Édouard Bergeon : « Un agriculteur est un homme libre »

Réalisateur du film "Au nom de la Terre" qui a révélé au grand jour le mal-être des paysans d'aujourd'hui, Edouard Bergeon est plus que jamais engagé auprès du monde agricole. Avec aunomdelaterre.tv, la chaîne qu'il vient de lancer, il poursuit cette mise en lumière pour soutenir celles et ceux qui nous nourrissent trois fois par jour. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°8 "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour manger bien", actuellement en kiosque).
(Crédits : Denis Allard/Leextra pour La Tribune)

Rendez-vous est pris chez Robert, le restaurant qu'il tient avec son ami Loïc Martin dans le 11e arrondissement de Paris. Une bonne table dans laquelle les assiettes sont remplies de produits de la terre, bien sûr. Car notre hôte ne fait pas les choses à moitié. Son engagement à réconcilier le monde urbain et agricole est loin d'être une gageure ; cela relèverait plutôt d'un don, voire d'une vocation. En tous les cas d'un chemin de vie tout tracé, d'un sillon qu'il est très fier et heureux de creuser. Fils d'agriculteurs ­­­- ceux qui ont vu Au nom de la Terre avec Guillaume Canet dans le rôle de son père, connaissent la tragique histoire de sa famille - Édouard Bergeon aurait pu le devenir aussi mais le hasard de la vie et la passion du vélo qu'il pratique comme un pro l'ont mené tout droit dans les bureaux de La Nouvelle République puis dans ceux de France 3 Poitiers et enfin de France 2. De documentaires en reportages, le jeune homme se fait sa place et se lance dans des sujets qui le font renouer avec son passé paysan, le sien mais surtout celui de sa famille. Son documentaire Les Fils de la Terre est le début d'une longue histoire, de celle qui donne du sens à la vie. Depuis, Édouard Bergeon est tout à la fois, réalisateur, journaliste, restaurateur, entrepreneur et même cofondateur d'un collège atypique. Cycliste toujours, il faut bien décompresser et se ressourcer en pleine nature quand les activités citadines sont si prenantes. Voilà donc un homme engagé, qui sans s'en apercevoir vraiment est devenu le réconciliateur de deux mondes qui ont toujours eu du mal à se comprendre : la ville et la campagne. Sans doute pour se réconcilier un peu avec la vie aussi. Une vie dans laquelle les projets ne manquent pas, toujours dans le leitmotiv qui est le sien, celui du champ à l'assiette. Rencontre.

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Depuis la crise sanitaire, les citoyens, qu'ils soient urbains ou ruraux, entretiennent un nouveau rapport avec la terre. On assiste même à une prise de conscience de notre monde comme élément vivant. Que vous inspire ce retour à la terre ?

Édouard Bergeon Ces derniers mois, nous avons tous vécu un épisode inédit. Nous avons tous connu la peur, nous nous sommes tous retrouvés cloîtrés à ne pas faire grand-chose pour certains et souvent à nous retrouver autour de la table. Et donc à cuisiner. Intuitivement, et sans doute parce que nous avions le temps, nous avons examiné plus attentivement notre alimentation, nous avons retourné les emballages pour consulter la composition et l'origine des produits. Avec une question : d'où viennent-ils ? En retrouvant le temps long, et à considérer que les seuls endroits ouverts étaient les supermarchés, les marchés et les commerces de bouche, notre regard collectif s'est mis à examiner la nourriture de façon beaucoup plus consciente. D'autant plus que dans les villes, plongées dans le silence, les habitants renouaient tout à coup avec la nature. Les bruits de la ville effacés redonnaient leur place au chant des oiseaux, on a même vu des canards se balader dans les rues, des biches également... C'est sans doute à ce moment-là que nous nous sommes rappelé que notre monde était vivant.

