"Le climat nous impose de multiplier par dix le nombre d'emplois dans la rénovation"

En exclusivité pour La Tribune, la députée (LREM) de l'Isère Marjolaine Meynier-Millefert, co-animatrice du plan de rénovation énergétique des bâtiments, réagit aux dernières annonces du Président Macron et du Premier ministre Jean Castex. Aux côtés de l'ingénieur Dominique Naert, elle juge indispensable de décupler la main d'oeuvre dédiée à la rénovation afin de tenir nos engagements climatiques.
César Armand
Pour rénover au niveau BBC [bâtiment basse consommation, Ndlr] l'ensemble de nos bâtiments d'ici 30 ans, il faudra assurer plus d'un million de rénovations par an, soit près de 150 millions de mètres carrés à traiter chaque année, trois fois plus qu'actuellement, exhortent la députée Marjolaine Meynier-Millefert (photo) et l'ingénieur Dominique Naert.
"Pour rénover au niveau BBC [bâtiment basse consommation, Ndlr] l'ensemble de nos bâtiments d'ici 30 ans, il faudra assurer plus d'un million de rénovations par an, soit près de 150 millions de mètres carrés à traiter chaque année, trois fois plus qu'actuellement", exhortent la députée Marjolaine Meynier-Millefert (photo) et l'ingénieur Dominique Naert. (Crédits : DR)

Bien qu'élue En Marche, la députée de l'Isère Marjolaine Meynier-Millefert n'hésite jamais à revêtir sa casquette de co-animatrice du plan de rénovation énergétique des bâtiments pour interpeller le gouvernement et l'inviter à agir davantage en matière de réhabilitation. Aux côtés de Dominique Naert, directeur du mastère spécialisé Immobilier bâtiment durable de l'Ecole des Ponts-Paris-Tech et auteur d'une thèse professionnelle sur la mutation des compétences des artisans et ouvriers du bâtiment, la parlementaire appelle à recruter, à accompagner et à qualifier les artisans experts.

Lire aussi : Rénovation des bâtiments : le gouvernement planche sur un plan de relance

LA TRIBUNE : Dans la continuité du président Macron qui a promis le 14 juillet un grand programme de rénovation des écoles et des EHPAD en lien avec les collectivités, le Premier ministre Jean Castex vient d'annoncer que le plan de relance mobilisera près de 20 milliards d'euros, notamment pour la rénovation thermique des bâtiments. Une bonne nouvelle, alors que la France est en retard sur cette question ?
MARJOLAINE MEYNIER-MILLEFERT & DOMINIQUE NAERT : La rénovation des bâtiments devient avec raison, à la lumière des crises des Gilets Jaunes et de la Covid-19, l'une des voies majeures pour l'emploi et la relance. Réconcilier ambition environnementale et justice sociale, renforcer le bien-être sanitaire, maîtriser la balance commerciale française en matière énergétique, tout concourt à faire consensus.

La convention citoyenne, en proposant avec audace d'avancer à 2040 l'objectif basse consommation et neutralité carbone dans le bâtiment, nous invite à accélérer le pas. Il devient ainsi impérieux de se demander sans détour à quelles conditions l'offre de services disponible dans le pays permettra d'accompagner efficacement cette amplification de l'action de rénovation.

Le nouveau président de fédération française du bâtiment (FFB) s'est récemment fixé l'objectif d'atteindre 500.000 rénovations par an. Un but inscrit à l'agenda depuis le Grenelle de l'Environnement de 2007 mais il n'a jamais été atteint...
Ce sont les artisans et les ouvriers qui mènent aujourd'hui l'essentiel des rénovations que chacun commente à l'envie. Ils sont environ 600.000, soit 40% des professionnels du secteur du BTP, à travailler effectivement sur les chantiers de rénovation. Si l'on retient les seuls travaux énergétiques, on peut considérer que 200 à 300.000 d'entre eux sont à plein temps sur la rénovation énergétique et on estime qu'ils parvenaient à réaliser en 2017 entre 350 et 400.000 rénovations par an. Olivier Salleron, le président nouvellement élu de la FFB, se fait fort, à condition d'avoir un plan de relance suffisant, d'atteindre prochainement 500.000 rénovations par an. C'est une bonne nouvelle.

Pourtant, pour rénover au niveau BBC [bâtiment basse consommation, Ndlr] l'ensemble de nos bâtiments d'ici 30 ans, il faudra assurer plus d'un million de rénovations par an, soit près de 150 millions de mètres carrés à traiter chaque année, trois fois plus qu'actuellement. De plus, on constate généralement aujourd'hui que, dans le meilleur des cas, chaque rénovation permet en moyenne de couvrir seulement un tiers du chemin vers le BBC.

