Climat et politique : je t’aime moi non plus

Depuis les premières alertes des années 1970 jusqu’au fameux discours de Jacques Chirac à Johannesburg en 2002, la prise de conscience du monde politique en matière de protection du climat fut longue et fastidieuse… Jusqu’au grand réveil. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

1974. La France se réveille tout juste de trois décennies d'euphorie culturelle et économique. Les Trente Glorieuses s'achèvent. Le choc pétrolier vient brusquement faire bondir le cours du baril de pétrole. Çà et là, des grappes de militants issus des milieux scientifiques et des écoles d'ingénieurs prophétisent la fin des années de surconsommation et la probabilité de dommages irréversibles sur notre planète. À l'époque, ils forment une avant-garde vigilante mais relativement ignorée. Dans les « seventies », René Dumont sera leur porte-voix. Avec son pull-over rouge et son phrasé maniéré, cet agronome respecté passera pourtant pour un hurluberlu auprès de l'opinion. C'est que dans une classe politique profondément divisée selon le clivage gauche/droite, Dumont va raconter une histoire alors difficile à croire : celle du changement climatique et de ses conséquences. Une cause qui le pousse naturellement à se porter candidat à l'élection présidentielle de 1974. Relativement moquée, la voix de cet « Einstein dégingandé » pèse peu face aux ténors que sont Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand ou Jacques Chaban-Delmas. Qu'à cela ne tienne, Dumont creuse son sillon. Il influence avant l'heure et se bat seul contre tous. « Je ne suis pas un candidat doux rêveur » clame-t-il. Son discours est d'ailleurs très sérieux ; c'est bien « l'effondrement total de notre civilisation avant la fin du XXIe siècle » que le néo-politicien annonce dans son clip de campagne « si la population mondiale et la production industrielle continuent de s'accroître à un rythme effréné ». Un coup d'épée dans l'eau. Cette année-là, en comptabilisant seulement 1,32 % des voix, le premier candidat écolo terminera derrière Arlette Laguiller...

Dans les années 1970 et 1980, une écologie de contre-culture

Dumont y croyait pourtant dur comme fer. Il faut dire que le contexte de l'époque était propice au surgissement de sa pensée dans le débat. Tout au long de la décennie, pour protester contre le projet d'extension d'un camp militaire, la gauche radicale transforme le Larzac en un Woodstock tricolore. Une jonction s'opère entre la paysannerie et les hippies de l'après Mai 68. Or, si localement l'écologie politique se fait entendre, au niveau national rien ne bouge, ou presque. Rétrospectivement, une question se pose : pourquoi, alors même qu'en matière de changement climatique les premières alertes remontent aux années 1970, avoir rechigné à écouter les précurseurs de l'époque ? Par paresse, répond Lucas Jakubowicz, journaliste politique et rédacteur en chef de Décideurs Magazine. « Pour limiter le changement climatique, explique celui-ci, il n'y a pas trop le choix : il faut totalement changer notre modèle économique et notre façon de consommer. Cela nécessite de changer la mentalité des citoyens, des entreprises, des décideurs. Et personne n'a intérêt à proposer "du sang et des larmes". Personne ne veut changer de mode de vie, ce qui peut se comprendre. Les moins aisés peuvent dire "Pourquoi ne peut-on pas accéder à un mode de vie que d'autres ont eu ?". Les autres diront : "Pourquoi faire preuve de frugalité alors que les pays étrangers continuent à saigner la planète pour avoir notre niveau de vie ?" ». C'est ainsi, parce que la classe politique a rechigné à demander des sacrifices à ses électeurs, que les progrès furent discrets, des décennies durant, en matière de lutte contre le réchauffement climatique. À cela, il faut nécessairement ajouter la lente progression d'un parti écologiste digne de ce nom dans l'opinion. « Les écolos se sont forgés dans la contre-culture, dans la subversion, analyse Arthur Nazaret, dans son essai Une Histoire de l'écologie politique (éd. La Tengo). Il a fallu plus de dix ans pour qu'ils acceptent de créer un parti, car jusque-là, ils voyaient ça péjorativement, comme quelque chose de "politicien". Encore aujourd'hui, dès qu'une tête dépasse chez eux, ils la coupent ».