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Dans votre livre, CultivonsNous, Bien manger avec les paysans d'aujourd'hui (Les Arènes, 2021) vous écrivez dès l'introduction : « Je rêve d'une planète vivante, où les agriculteurs passeraient en masse et en douceur à d'autres modes de production pour sauver la Terre mais aussi pour se sauver eux ; et où les consommateurs achèteraient en circuits courts pour faire vivre les paysans et préserver l'environnement ». Tout un programme !

É.B. Oui, c'est vrai ! Cela pourrait être un programme politique ! (Rire) Ce qui est consternant c'est qu'aucun candidat n'évoque ces sujets ; ce qui était déjà le cas dans la dernière campagne.

Et pourtant la nouvelle génération y est très attentive. Sauver la planète est devenu presque un mot d'ordre. Un certain nombre d'entre eux souhaitent retourner à la terre, travailler en lien avec la terre mais sans vraiment la connaître...

É.B. C'est ce problème des générations où la nouvelle n'a aucune conscience des problèmes de rémunérations des agriculteurs. Selon un sondage BVA de septembre 2021 paru dans le magazine Réussir, la moitié des 18-24 ans n'a aucune conscience des problèmes de rémunération des agriculteurs. C'est très inquiétant. Quand on leur demande : préférez-vous manger bio avec des produits importés ou non bio avec des produits français, la majeure partie choisit la première option.

71 % des Français ont une bonne opinion des agriculteurs, mais cela baisse à 62 % pour les moins de 35 ans et même à 56 % pour les 18-24 ans. Et beaucoup jugent notre agriculture non innovante. Cela dit, le mot innovation n'est pas forcément bien perçu. Il peut faire peur car il est souvent considéré comme responsable des maux de la Terre ; c'est tout le rapport existant avec la mécanisation et la culture intensive. Or, l'innovation c'est aussi de l'agronomie, de l'agroécologie, de la régénération, des lasers, des drones, pour avoir moins de chimie et permettre l'avènement d'une nouvelle révolution agricole. Mais ce mot innovation n'est pas compatible avec la « romantisation » de l'agriculture et une certaine frange de la population pour qui l'agriculture de demain c'est le retour à l'agriculture des grands-parents, au cheval. Ce sont ceux qui prônent le « c'était mieux avant ». Comme le philosophe des sciences Bruno Latour, j'ai envie de parler d'une agriculture et d'une écologie de la prospérité. La décroissance ça ne fait envie à personne. Prospérer c'est un terme admirable.

Nous sommes face à une réelle méconnaissance des métiers agricoles alors...

É.B. Tout à fait. Je pense à ma mère qui toute sa vie a été cheffe d'exploitation agricole et qui me rappelait récemment que dans sa jeunesse, dans les années 1970, les fils et filles de cultivateurs, car c'est comme cela qu'on les appelait à l'époque, ne rêvaient que d'une chose : quitter le monde agricole pour devenir fonctionnaire ou aller travailler dans une usine florissante. L'exode rural fut important à ce moment-là. C'était une époque encore très dure, où les familles d'agriculteurs avaient beaucoup d'enfants, mais un seul pouvait rester à la ferme. La majorité était fermier et non propriétaire. Pour ma mère c'est impossible de revenir à l'agriculture de ses parents où les femmes se cassaient le dos avec des seaux trop lourds pour alimenter les cochons, veaux, poules, lapins. Elle m'a envoyé un message dans lequel elle formulait très bien son désarroi : « Moi, ça me blesse de lire ou d'entendre tous ces néoruraux qui veulent revenir en arrière. Surtout, comment paieront-ils des études à leurs enfants ? » C'est la parole d'une exploitante agricole qui a connu tout ça. Les romantiques de la terre, ce sont souvent des urbains. Ils sont déconnectés, mais on ne peut pas le leur reprocher. Il faut aussi les écouter. Car leur démarche et leurs revendications sont tout aussi sincères.

