Convention climat : “La philosophie n'a jamais été celle d'une décroissance radicale”

Huit jours après la fin de ses travaux, Emmanuel Macron a annoncé lundi la suite qu'il compte donner aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat. L'une des 150 membres, Amandine Roggeman, explique à La Tribune pourquoi la réponse du président de la République les satisfait.
Giulietta Gamberini
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Après neuf mois de travaux, la Convention citoyenne pour le climat (CCC), composée de 150 citoyennes et citoyens tirés au sort, a finalement connu lundi la réponse que le président de la République donnera à ses 149 propositions, dont l'objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France de 40% avant 2040. Amandine Roggeman, 26 ans, parisienne et employée dans le secteur la culture, a été l'une des porte-parole de cette institution démocratique inédite. Elle analyse pour La Tribune la réponse donnée par le président, telle qu'elle a été ressentie par les 150 participants.

LA TRIBUNE - Au lendemain de la rencontre des 150 avec le président de la République, quel sentiment gardez-vous de ce moment inédit?

AMANDINE ROGGEMAN, membre et porte-parole de la CCC - Nous en retenons avant tout un sentiment de fierté: avoir été reçus à l'Elysée a sans doute représenté un gage de considération et de reconnaissance vis-à-vis de notre travail et de notre investissement personnel. Nous sommes aussi très satisfaits d'avoir pu prendre la parole, qu'un temps d'écoute nous ait été accordé au plus haut niveau de l'Etat. Mais nous ressentons aussi la pression de la responsabilité. D'une part par rapport au contexte politique: la vague verte des municipales montre qu'enfin les Français perçoivent l'urgence environnementale à laquelle nous avons été sensibilisés pendant les derniers mois. D'autre part, par rapport au rôle que nous allons devoir continuer de jouer, puisque le président nous a demandé de nous impliquer dans la mise en oeuvre de nos propositions. Cette demande et ce contexte renforcent la responsabilité que nous avons face aux Français de défendre nos propositions.

Êtes-vous satisfaits des promesses d'Emmanuel Macron?

Globalement, oui, puisqu'il en a retenu 146 sur 149. Et c'est sur ces 146 que nous voulons nous concentrer, afin de les mettre en oeuvre vite, plutôt que sur les trois rejetées.

Que pensez-vous de son refus explicite de transposer trois mesures: la limitation de la vitesse à 110 km/h dans les autoroutes, la modification du préambule de la Constitution et la taxation des dividendes?

Dès janvier, le président avait annoncé qu'à l'issue de la CCC, il y aurait un moment solennel de réponse à nos propositions. Il avait donc déjà remis en cause l'idée initiale d'une transposition globale "sans filtre", en évoquant la possibilité d'un éventuel droit de regard sélectif. Finalement, je pense que les explications du président sur les trois mesures non retenues ont été entendues et comprises par les 150 citoyens. Concernant le préambule de la Constitution, il s'est montré réfractaire à l'idée d'une hiérarchisation des droits et libertés hissant ceux de la nature au-dessus des autres, tout en retenant la possibilité d'inscrire la protection de l'environnement dans l'article premier. Nous reposons donc désormais beaucoup d'espoir dans le projet de modification de cet article. Pour ce qui est de la taxe de 4% sur les dividendes, Emmanuel Macron ne s'est pas montré opposé à la philosophie sous-tendant la proposition: celle d'un prélèvement fiscal pesant sur les capitaux et profitant à la transition écologique. Il a seulement remis en cause le mécanisme que nous avons choisi... et c'est possible qu'il y en ait de meilleurs. Parmi nos propositions, il y en a d'ailleurs d'autres qui visent le même objectif.

Quant à la limitation de vitesse à 110 km/h, il s'agit d'une proposition qui avait fait débat aussi au sein de la la CCC, et que nous avions fini par retenir surtout en raison de son impact sur la réduction des gaz à effet de serre, significatif et facilement mesurable. La polémique qu'elle a suscitée aura eu le mérite d'attirer encore plus d'attention sur nos travaux. Mais nous n'avions pas envie de générer un déchirement social.