Cela implique donc que pour tenir nos engagements climatiques, le rythme de rénovation soit accéléré par 3 en nombre et par 3 en "profondeur"... et raisonnablement, la main d'œuvre chargée de l'opération doit-elle être en conséquence renforcée d'autant et presque multipliée par 10. Les 200.000 à 300.000 rénovateurs vont ainsi se transformer en 1,8 à 2,7 millions, qui auront du travail sans discontinuer pendant 30 ans. À titre de comparaison, en 2019, 1.6 millions de jeunes étaient inscrits à Pôle Emploi...

On comprend alors que la rénovation environnementale des bâtiments doit être considérée comme une formidable opportunité de création d'emplois. Pour réussir, c'est en effet une mutation profonde de la filière qu'il faut engager et celle-ci passera par trois étapes incontournables : le recrutement ambitieux de jeunes parmi ceux qui souhaitent s'engager pour le climat, la reconversion massive de techniciens qualifiés (des secteurs très impactés de l'automobile et de l'aéronautique par exemple), et l'accompagnement systématique de la filière dans sa montée en compétence et en innovation pour améliorer son attractivité et l'efficience des rénovations.

Recruter est effectivement indispensable, mais comment orienter la jeunesse, qui risque de subir le plus la crise à la rentrée, vers ces métiers ?
Nous devons inciter vite et fort à s'engager massivement dans cette filière durable, essentielle du plan climat :
-   Créer et promouvoir, par une large campagne de communication nationale, une "école 42" du BTP valorisant les innovations de cette filière et rompant définitivement avec l'orientation par défaut. Passons enfin de la triste formule "si t'es con, fais maçon" à "si tu veux sauver la planète et t'engager dans un métier d'avenir, deviens compagnon de la filière environnementale du bâtiment" ;
-   Evaluer, refondre et actualiser l'ensemble des formations initiales actuelles dont sont aujourd'hui issus les professionnels du secteur pour vérifier leur adéquation avec nos objectifs climatiques ;
-   Créer un cursus complet du CAP au Mastère en passant par le bac pro, la licence et le master pro via les nouveaux pôles d'excellence. La filière des diagnostiqueurs qui prescriront dès 2028 les obligations de rénovation des passoires thermiques n'existe pas encore formellement... ;
-   Tripler dès 2020 les effectifs d'apprentis, prendre en charge 100% de leur rémunération. Rémunérer et former leurs maîtres d'apprentissage. S'inspirer du modèle "dual" suisse/allemand consistant à passer 4 jours en entreprise et 1 journée à l'école et permettant aux jeunes d'être opérationnels en 6 mois. Par exemple, les apprentis menuisiers qui deviennent en grande majorité poseurs de menuiseries fabriquées en usine passent 80% de leur formation à l'école à apprendre à fabriquer des fenêtres bois à la main... et n'apprennent véritablement leur métier de poseur que dans l'entreprise qui n'est ni formée ni rémunérée pour cela ;
-   Rendre plus digitaux les métiers du bâtiment et imposer le BIM [maquette numérique, Ndlr] ;
-   Pour les professionnels installés, lancer un grand programme de validation des acquis de l'expérience fondé sur les nouveaux programmes de formation ;
-   Assurer des formations continues aux nouveaux produits en s'appuyant sur le rôle d'intermédiaire des distributeurs ;
-   Massifier les modèles de formation sur chantier réel et rémunérer les formations pour lever les freins actuels : le manque de temps, et la perte de revenus liée au temps consacré à la formation payante plutôt qu'au chantier rémunéré ;
-   Faire de la sécurité des professionnels sur les chantiers une priorité ;
-   Former les professionnels du bâtiment spécialisés dans le neuf afin qu'ils appréhendent de manière qualitative les spécificités de la rénovation et qu'ils anticipent la potentielle réduction des marchés neufs liée à la reconquête des friches, à la transformation du bâti existant, et à la politique de réduction de l'artificialisation des sols.

