossile et fortement émetteur de cette source d'énergie. C'est même « le premier pilier » sur lequel repose la stratégie du groupe, a insisté Patrick Pouyanné mercredi. En témoigne la forte croissance aux Etats-Unis ces cinq dernières années, permettant à la major française de devenir en 2021 le plus gros exportateur de GNL américain (principalement du gaz de schiste), notamment grâce à l'usine Cameron LNG, parvenue à pleines capacités, et ses achats à Freeport LNG et Cheniere LNG. L'entreprise se tourne également vers l'Asie et l'Amérique latine, avec plusieurs projets sur les rails.
« Cela accompagne les politiques récemment annoncées par l'Europe. C'est-à-dire, d'une part, assurer l'approvisionnement en GNL pour se défaire du gaz russe, et de l'autre, accélérer la production d'électricité renouvelables et de molécules décarbonées », a justifié Patrick Pouyanné.
Un nouvel engagement est d'ailleurs apparu fin mars pour appuyer cette stratégie dans le GNL : celui de réduire les émissions de méthane (CH4) de 50% en 2025 par rapport à 2020, et de 80% en 2030. Principal constituant du gaz naturel, le CH4 présente en effet un pouvoir de réchauffement 25 fois supérieur à celui du CO2 sur cent ans. Pour éviter les fuites dans les installations, TotalEnergies, qui affirme les avoir déjà réduit de moitié depuis 2010, a répété mercredi qu'il poursuivrait les améliorations.
Reste que la grande majorité des émissions des combustibles fossiles ne se dégagent pas lorsqu'ils sont mis au point puis acheminés vers les clients, mais quand ils sont brûlés, dans un véhicule par exemple. Un scope qui n'est pourtant pas pleinement pris en compte par la major tricolore, puisque celle-ci s'intéresse principalement à la pollution générée lors des processus de production. Mettant par là même sous le tapis un pan entier de l'impact de ses activités sur le dérèglement climatique à venir.
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