De nombreux commentateurs dénoncent un discours d'Emmanuel Macron trop vague et réducteur face à vos propositions les plus poignantes, très précises. D'autres notent que de nombreuses propositions des 150 ont déjà été portées par des parlementaires, et ont été rejetées par la majorité. Etes-vous confiante dans la transposition législative qui en sera faite?

Nous entendons ces critiques de défenseurs de longue date de l'environnements, et nous reconnaissons leur travail, sur lequel le nôtre s'est appuyé. Mais aujourd'hui, il faut se réjouir du tournant qui s'amorce, profiter de cette opportunité et mettre ses déceptions de côté. Si grâce à un ensemble de facteurs tels que le travail de la CCC, la crise liée au coronavirus et le contexte politique, les choses avancent, il faut bien faire quelque chose de cet élan!

La cérémonie d'hier n'était d'ailleurs pas le bon moment pour rentrer dans le détail de la mise en oeuvre des mesures. Le président à renvoyé cela à un examen ultérieur par les parlementaires et les administrations de l'Etat, ce qui est plutôt un gage de sérieux. Je souhaite donc qu'on laisse le temps aux choses de se mettre en route, et que tout le monde se retrousse les manches pour contribuer à la mise en oeuvre de notre travail.

Votre proposition sur l'écocide n'a pourtant été que très partiellement retenue...

Notre idée de la soumettre à référendum n'a en effet pas été acceptée à ce stade. Mais le président s'est quand même engagé à rouvrir, y compris en France, la discussion sur ce sujet, sensible, complexe et qui a jusqu'à présent été repoussé plusieurs fois. Les juristes mobilisés sur ce front ont pris au pied de sa lettre sa promesse et sont prêts à accélérer les travaux.

Lire: « La Convention citoyenne pour le climat est déjà un succès » (Thierry Pech)

Les pouvoirs publics sauront-ils respecter le projet global qui sous-tend vos mesures ou craignez-vous un détricotage?

Depuis le début, c'est le danger face auquel nous mettons en garde, en plaidant pour une approche globale de notre travail. Mais le message semble pour le moment avoir été entendu. Emmanuel Macron a d'ailleurs lui-même repris notre argumentaire lorsqu'il nous a expliqué ce qui l'opposait à notre proposition de limiter la vitesse à 110 km/h, en évoquant la crainte que notre "travail soit résumé à une mesure". Le président a en outre annoncé qu'un projet de loi devrait reprendre l'ensemble de nos propositions avant la fin de l'été. Cela implique certes le risque que si quelques-unes font débat, le tout soit rejeté, mais c'est aussi un argument en faveur de la cohérence d'ensemble. Le président s'est enfin engagé à porter notre projet aussi à l'échelle européenne, et à en faire la pédagogie dans sa globalité, bien qu'en mettant en avant l'instauration d'un prix du carbone, qui semble représenter une priorité stratégique à ses yeux.

La possibilité de référendums sur vos mesures au-delà de ceux que vous aviez proposés, est-ce une bonne nouvelle?

Personnellement, je faisais partie des citoyens favorables à une ouverture plus large des mesures à soumettre à référendum. Après l'enthousiasme initial face à cette possibilité extraordinaire qui nous était donnée de soumettre nos idées au peuple français dans un exercice de démocratie quasi-directe, nous avons été confrontés aux difficiles questions de sa mise en oeuvre et de sa traduction pratique. Nous nous sommes rendu compte que dans le choix des mesures à soumettre à référendum, il fallait tenir compte du risque que la consultation se transforme en plébiscite pour ou contre le président, du calendrier politique etc. Nous avons finalement choisi de recourir au référendum pour les mesures les plus symboliques, et je soutiens cette décision. Mais je n'ai jamais exclu que notre maturité autour de cette question pourrait continuer d'évoluer.

Au fond, l'insistance du président sur la nécessité d'un modèle économique "productif" et voué à la croissance vous semble-elle compatible avec la transition écologique, et avec les travaux de la CCC?