Reconnecter le monde urbain et le monde agricole, n'est-ce pas ce que vous essayez de faire ? À considérer votre film avec Guillaume Canet Au nom de la Terre qui a recueilli 2 millions d'entrées, vos documentaires dont le célèbre Fils de la Terre, votre livre CultivonsNous, on a parfois l'impression que vous êtes parti en croisade...

É.B. J'ai la chance d'avoir l'héritage de mes parents qui étaient tous les deux agriculteurs. J'ai grandi dans ce milieu, je le connais bien. J'y ai même travaillé avant de devenir journaliste, puis réalisateur. Cet héritage est essentiel pour évoquer le monde agricole. Vous savez, mon film est en dessous de la réalité. La réalité est souvent bien pire que la fiction. Je suis encore surpris par le succès d'Au nom de la Terre. À sa sortie, avec mon producteur, on espérait un minimum de 500 000 entrées, ce qui était déjà énorme ! Encore aujourd'hui, le fait d'avoir fait 2 millions d'entrées me semble incroyable. La grande partie du succès du film s'est jouée dans la ruralité. Nous avons organisé 120 débats en France, Suisse et Belgique. Et c'est à ce moment-là que j'ai pris conscience de la grande méconnaissance générale du monde agricole. Alors que la plupart du temps, nous nous revendiquons tous issus du monde agricole et rural, mais en réalité cette revendication tient souvent aux souvenirs de vacances à la ferme chez un oncle ou un grand-père. Ok, c'est très bien ! Mais de fait, chacun a son avis sur le monde agricole sans vraiment le connaître. Cette méconnaissance suscite aussi beaucoup de questions. En fait, dès qu'une discussion porte sur l'agriculture, cela devient un vrai sujet. Sans doute parce que l'on mange tous les jours et qu'agriculture et alimentation sont intimement liées. C'est comme ça que j'ai monté ma chaîne de TV sur Internet.

Mais attention, ce n'est pas une TV bio ni bobo. C'est un éclairage sur la réalité du secteur agroalimentaire. Ce mot est toujours perçu avec défiance alors qu'il n'est aucunement un gros mot justement. Supermarché non plus, ce n'est pas un gros mot. Il faut bien que tout le monde puisse manger. Les AMAPS et les circuits courts, c'est très bien, vraiment, mais si tu conscientises ton action, eh bien, tu t'aperçois que dans cet écosystème-là, tu passes ton temps dans ta voiture et tu brûles de l'énergie carbonée. C'est difficile de trouver le bon équilibre. En tous les cas, l'équilibre idéal n'existe sans doute pas.

Comment envisagez-vous l'avenir du secteur agricole ?

É.B. Dans les années 1990, avec la PAC (Politique agricole commune, ndlr), nous sommes passés d'une économie de production à une économie de consommation, dans un contexte où les gens voulaient manger moins cher. Cette transition-là a précipité la perte d'identité du rôle nourricier de la France. Cela a été un passage très dur pour les agriculteurs qui d'un coup devaient consacrer beaucoup de temps à l'administratif dans le but de demander des aides. C'est l'antithèse du métier. Un agriculteur est un homme libre. J'ai grandi dans cette ambiance. Et pourtant, la situation était tellement dure que chez nous, mes parents nous encourageaient ma sœur et moi à faire des études pour ne surtout pas devenir agriculteur. Alors forcément aujourd'hui, les enjeux des départs à la retraite sont colossaux. D'ici 5 à 10 ans, la moitié des chefs d'exploitation seront retraités. Or, la France reste un pays agricole avec des structures encore très familiales, ce qui fait qu'aujourd'hui nous sommes confrontés à un gros problème de transmission. Et pourtant, si je suis si actif aujourd'hui, et en croisade comme vous dites, c'est parce que je suis optimiste. D'abord, il y a tous ceux qui reviennent à la terre, ceux qui vont faire du maraîchage bio par exemple. C'est une forme d'agriculture pour créer de la valeur et des circuits courts. Mais ce n'est pas vraiment en opposition avec l'agroalimentaire qui a besoin de lait blanc pour faire des produits laitiers, de blé pour faire du pain, de l'orge pour faire de la bière... Dans les salons d'agro-machinisme, les outils ne cessent de se perfectionner pour respecter la terre, et de grandir, car il y a de moins en moins d'actifs sur la terre. Est-ce bien ou pas ? En tous les cas, c'est comme ça.

