
Dans les océans, un spécimen d'un nouveau genre a fait son apparition. Pas d'espèce animale en vue, mais des millions de masques sanitaires qui prolifèrent, tapissant nos fonds marins. Constitués de polypropylène - un dérivé du pétrole -, ils y propagent des nano-plastiques. Et mettent près de 500 ans à se dégrader.
Ces accessoires barrières, indispensables à la lutte contre la propagation du coronavirus, deviennent ainsi un fléau pour l'environnement. En France, ils représentent 400 tonnes de déchets par jour, estime l'association Zero Waste (à raison de deux masques jetables par personne). Lorsqu'ils sont jetés correctement, ils finissent dans les poubelles grises, parmi les ordures ménagères non recyclables, avant d'être incinérés ou enfouis. Une solution « non satisfaisante », estime le député Gérard Leseul (PS). Co-rapporteur d'une mission flash de l'Assemblée nationale sur la question, il plaide pour la mise en place de véritables filières de traitement de ces masques. « Il faut parvenir à en tirer une nouvelle matière, pour la réutiliser et ainsi créer une boucle d'économie circulaire », avance-t-il.
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Intégré dans la filière textile
Et les moyens techniques existent. A Châtellerault, en Nouvelle-Aquitaine, la startup Plaxtil s'est saisie du sujet après le premier confinement. Spécialisée dans le recyclage des déchets issus de la « fast fashion », elle a choisi de diversifier son activité face à la pandémie. « Nous voulions trouver rapidement une solution écologique à la multiplication soudaine du matériel sanitaire à usage unique », explique son cofondateur, Olivier Civil. Celle-ci ne s'est pas fait attendre : « La recette brevetée que nous avions élaborée pour la valorisation du textile s'est avérée transposable à celle des masques, après avoir enlevé la barrette métallique. »
L'entreprise s'est donc lancée dès le mois de juin, avec une première expérimentation fructueuse. Depuis, elle a pu recycler « plusieurs centaines de milliers de masques ». Désinfectés par ultraviolets puis broyés, elle les agrège en usine, grâce à une résine à la composition secrète. En résulte l'obtention d'une nouvelle matière, qui peut être injectée en plasturgie afin de fabriquer une multitude d'objets. Seules limites : les emballages alimentaires, pour des raisons sanitaires, et les dispositifs de sécurité.
A chaque territoire ses acteurs
Si Plaxtil se targue d'être « la première », elle n'est pas la seule entreprise à travailler à l'émergence d'une économie circulaire du masque. Sur tout le territoire, plusieurs acteurs tentent de faire naître une filière vertueuse. En Auvergne Rhône-Alpes, Cycl-Add propose ainsi de les chauffer à 230°C, avant de les transformer en granulés, qui serviront à confectionner du fil à coudre technique. A Tours, NeutraliZ Protection, start-up de confection de protection sanitaire, se charge de développer un site pilote de recyclage pour des débouchés industriels.
Dans le Nord, c'est la société Cosmolys, spécialisée dans la collecte de déchets infectieux, qui valorise le polypropylène dans son usine d'Avelin. « On en sort une purge qui trouve diverses applications, comme dans les pare-chocs par exemple », précise Arnaud Mary, directeur commercial et développement.
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L'enjeu majeur de la collecte
Mais avant d'arriver à ces recycleurs, encore faut-il que les masques soient bien collectés. « Nous devons informer les citoyens au préalable. Il y a une grande confusion, certains les jettent encore dans les poubelles jaunes, ce qui altère la chaîne traditionnelle », regrette Gérard Leseul. Autre source d'inquiétude, qui pourrait freiner le processus : celle d'une potentielle contamination via les poubelles. « Pour y répondre, nous devons créer des systèmes de collecte indépendants de ceux des autres déchets », fait valoir le député.
Une organisation qui va déjà bon train dans certaines régions. Dès le début du projet, Plaxtil a fait appel à l'entreprise d'économie sociale et solidaire Audacie, afin de mettre en place des conteneurs de récupération des masques à Châtellerault. « Ils les recueillent, puis personne n'y touche pendant quatorze jours », souligne Olivier Civil.
Moins d'un an plus tard, la start-up s'est associée à une vingtaine de communes françaises. A l'instar de Talence, près de Bordeaux, qui a lancé ce lundi 15 mars une opération de recyclage sur dix semaines, afin d'assurer la transformation des masques jetables en règles ou équerres, pour un coût total de 10.000 euros. Ou encore de Meudon, qui a déployé en début d'année vingt-cinq bornes à destination des habitants. « Tous les quinze jours, une association pour la réinsertion de personnes handicapées se charge de les trier, avant de les envoyer à Plaxtil », explique Florence de Pampelonne, maire adjointe déléguée au développement durable. L'expérience, qui « sera sans doute renouvelée », a permis de récolter « environ 10.000 masques par mois ». Même son de cloche à Tours, où la Métropole se félicite de l'installation de deux collecteurs, là encore vidés et triés par une association pour l'insertion, dans le but de ravitailler NeutraliZ Protections en masques.
« Certaines collectivités territoriales ont pris la mesure du problème, et deviennent un moteur en la matière. Elles multiplient les partenariats, que ce soit avec les recycleurs privés, ou les entreprises de l'économie sociale et solidaire pour la collecte. On assiste à un début de structuration régionale, avec des acteurs différents, mais qui fonctionnent à peu près sur le même mode », résume Gérard Leseul.
Aux quatre coins de la France, l'entreprise Terracycle fait aussi son trou. Elle propose des « boîtes zéro déchets ». L'objectif : récolter le plus de masques possible, et les acheminer vers un partenaire recycleur - le plus souvent au Royaume-Uni. Vendus entre 110 et 230 euros, les contenants sont destinés aussi bien aux entreprises qu'aux particuliers. « Entre la collecte et le recyclage, ils transitent chez nous, pour la pesée et une première inspection visuelle », développe la directrice générale, Laure Cucuron. Mais afin de démarrer l'opération à une échelle industrielle, elle doit accumuler « au moins cinq millions de tonnes de masques ». Pour l'heure, l'entreprise n'en a récolté qu'un million de tonnes en France. « Alors que volumétrie n'est pas suffisante pour être rentable, l'Etat doit s'impliquer pour épauler la filière », préconise Gérard Leseul.
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