Les artisans du bâtiment sont plein de bonne volonté, mais la bureaucratie liée aux déclarations de chantier peut les dissuader de se lancer...
Nous devons en effet permettre aux artisans d'allouer 100% de leur temps à la tâche concrète de rénovation :
-   Les soulager de toutes les complexités administratives qui viennent empiéter sur leur temps de production effectif. Simplifier à l'extrême ces démarches, ou les doter de secrétariats administratifs financés par l'Etat pour gérer la complexité générée par nos normes et nos administrations ;
-   Élargir le dispositif simplifié de la micro-entreprise à toutes les entreprises de la rénovation sans distinction ;
-   Créer un guichet unique sur internet pour toutes les déclarations obligatoires liées au chantier : avis d'ouverture de chantier, permis d'aménager, de démolir, de construire, déclarations préalables... demande d'installation de bennes à gravois, demande d'occupation du domaine public, permission de voirie, demande d'installation de grue, demande d'arrêté municipal de circulation, demande d'autorisation préalable d'enseigne... et différents registres : le suivi des déchets, le traitement des eaux de chantier, la déclaration d'achèvement conforme des travaux... Sans compter les affichages, contrats de sous-traitance, caution bancaire pour couvrir la retenue de garantie, etc.) ;
-   Et à ce même guichet, faciliter toutes les déclarations de certification nécessaire à l'entreprise ou au chantier (RGE [Reconnu garanti de l'Environnement, Ndlr], ou autres).

Il n'empêche que les récits d'escrocs qui profitent des offres à 1 euros pour duper leurs clients et d'entreprises qui bâclent leurs travaux se multipliant, les bénéficiaires de la rénovation peuvent avoir du mal à faire confiance aux acteurs concernés. Comment renouer le lien ?
Nous devons créer un cadre professionnel favorable à la qualité:
-   Soulager les entreprises du risque de non-paiement, de paiement insuffisant ou de paiement retardé qui les obligent à travailler au détriment de la qualité visée par nos objectifs climatiques ; 
-   Créer un observatoire des prix par département fixant un plancher des tarifs pour chaque prestation : les maîtres d'ouvrage qui n'ont pas la notion des coûts des travaux tendent à réduire à l'excès la rémunération des petites entreprises qui ne savent pas toujours défendre leurs prix et qui sont ensuite contraintes de travailler à perte ou à qualité réduite ;
-   Pour les chantiers financés grâce à des dispositifs d'aides (Anah, CEE...), créer une avance de paiement pour ne pas pénaliser la trésorerie des entreprises ;
-   Valoriser les qualifications et les labels attachés au compagnon et non à l'entreprise ;
-   Élargir les prérogatives du label Reconnu garant de l'environnement [RGE, Ndlr] pour lui permettre de participer à l'information et la formation sur la gestion des déchets de chantier ;
-   Digitaliser, normaliser et rendre obligatoire l'étape de la réception de chantier ;
-   Rendre obligatoire pour les industriels la production de notices d'installation simplifiées, appuyées sur des tutoriels vidéo (lien QR code sur le produit lui-même) aisément compréhensibles de tous : cela permettra de prendre en compte les auto-rénovations, les besoins des professionnels éloignés de la formation ou installant rarement ces produits, ou encore les professionnels étrangers qui représentent 300.000 ouvriers en France ;
-   Mettre en œuvre une politique de transformation du secteur qui dès 2025 engagera les professionnels sur les résultats mesurés et non plus sur les seuls moyens engagés dans le cadre de leur mise en œuvre. En un mot, passer de l'obligation de moyens à l'obligation de résultat.

Tandis que les experts climatiques s'assurent de la prise de conscience collective de l'impérieuse nécessité de la massification des travaux de rénovation, il est indispensable que la filière, avec le soutien nécessaire des pouvoirs publics, s'organise pour que l'offre des professionnels soit suffisante et performante. Alors seulement pourrons-nous envisager de rendre les rénovations de tous les bâtiments pour tous les publics dans tous les territoires, systématiques puis obligatoires.

Lire aussi : À Strasbourg, un grand emprunt pour la rénovation thermique et les mobilités

César Armand

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Commentaires 20
à écrit le 16/07/2020 à 15:44
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Vu l'augmentation des prix des logements due à "l'écologie" des constructions ils rêvent. Il faudrait d'abord robotiser la construction pour diminuer ses couts et après dans un second voir un troisième temps on pourrait parler de relancer les ventes...

à écrit le 16/07/2020 à 13:29
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La rénovation thermique du bâtiment ne créera pratiquement aucun emploi en France. Deux exemples précis de gros chantiers dans ma préfecture du sud de la France il y a 1 et 2 ans: 1) isolation d'un centre de soins de suite privé dans lequel était hos...

à écrit le 16/07/2020 à 12:58
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En espérant que la laine de verre soient interdite dans ces rénovations en raison de leur coût en carbone ...