Pourtant, la nécessité de produire moins pour sauvegarder la terre lourdement abîmée ces dernières décennies en raison de cultures intensives, se fait entendre de plus en plus. Serait-ce un amalgame avec la bien-pensance ?

É.B. Le but encore aujourd'hui est de produire avec des rendements importants, l'objectif étant de gagner sa vie et de garantir la souveraineté alimentaire du pays. C'est cela que les accusateurs décrient. Cela dit, la diversification est en route. Beaucoup d'agriculteurs expérimentent des activités annexes. Faire du houblon, des légumineuses par exemple. La jeune génération qui a 30-40 ans est souvent plus diplômée que ceux qui les critiquent. Ils sont souvent ingénieurs, a minima BAC + 2. L'agritech est très importante, on le voit au sein de la Ferme Digitale (association qui promeut l'innovation et le numérique dans l'agriculture, ndlr) qui regorge de start-ups. Le secteur agricole fait tout de même beaucoup d'efforts aujourd'hui. La chimie se réduit et c'est une bonne nouvelle. Je pense qu'il faut se diriger vers des activités hyper raisonnées. Car il faut bien considérer que cultiver bio partout et tout le temps, ce n'est pas possible. Il n'y a pas longtemps, je discutais avec Rémi Duméry, un cultivateur comme il aime se définir, qui a 35 ans de métier. Sur les 160 hectares qu'il possède, il utilise entre 0 et 150 litres de glyphosate par an, car il y a des années où il n'en utilise pas et d'autres où il est obligé, tout simplement parce que cela dépend de la météo, de la pression et des nuisibles. C'est un métier météo-dépendant, très contraignant. Peu de gens en ont conscience. Chez nous, dans l'exploitation de ma mère, nous faisons de l'agriculture de conservation des sols ; nous sommes dans le respect des sols. Il n'y a plus de labours, nous semons des couverts végétaux pour protéger la terre. Nous avons réduit la chimie de plus de moitié. Eh bien, cette agriculture-là peut elle aussi demander du glyphosate une fois par an.

Ce n'est pas si simple de dire : « Il faut faire ci ou il faut faire ça ». Il existe autant d'agricultures qu'il y a de cantons car naturellement, cela dépend des sols et de la météo. J'évoquais les couverts végétaux ; eh bien, il y a deux ans nous avons connu un été sans pluie ce qui fait que nous ne pouvions pas gratter la terre et semer de couverts. Et l'été dernier, c'est la pluie qui n'a pas cessé. Comment fait-on ? Il y a des recettes et après il y a faire. Et ce n'est pas si simple. En France, l'INRAE (institut de recherche public œuvrant pour un développement cohérent et durable de l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, ndlr) travaille beaucoup sur ces sujets. Le monde agricole est en mouvement. L'agriculture bio c'est une bonne chose, mais elle est complémentaire d'une agriculture qui doit faire encore plus d'efforts. Et il faut bien comprendre que si l'on veut nourrir tout le monde, nous ne pouvons pas nous priver de produits chimiques. Par ailleurs, le bio n'est pas accessible à toutes les bourses. Le bio est devenu une marque aujourd'hui.

Est-ce que le bio est forcément meilleur ?

É.B. Pas forcément. Même si dans l'absolu c'est mieux de produire et de manger bio. Mais ce n'est pas parce qu'on utilise de la chimie que c'est automatiquement mal. La fusariose, les champignons, les mycotoxines font des ravages autant sur les cultures que sur la santé. Depuis plusieurs années, la chimie a permis d'apporter une sécurité alimentaire. Il ne faut pas oublier que nous vivons de plus en plus vieux et que nous n'avons plus faim. En tous les cas dans les pays développés évidemment. D'ailleurs le gaspillage alimentaire est devenu un vrai sujet. En France, 10 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année selon l'ADEME (agence de la transition écologique, ndlr). C'est quand même terrifiant !