Le discours de Chirac comme détonateur

Dépourvus de leaders dignes de ce nom, en proie au dogmatisme et perméables à l'entrisme d'autres mouvements radicaux, les écolos français ont eu le plus grand mal à émerger politiquement. Puisque ces derniers patinaient dans les urnes, on laissa le soin à des figures de la société civile de parler de climat. Tour à tour, ce furent ainsi Haroun Tazieff, Paul-Émile Victor, Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand qui jouèrent le rôle prisé de lanceurs d'alerte. Autant de paroles écoutées qui ont préparé, à grands coups de livres et de documentaires, les Français aux efforts à consentir pour garantir l'avenir des générations futures. Accompagnant cette montée en puissance, les institutions se sont elles aussi mises à évoluer. Alors qu'il ne disposait que d'un maroquin de seconde zone en étant « délégué auprès du premier ministre » à sa création, le ministère de l'écologie deviendra, au fil du temps, un poste à part entière. Reste que nos présidents de la République négligeront encore longtemps cette matière difficile à saisir, perçue comme insignifiante. Il faudra attendre 2002 pour que Jacques Chirac marque un tournant. En ouverture du IVe Sommet de la Terre, à Johannesburg, ce dernier ne mâche pas ses mots : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l'admettre. L'humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables. » Ce jour-là, le discours du Président français fit grand bruit. « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas pour les générations futures celui d'un crime de l'Humanité contre la vie » avertissait Chirac.

L'affaire de tous

Vingt années plus tard, c'est une jeune militante écologiste suédoise, Greta Thunberg, qui reprend le flambeau de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. Changement d'époque oblige, toutes les caméras du monde sont braquées sur elle. Les messages qu'elle relaie sont ceux du GIEC. Efficace autant qu'alarmiste, sa méthode est pensée pour bousculer les consciences. Entre-temps, il y a eu du nouveau. Nous le mesurons dans notre vie de tous les jours : l'écologie est sur toutes les bouches, les entreprises tentent de montrer patte verte et l'État, au plus haut niveau, montre l'exemple. « La France a compris que pour protéger le climat, il faut opérer à l'échelle européenne et mondiale, analyse Jakubowicz. Et là, on agit. On peut parler de l'Accord de Paris de 2015 où la France a joué un rôle de cheville ouvrière. Au niveau de l'UE, la France est aussi en pointe, notamment grâce à Pascal Canfin qui préside la très stratégique Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. C'est à cette échelle que se prennent des décisions stratégiques comme les normes d'émission, la promotion des énergies non polluantes. » Quant aux écologistes, ils se sont enfin mis en ordre de marche : « Avant, chez les écolos, on n'avait pas la volonté d'accéder au pouvoir, explique Éric Piolle, maire EELV de Grenoble. Cela a changé. Moi je veux gagner ! Quand on me disait, avant la victoire aux Municipales en 2014 : "Tu es à 15 % dans les sondages, c'est super", je balayais ça d'un revers de la main. Ce que je voulais c'était être aux manettes pour transformer les choses. » Depuis, de Lyon à Bordeaux en passant par Strasbourg, les Verts français ont su conquérir des électeurs qui, jusqu'alors, avaient du mal à leur faire confiance. Au-delà des vicissitudes du jeu politique, on peut y voir la preuve d'un véritable changement de paradigme : de droite ou de gauche, la lutte contre le réchauffement climatique, jadis mal comprise et négligée, est désormais une préoccupation majeure de nos concitoyens, au point d'être omniprésente : des réseaux sociaux aux institutions, dans nos rues et nos entreprises.

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Commentaires 2
à écrit le 18/12/2022 à 12:21
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Il faut être un peu à côté de la plaque pour parler de "prise de conscience". Aujourd'hui, pratiquement tout le monde a conscience de la réalité du réchauffement climatique. Pour autant, la production de CO2 chute-t-elle ? Non, pas du tout : La conso...

à écrit le 18/12/2022 à 9:26
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C'est l'artificialisation et virtualisation de nos sociétés qui détruit notre environnement naturel ! "La politique de l'offre" suivie, reconnaissable par ses éternelles publicités, donne l'impression d'avancer comme sur un vélo d'appartement ! ;-)

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