à écrit le 16/07/2020 à 12:42
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Financer massivement l'écologie pour créer des emplois en France, oui ! Mais là on va financer des entreprises qui feront appels à des travailleurs détachés. Bah oui, ca se saurait s'il y avait des milliers de français disponibles pour travailler à l...

à écrit le 16/07/2020 à 10:50
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C'est beau ces chiffres, lorsque les entreprise ont massivement robotisés les postes de fabrications on nous faisait la m^me réfléxion avec des postes mieux payés et plus nombreux, quand est il aujourd'hui? Donc pour demain cette annonce reste que th...

à écrit le 16/07/2020 à 10:41
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A part les dépenses en fuel ou gaz qui pèsent lourd dans une passoire thermique, si on veut prolonger l'amélioration de l'habitat, j'ai lu hier que si on bascule vers une pompe à chaleur (très recommandé pour avoir un bilan carbone quasi nul en Franc...

le 16/07/2020 à 11:08
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@photo 73. Par retour d'expérience, je peux vous indiquer que la pompe à chaleur est certes plus économique en consommation d'électricité mais ruineuse en coût sur 15 ans. Au départ le surcoût du plancher chauffant a été multiplié par 10 par rapport ...

à écrit le 16/07/2020 à 10:35
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C'est bien. Qui paye ?Ou sont les compétences ? Dans ce domaine, c'est travailleurs détachés, travail au noir, malfaçons, arnaques, démarchage agressif.... Sans un contrôle strict des chantiers, c'est un échec assuré.

à écrit le 16/07/2020 à 10:11
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Combien de margoulins en plus vont se gaver ? Qui fera les contrôles ? Des ponts thermiques à gogos... Y en a marre de dépenser du fric pour rien..

à écrit le 16/07/2020 à 9:54
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Augmenter les aides à la rénovation énergétique permet certes de massifier les travaux, notamment chez les ménages les plus modestes. Mais cela occasionne aussi des effets d’aubaines et les cas de fraudes de la part d’entreprises véreuses s'envolent....

à écrit le 16/07/2020 à 9:43
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Sous la pression des écolos, on est en train de créer un besoin,certes utile, mais ruineux en ration bénéfice/coût. De plus, avec les règles européennes, ce sont des travailleurs détachés qui feront le travail. J'en ai l'exemple dans ma copropriété d...

à écrit le 16/07/2020 à 9:23
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"Le climat nous impose de multiplier par dix le nombre d'emplois dans la rénovation" : Ces propos s'apparentent à de la pensée magique. La rénovation, donc l'amélioration de l'isolation des logements, va peut-être, résoudre un pour cent du problème d...

à écrit le 16/07/2020 à 9:12
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Ne le dites pas, faites le!! On a toujours droit a des effets d'annonces soit pour construire une rumeur soit un dogme... pour faire passer des réformes en catimini pour l'intérêt des rentier!

à écrit le 16/07/2020 à 9:10
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Qui va payer tous ces futurs emplois, a votre avis ?

à écrit le 16/07/2020 à 9:10
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La rénovation de nos bâtiments et patrimoines devrait être prioritaire depuis belle lurette mais si c'est au prix du travail détaché européen c'est le remède pire que le mal.

à écrit le 16/07/2020 à 8:57
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Il semble que la qualité de la rénovation ait une incidence très importante sur l’amélioration du rendement énergétique. Seulement 5% des sociétés de rénovation seraient en mesure d’apporter une solution égale aux promesses affichées. La cause des éc...

à écrit le 16/07/2020 à 8:56
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Non ma cocotte, le problème n'est pas là. Il faudra en tout premier lieu former les artisans à cette activité et comme personne en France n'est capable de le faire, il faudra former d'abord les formateurs. Et pour former les formateurs il faudra "imp...

le 16/07/2020 à 10:47
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pour ça qu'il faut prévoir et commencer maintenant, c'est long la formation des formateurs des intervenants. :-) "il en est rarement satisfait" vous avez des chiffres ou c'est deux trois connaissances personnelles ? Un ennui est que les catégories d...

à écrit le 16/07/2020 à 8:39
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encore une prof completement a cote de la plaque les gilets jaunes n'avaient pas de pbs de renovation, ils avaient un probeleme de fiscalite sur le diesel ( vous savez, les taxes ecolos que segolene a votees pour sauver les ours blancs et surtout le...

à écrit le 16/07/2020 à 8:15
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Et en même temps nous veillerons à ne pas multiplier par 10 le nombre d'arnaques à la rénovation de façades

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