Comment expliquez-vous que les agriculteurs soient à la fois détestés par une certaine frange de la population alors que bien souvent cette même frange prône un retour à la terre ?

É.B. La plupart du temps, le monde agricole est mal jugé par le monde urbain. Ces mêmes urbains accusent les agriculteurs d'être des pollueurs et de maltraiter les animaux. Et les réseaux sociaux n'arrangent rien. L'année dernière j'ai vu sur Facebook la photo d'un instituteur avec ses élèves à la sortie d'une école rurale, sur cette photo on pouvait y voir une moissonneuse dans un champ. L'instituteur montrait la scène à ses élèves. À titre pédagogique. Eh bien, les trois quarts des commentaires fustigeaient la culture industrielle et expliquaient que l'agriculteur ferait mieux de faire du bio. Mais rien ne spécifiait que ce n'était pas du bio ! Les agriculteurs ne ramassent pas leur culture à la fourche, avec des chevaux. C'est fini tout ça ! Et penser de cette façon, même si la méconnaissance du secteur est en cause, signifie que l'on ne respecte pas ceux qui nous nourrissent. Les agriculteurs nourrissent les gens trois fois par jour ; ils sont de moins en moins nombreux, certains vivent dans une grande précarité (un tiers gagne moins de 350 euros par mois) et ils doivent faire face à de violentes attaques.

Comment a-t-on pu oublier que c'étaient les agriculteurs qui nous nourrissaient ?

É.B. Je crois que les agriculteurs eux-mêmes ont perdu un lien. Si aujourd'hui ils doivent affronter toutes ces attaques, ce n'est pas sans raison. Le bien-être animal n'a sans doute pas été traité comme il fallait. Les groupes coopératifs, même si cela était une bonne idée après la guerre, sont devenus de grosses entreprises dont le leitmotiv est : produisez, on vend pour vous ! Les coops n'appartiennent plus aux agriculteurs.

Vous semblez affirmer qu'il y aurait une perte de sens...

É.B. Oui, certainement. Mais on ne peut pas faire abstraction de la question du budget. Moi, je cuisine du matin au soir. J'ai un budget alimentation qui peut être conséquent ; c'est un choix et je peux me le permettre. Tout le monde ne peut pas s'autoriser ce choix. Cela dit, en France, il existe une contradiction déroutante : alors que les émissions et les livres de cuisine rencontrent un grand succès, nous avons perdu le goût et le temps de cuisiner. On pourrait parler du chemin qui mène du jardin potager à l'assiette, mais cela relève de l'éducation au goût, au monde agricole. En Italie, ils ont conservé ce sens de la transmission de génération en génération ; on y mange très bien pour pas cher. En France, il y a encore 30 ans, on trouvait des potagers dans les territoires ruraux et péri-urbains. Puis, ils ont été remplacés par des pelouses, les supermarchés ayant remplacé les potagers. Depuis 3-4 ans, on voit réapparaître les potagers. C'est une très bonne chose.

Ne faudrait-il pas changer notre rapport au temps si nous voulons réapprendre à passer du temps en cuisine ?

É.B. C'est un vrai problème. Les dernières décennies ont été marquées par une sorte de course de vitesse ; la vitesse était même gage de réussite. Et puis, la COVID est passée par là et nous a ramenés à des choses plus simples. On perçoit depuis cette envie de revenir à la simplicité. Est-ce que cette envie s'ancrera dans l'avenir, je ne sais pas. J'ai toujours beaucoup travaillé, mais je prends toujours le temps de cuisiner. C'est comme ça. Je fais également beaucoup de vélo. Or, le vélo pour être bien, cela nécessite de faire des entraînements pendant des semaines. C'est un sport de fond, sur du temps long. L'agriculture, c'est du temps long. Manger, c'est du temps long. Préserver la planète, c'est du temps long.

