Depuis le début du confinement, de nombreuses voix se font entendre et nous invitent à penser le monde d'après (parfois avec les idées que les mêmes portaient déjà hier)... alors que nous ne sommes encore qu'aux prémices d'une importante crise économique mondiale dont on maîtrise à peine les contours. Beaucoup appellent à un « grand soir » de réflexion collective une fois la crise passée... ou à profiter de « la grande pause » qui nous est imposée, comme dans l'utopie festive de l'An 01 des années 70, pour imaginer les solutions à déployer plus tard.
Mais s'agit-il vraiment et simplement d'attendre la fin de la crise pour appuyer sur le bouton « re-start » ? Peut-on limiter la question de la résilience aux certes incontournables politiques d'aides publiques ? Doit-on se focaliser sur des élans de relocalisation qui, à court et moyen terme, semblent bien hypothétiques en situation d'urgence - et assez complexes à imaginer à grand échelle sur le long terme face à l'inertie de la mondialisation et à la spécialisation économique des pays acquise sur plusieurs décennies ?
Ne pourrait-on pas plutôt se dire que la meilleure façon de construire demain est d'agir dès aujourd'hui, en se concentrant sur la crise économique en cours, sur les solutions de résilience qui émergent en ce moment pour nous permettre d'absorber le choc et de faire face localement et efficacement aux diverses pénuries qui nous guettent ? Ce sont sans doute ces solutions qui préfigurent et feront pragmatiquement advenir « le monde d'après ».
Des « sauts productifs » ultra-rapides
Il est urgent de déployer sans attendre des solutions de crise qui, très probablement, pourront perdurer demain - à la différence des solutions d'après dont on rêve opportunément aujourd'hui, mais qui ne seraient d'aucune utilité face à la crise actuelle. Et si l'on veut de l'écologie dans le monde d'après, il est urgent aussi de montrer comment celle-ci peut être, aussi, un outil de résilience puis de relance économique...
Même si elle est encore difficile à appréhender, plusieurs indicateurs laissent à penser que la crise économique va s'étendre sur une longue durée et affectera fortement les chaînes de valeur mondiales, tant pour les approvisionnements que pour les débouchés des entreprises: restrictions aux exportations, tensions sur la logistique ou la libre circulation des travailleurs, impacts sur les prix mondiaux, baisse de la demande sur certains produits, effets domino, tensions sociales, mesures protectionnistes, tensions diplomatiques ou blocs économiques régionaux fissurés... Tous les secteurs productifs devraient être touchés.
Ces dernières semaines nous avons assisté à une ré-allocation de nombreux outils de fabrication par des startups, PME ou grandes entreprises afin de fabriquer des gels, masques, visières et respirateurs artificiels. Effort de guerre exceptionnel, coup de communication ou tendance prometteuse ? À défaut d'avoir un tissu industriel dense (notamment sur certains secteurs de la santé), l'économie française (suffisamment diversifiée) a su faire preuve de résilience avec des « sauts productifs » ultra-rapides, des collaborations industrielles inédites, des synergies improbables, et une mobilisation sans précédent de micro-fabriques et fablabs (impression 3D) considérés jusqu'ici comme de simples laboratoires du changement social.
Peu d'entreprises ont anticipé avec un plan de résilience
Mais comment allons-nous gérer les très probables pénuries sur des centaines d'autres marchandises dans les semaines à venir ? Cela vaut pour la crise en cours mais aussi pour les aléas climatiques croissants auxquels nous sommes dorénavant très exposés et dont les conséquences économiques pourraient être assez proches.
Nul doute que les entreprises chercheront à se réorganiser. Cependant, peu d'entre elles ont anticipé de telles situations avec un plan de résilience, pour leur propre offre (comment se diversifier rapidement si les débouchés s'effondrent) et pour leurs approvisionnements (comment produire localement ce qui importé). Peu savent précisément quels établissements cibler sur leur territoire d'implantation pour les inviter à devenir fournisseurs (à faire un saut productif) ou partenaires (collaborations, co-productions) en cas de pénurie. Peu d'entreprises industrielles ont initié des synergies locales et cherché à créer des redondances (imaginer localement une partie de leur supply chain mondiale le temps de tenir le coup). Par ailleurs, il existe aussi un grand nombre de produits rares ou techniques pour lesquels il n'existe peu ou pas de solutions locales, une sorte de « point 0 » de la résilience.
Le temps de relocaliser viendra ensuite
Il nous faut, et vite, injecter des solutions productives sur nos territoires. Nous n'avons pas le temps de relocaliser, de planifier, de réécrire l'histoire. Ce temps viendra, plus tard. Mais il est important aujourd'hui d'envisager des solutions pour permettre aux entreprises de faire davantage de sauts productifs, de mettre en œuvre davantage de synergies locales, de débloquer des situations de non-résilience. Parmi ces solutions, la micro-production permet de « plugger » des solutions prêtes à produire dans et à proximité des sites industriels, pour nous aider à faire face aux pénuries en dessinant le monde agile et hyper-local de demain.
Ces solutions, que nous appelons "plug and play", consistent en de petites unités productives, de petit format et modulaires (le plus souvent en kit, et ironie du sort souvent en containers, ces symboles de la mondialisation aujourd'hui à l'arrêt). Elles sont parfois mobiles, mobilisent souvent les nouvelles technologies digitales, sont sobres et en circuit court par nature puisque capables de se greffer rapidement et facilement sur un site industriel, une exploitation agricole, un magasin, un hôtel, un hôpital, une habitation, dans une rue, une zone d'activités ou une zone déserte.
La résilience productive impose d'être agiles
De nombreuses entreprises se penchent depuis quelques années sur ces solutions opérationnelles demandant un investissement limité : micro-solutions de stockage et d'optimisation énergétique, micro-unités de méthanisation ou de valorisation des déchets de la ferme, micro-production de fruits et légumes cultivés en ville dans des containers, micro-usines de transformation alimentaire, micro-abattoirs mobiles, speedfactories qui personnalisent les produits, micro-unités mobiles de production industrielle (chimie, plasturgie, électronique...), micro-usines robotiques, micro-usines de production de blocs de béton, lignes d'emballage automatisées et mobiles, solutions de recyclage et broyeur industriel venant se plugger sur des centres de production, assemblage de véhicules dans des micro-usines approvisionnées par conteneurs de pièces détachées, solutions de carbonatation accélérée afin d'isoler le CO2 émis par les industries locales et de l'incorporer dans des produits minéraux utilisés localement, etc.
Les enfants (et les plus grands) qui jouent à empiler des briques Lego le savent très bien : au-delà du jeu, de ses règles et du modèle initial qu'il s'agit de reproduire, tout l'intérêt est dans la capacité à créer, construire, déconstruire, moduler, mixer, modifier rapidement. Ce qui importe au fond ce n'est pas la défense de tel ou tel modèle économique, mais le travail de résilience productive qui nous impose d'être agiles et de penser demain par l'action pragmatique, à l'échelle de nos territoires. Et si le Covid-19 et les pénuries qui s'annoncent s'avéraient l'occasion pour nous de développer, certes sous la contrainte, les qualités et les solutions qui pourraient demain nous sauver de bien d'autres crises - dont la crise climatique qui appelle aussi l'avènement de solutions sobres, agiles et locales ?
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