Climat : la pollution méconnue des hôpitaux

Mesures sanitaires et multiplication des soins obligent, l’impact écologique des hôpitaux a explosé avec la pandémie. La problématique n’est pourtant pas nouvelle : s’il connaît mal ses émissions, le secteur de la santé participe sur plusieurs plans au dérèglement climatique, de la production des médicaments au gaspillage en restauration collective. Mais malgré une prise de conscience, les engagements politiques restent timides et les moyens de s’y attaquer limités.
Marine Godelier
Les grands établissements de santé doivent fournir un bilan carbone, mais seules les émissions dues directement à la fabrication des produits et à leur consommation énergétique doivent être mesurées, le reporting des émissions indirectes liées à d'autres étapes du cycle de vie (transport, utilisation, déchet...) n'étant pas obligatoire.
Les grands établissements de santé doivent fournir un bilan carbone, mais seules les émissions dues directement à la fabrication des produits et à leur consommation énergétique doivent être mesurées, le reporting des émissions indirectes liées à d'autres étapes du cycle de vie (transport, utilisation, déchet...) n'étant pas obligatoire. (Crédits : Pixabay)

Masques, blouses, gants, charlottes, draps ou encore seringues : crise sanitaire oblige, le nombre de matériels médicaux à usage unique a explosé, en même temps que la pandémie de coronavirus. Selon la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade), tandis que les déchets brûlés ont diminué d'environ 80% dans la construction, de moitié dans les entreprises et de 10 à 30% chez les ménages pendant le premier confinement, ils ont bondi de près de 50% dans le secteur de la santé.

Et la plupart sont composés de plastique, omniprésent à l'hôpital. En premier lieu les déchets d'activité de soins à risques infectieux (DASRI), qui concernent notamment les seringues jetables, ont été étendus aux objets manipulés au sein des unités Covid et finissent en grande majorité en cendre - à cause du risque sanitaire posé par leur réutilisation. Leur incinération n'est pourtant pas sans conséquences : celle-ci dégage des substances chimiques extrêmement toxiques, sources de « problèmes de reproduction et de développement, endommager le système immunitaire, interférer avec les hormones et causer également le cancer », affirme l'OMS.

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Une pollution mise en lumière par le contexte de crise, mais loin d'être isolée dans le secteur de la santé. Elle serait même l'arbre qui cache la forêt : fabrication des médicaments, emballages multiples mais aussi gaspillage alimentaire ou mauvaise conception des bâtiment, le bilan écologique des hôpitaux serait en fait très lourd, avance le Comité pour le développement durable en santé (C2DS). L'association travaille depuis des années à sa décarbonation, « une priorité » selon François Mourgues, son président.

Bilan carbone erroné

Car il estime que le secteur doit « jouer sa partition » pour honorer l'engagement de la France aux accords de Paris, de réduction de l'empreinte carbone de 40% d'ici à 2030. En commençant par chiffrer plus finement ses propres impacts. En effet, si les grands établissements doivent bien fournir un bilan carbone, seules les émissions dues directement à la fabrication des produits et à leur consommation énergétique doivent être mesurées, le reporting des émissions indirectes liées à d'autres étapes du cycle de vie (transport, utilisation, déchet...) n'étant pas obligatoire. Selon le C2DS, c'est pourtant ce dernier champ qui participe le plus à la pollution des hôpitaux.

Résultat : alors qu'il est aujourd'hui estimé que l'empreinte globale du secteur dans l'Hexagone représentent environ 5% des émissions de gaz à effet de serre françaises, ce chiffre est « erroné », martèle l'association. Or, sans mesure précise, « impossible de décarboner », insiste Olivier Toma, son porte-parole. Pire : les méthodes de calcul actuelles inciteraient en fait à se tourner vers des procédés plus polluants.

« Les indicateurs utilisés ne font pas la différence, en terme d'impacts, entre une production en France, avec des matières premières locales, et un masque chinois importé [puisque le reporting des émissions liées à l'acheminement et au transport n'est pas requis, ndlr]. C'est dangereux en termes de prise de décision », alerte-t-il.

Photographie des émissions

Certains établissements prennent cependant les rênes sur le sujet, et devancent la loi. Comme à Toulouse, où la clinique Saint Roch a produit, il y a huit ans, une première « photographie » de son impact, explique Fabien Leloir, son référent RSE. Avant de signer une charte écogeste pour s'attaquer progressivement à ces émissions.

« Même si ce n'est pas obligatoire pour une clinique de notre taille, nous avons jusqu'ici effectué quatre bilans carbone, et un cinquième est prévu en 2022. Cela permet d'améliorer certains postes d'émissions que nous n'aurions pas connus sans les évaluer au préalable », précise-t-il.

Achats de produits, gisement de déchets, transport des marchandises, déplacement des patients, trajets domicile-travail du personnel... : tout est passé en revue, y compris les émissions indirectes, qui représentent pas moins de « 85% des émissions totales » rapportées, selon Fabien Leloir. Résultat : la clinique affirme avoir réduit de près de 52% ses émissions... contre un objectif initial, introduit par le Grenelle de l'environnement de 2007, de -20%.