Vous avez édité le livre CultivonsNous dans le but de renouer avec ces temporalités et les liens entre monde rural et urbain...

É.B. Mon but est de réconcilier ces deux mondes et d'expliquer la réalité. Le monde agricole quand il est évoqué dans un retour à la terre, est très fantasmé. Mais il faut être bien conscient que ce retour à la terre n'est pas un gadget. Je défends le fait que les agriculteurs sont les premiers écologistes car ils travaillent dans la nature, entre le ciel et la terre. Être agriculteur, c'est un métier où l'on est libre mais c'est un métier également météo-dépendant et donc très complexe. C'est vrai, c'est un métier difficile, mais nourrir la population, c'est ce qu'il y a de plus beau ! Chaque individu qui souhaite s'installer en tant que chef d'exploitation doit surtout bien s'interroger et se poser les bonnes questions. En tous les cas, les intentions sont là. Nous vivons un moment charnière.

Avez-vous conscience de participer à ce moment ?

É.B. Oui. Pour autant, je ne me définis pas comme un influenceur. Mais c'est vrai que de réaliser 2 millions d'entrées avec Au nom de la Terre, ça change la vie ! J'ai pris conscience que j'avais un rôle à jouer. D'autant plus que j'ai reçu la reconnaissance de mes pairs car je décrivais la réalité du monde agricole au détail près. À partir de là, comment prolonger ces 2 millions ? Il y a eu le livre CultivonsNous et je viens de lancer ma chaîne aunomdelaterre.tv. C'est une chaîne par abonnement dont une partie est reversée à Solidarité Paysans, pour aider les agriculteurs en difficulté. Son lancement officiel se fera le 21 mars, mais nous avons déjà mis en ligne des documentaires et nous proposons une offre d'abonnement préférentielle. Et dès le printemps, on pourra visionner des films documentaires d'exception qui ne trouveraient pas leur place sur des chaînes linéaires classiques alors que ce sont des pépites. On y trouvera également des entretiens avec des personnalités, des intellectuels, des artistes qui ont un lien avec la ruralité, l'alimentation, l'agriculture. C'est tellement important de recréer le lien avec le monde agricole. D'ailleurs, dans chaque projet, je suis accompagné de personnes très engagées, souvent, les plus proches sont issus de famille d'agriculteurs.

Cela donne l'impression d'être une grande famille...

É.B. Oui, c'est cela. Nous sommes une famille. Je crois que le lien qui nous unit à la terre est un lien très fort. Il y a celles et ceux qui travaillent la terre, et puis les autres qui en reçoivent les produits. Ce lien nous unit car nous appartenons tous à la terre. À ce monde vivant. Mais ce qui nous unit plus que tout c'est sans doute la volonté de faire bouger les choses, de créer des nouvelles pratiques, d'aller vers un monde meilleur. Or changer les choses, ça s'apprend. C'est pour cela que l'an dernier nous avons cofondé Le Collège Citoyen de France avec Thierry Cotillard et d'autres personnalités engagées comme l'artiste JR, Dominique Versini, Tania Montaigne, Julien Neutres, Maryline Gygax, Marc(o) Berrebi, Léa Moukanas et Alice Zagury. C'est un cursus gratuit de 200 heures dans lequel les porteurs de projet sont mentorés par des professionnels et politiques de haut niveau. Les projets doivent bien sûr être citoyens et engagés. Je suis convaincu que la transition sociétale que nous vivons aujourd'hui nous offre la possibilité à tous d'être acteurs du changement.

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

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Commentaire 1
à écrit le 26/02/2022 à 9:18
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Merci pour ce son de cloche qui dissone de la dictature également sémantique du lobby agro-industriel qui est l'aberration de notre époque, le suicide collectif par excellence mais contre lequel visiblement rien n'est prévu et donc l'aberration alime...

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