Le président a sans doute tenté d'établir un lien entre nos travaux et son projet politique, puisque ces références à la nécessité de produire et travailler figurent dans son discours depuis le début de son mandat. Mais bien que certains nous traitent de "khmers verts", et que nos travaux soient ambitieux, la philosophie dont nous avons discuté entre nous pendant neuf mois n'a en réalité jamais été celle d'une décroissance radicale. Dans le groupe thématique "produire et travailler", l'ambition n'a jamais été de ne plus produire, mais de produire pour vivre mieux. Dans celui "consommer", nous nous sommes inévitablement interrogés sur la décroissance. C'est un indicateur utile pour prendre du recul par rapport au modèle de société actuel. Mais ce n'est pas ce que nous proposons. Si le "consommer moins" a été inhérent à nos réflexions, notre réflexion finale s'est plutôt recentrée autour du "consommer mieux". Nous n'avons jamais adhéré à une idée de sobriété contrainte et subie.

Nous prônons certes un changement de l'appareil productif, mais en associant les entreprises pour qu'elles participent à la mise en oeuvre de nos mesures. Dans notre démarche, la justice sociale s'applique à tous les niveaux et à tous les acteurs, d'autant plus en période de crise: il n'a jamais été question de laisser personne sur le carreau. Les propositions spécifiques que nous avons formulées face à la crise confirment notre volonté d'aller surtout et de plus en plus vers une forme de croissance plus vertueuse.

Lire: Convention citoyenne pour le climat  : « Relocalisons nos secteurs stratégiques »

Les 15 milliards supplémentaires mis à disposition sur deux ans pour la transition sont jugés par de nombreuses ONG comme insuffisants. Qu'en pensez-vous?

Tout dépend d'à quoi on se réfère. Mais en tenant comptes des frais comme des recettes engendrés par nos propositions, nous avions calculé que 6 milliards d'euros seraient nécessaires pour leur mise en oeuvre. Par rapport à ces estimations, les 15 milliards d'euros promis semblent donc pertinents.

Êtes-vous satisfaite de la méthode choisie et du rôle qui est attribué aux 150 dans la mise en oeuvre de ces mesures?

Nous sommes contents et reconnaissants de continuer d'être associés aux travaux: la transposition "sans filtre" promise au début par Emmanuel Macron va désormais aussi peser sur nos épaules! Je ne peux toutefois pas m'empêcher d'en voir déjà les implications en termes de temps, de déplacements, et de m'en inquiéter. Les 150 ont des vies en dehors de la Convention. Et il va falloir à tout prix conserver leur cohésion. Il faut donc respecter l'engagement initial et composer avec respect et délicatesse par rapport à leurs contraintes. Or, nous avons bien créé une association, mais elle n'est qu'à ses débuts. C'est une chose de continuer bénévolement de porter le message de la CCC, par exemple au niveau européen, c'en est une autre de participer à des groupes de travail officiels sur le long terme. Jusqu'à présent nous avons été soutenus logistiquement. J'espère que nous allons encore être aidés à nous structurer et répondre à l'engagement qui est attendu.

Lire aussi : 15 milliards pour "la conversion écologique", référendum...: les principales annonces de Macron à la Convention climat

Giulietta Gamberini

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Commentaires 4
à écrit le 01/07/2020 à 17:47
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Croissance et décroissance sont a bannir, seul le recyclage a de l'intérêt et permettra le progrès plutôt que l'innovation!

à écrit le 01/07/2020 à 12:46
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2 degrés c'est maintenant sûr. Les blagues conventionnelles qui traitent des détails et non du fond du problème nous ferons bien évoluer vers 3°, vive la croissance.....

à écrit le 01/07/2020 à 10:42
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vu que la population et les gains de productivite vont aller au tas, y aura de toute facon decroissance en france ( cf cours de croissance); et les salaires suivront ( cf cours microeconomie 1ere annee) bon, dans le tiers monde, ca sera evidemment a...

à écrit le 01/07/2020 à 9:19
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Ce n'était certainement pas une philosophie, détendez vous les amis hein, mais seulement un exercice comptable, la différence étant que vous avez cherché à ce que les chiffres soient moins orientés vers la pollution à votre façon.

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