L'importance de la commande publique

Une décarbonation qui passe notamment par la commande publique, les achats des hôpitaux pesant, en moyenne, pour 50% des émissions de gaz à effet de serre du secteur, affirme le C2DS. Au centre Oscar Lambret, à Lille, des conditions ont ainsi été introduites dans les appels d'offre sur les denrées alimentaires, de manière à s'attaquer à la pollution liée à la restauration collective. « On demande aux fournisseurs un bilan annuel du type de produits proposés, du transport utilisé ou des kilomètres effectués », précise Edith Bayart, référente développement durable. Et ces exigences de reporting entrent désormais en compte dans le classement des fournisseurs.

« Cela permet d'accroître la pression, qui les amène à mettre en place des outils pour fournir les données que nous demandons, et justifier de démarches en ce sens par rapport à la concurrence », développe-t-elle.

Ces initiatives concernent aussi des établissements de plus grande taille : au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, une partie des émissions indirectes liées au cycle de vie des produits ont rejoint le périmètre d'analyse, même si leur évaluation est facultative. « On a fait au mieux au regard des moyens, et on n'a pas pu tout inclure. Mais il est sûr que le fait d'avoir une vision sur la totalité des champs permet de se donner véritablement les moyens pour piloter la décarbonation, en identifiant des leviers d'actions », précise Carima Mokrefi, directrice adjointe en charge du développement durable de l'établissement.

Selon la grille retenue, ce sont les trajets domicile-travail des près de 12.000 agents du CHU qui affichent le plus gros impact - près de la moitié des émissions générées. Pourtant, le Plan de mobilité de l'établissement, qui vise à optimiser l'efficacité des déplacements et dont la mise en oeuvre est encouragée par les autorités publiques, date d'il y a plus de dix ans. Résultat : le plus gros poste d'émissions fait aussi figure d'angle mort.

Organisation en silo

Si le sujet avance si lentement, c'est, entre autres, parce que la charge de travail peut affoler les établissements et les distributeurs, déjà soumis à une charge de travail conséquente, avec des moyens limités, précise le C2DS. D'autant que s'y attaquer demande une révision du système lui-même.

« Ce sont des thèmes transversaux, difficiles à aborder pour un secteur qui a l'habitude de travailler en services. Là, dès qu'on tire un fil, on voit que cela concerne différentes personnes, partout dans l'établissement », précise Véronique Molières, directrice stratégique du C2DS.

Une organisation en silo qui peut entraver la prise de décision : « On a lancé il y a dix ans l'obligation de douche à la bétadine avant une opération chirurgicale. Alors qu'on nous dit aujourd'hui que ça ne sert en fait à rien, le procédé reste : une fois que l'on a mis en branle le système, il est quasi impossible de revenir en arrière », illustre Olivier Toma.

Pourtant, les équipes médicales et soignantes s'y intéressent de plus en plus, affirme-t-il. La société d'anesthésie et de réanimation, par exemple, a récemment publié un guide pratique pour le développement durable au bloc opératoire. Le but : privilégier certains produits dont l'empreinte écologique est meilleure - pour une même qualité de soin.

« De plus en plus de médecins réagissent, veulent participer à des groupes de travail, ce qui n'était pas le cas avant, à part pour les pionniers. On voit qu'ils sont rentrés dans une dynamique, surtout les jeunes générations », ajoute Véronique Molières.

Etiquetage des médicaments

Mais en l'absence de contraintes globales, les ambitions internes ne peuvent pas suffire. Notamment sur les industriels, dont le manque d'engagements reste le principal obstacle, estime l'association. Car ceux-ci ne sont aujourd'hui pas tenus de préciser la composition exhaustive des masques, implants et autres prothèses.

« Ces informations ne sont pas accessibles, y compris par les chirurgiens eux-mêmes. Il est donc impossible de connaître l'impact des produits. De même pour l'analyse du cycle de vie des médicaments fournis », alerte Olivier Toma, qui plaide pour plus de « transparence ».

Pour les y obliger, le monde politique reste « en retard », regrette François Mourgues. Certes, le Segur de la santé, achevé l'été dernier, a appelé à réduire les coûts de gestion des DASRI, à mettre fin au plastique à usage unique dans la restauration collective ou encore à rénover les établissements. « Mais cela va maintenant demander des financement et des engagements », note le  président du C2DS.

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Surtout, selon l'association, il faut aller plus loin et imposer l'étiquetage de l'empreinte carbone des médicaments à ceux qui les produisent, sur l'ensemble du cycle de vie. « Lorsqu'on achète un billet d'avion, le bilan équivalent CO2 est indiqué. Quand on construit un bâtiment, préalablement à sa conception, il faut fournir une mesure d'impact. Nous pensons qu'il faut faire la même chose dans le domaine de la santé. Lorsque ce sera le cas, on pourra avancer », conclut Olivier Toma.

Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 28/06/2021 à 13:29
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Poulluer, tuer, rendre malade permet aux mégas riches de se faire toujours plus de fric toujours plus vite or quand nous voyons que leur avidité est en train d'anéantir le monde on voit la difficulté majeur de rompre leur aliénation cupidte vu que do...

à écrit le 28/06/2021 à 12:58
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faut vite des mesures ecolos! faut fermer les hopitaux, de toute urgence, ca assassine sauvagement des ours blancs! qu'on coupe prioritairement les respirateurs et autres appareils qui polluent en consommant de l'electricite injuste, puis on atteint ...

à écrit le 28/06/2021 à 12:32
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Et oui, on ne vit pas dans un monde binaire, il n'y a pas d'un côté, les choses uniquement bonnes, et de l'autre, les choses uniquement mauvaises : Le méchant COVID, le gentil confinement : Il faut regarder plus loin que le bout de son nez

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