Redémarrage du bâtiment : la méthode gouvernementale à l'épreuve des faits

Les chantiers du BTP fonctionnant toujours en mode dégradé, le gouvernement vient de mandater un préfet chargé d'établir une méthode opérationnelle ainsi qu'un plan de redémarrage pour le secteur. Or, "les surcoûts impactent fortement la reprise", alertent les présidents de la Fédération française du bâtiment (FFB) Jacques Chanut et Patrick Liébus de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB).
César Armand
Qu'on continue de lancer des appels d'offres, de déposer des permis de construire et de donner des autorisations de travaux et d'encourager les collectivités territoriales, les communes et les communautés de communes à engager des travaux sans attendre le second tour des élections municipales, exhorte Patrick Liébus. Dans le même esprit, Jacques Chanut appelle à donner des capacités aux collectivités pour qu'elles participent à la relance de la machine.
"Qu'on continue de lancer des appels d'offres, de déposer des permis de construire et de donner des autorisations de travaux et d'encourager les collectivités territoriales, les communes et les communautés de communes à engager des travaux sans attendre le second tour des élections municipales", exhorte Patrick Liébus. Dans le même esprit, Jacques Chanut appelle à donner "des capacités aux collectivités pour qu'elles participent à la relance de la machine". (Crédits : DR)

Port de charges lourdes, proximité, superposition des tâches... autant de mouvements qui restent délicat à effectuer dans le bâtiment et les travaux publics, en cette période de confinement. Malgré la publication il y a un mois d'un guide des bonnes pratiques co-construit par les syndicats, le patronat et le gouvernement, les chantiers du BTP fonctionnent toujours en mode dégradé.

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Face à ce constat, le 24 avril dernier, les six ministres et secrétaires d'Etat concernés - Economie et Finances, Cohésion des territoires, Transition écologique et solidaire, Travail - ont chargé le préfet Philippe Mahé de se mettre au chevet des professionnels concernés.

Une méthode opérationnelle et un plan de redémarrage

Dans sa lettre de mission, que La Tribune a pu récupérer, il est lui demandé un "rapport de synthèse qui récapitule l'ensemble des propositions qui puissent constituer une méthode opérationnelle que les acteurs de la filière s'approprient avec l'unique objectif de la reprise rapide des chantiers ainsi qu'un plan de redémarrage retenant et articulant tout ou partie de ces propositions (...)".

Dix jours après l'envoi de ce courrier, "ça repart doucement", témoigne le président de la Fédération française du bâtiment (FFB)"Je prévois que 90% des entreprises auront repris d'ici à la fin du mois avec un taux de 60% à 70% d'activité" contre 30% aujourd'hui, confie Jacques Chanut à La Tribune. 

Problème: "Ça coince encore sur les chantiers des particuliers", ajoute le patron de la FFB. Ce que confirme le président de la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). Avec la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), ils avaient demandé, le 17 mars dernier, un "arrêt provisoire" des chantiers le temps de "s'organiser".

"Oui, le contexte est compliqué pour travailler chez les particuliers, nos clients ont besoin d'être rassurés. Certains d'entre eux refusent, d'autres reportent ou annulent par peur de manque de moyens financiers ou par volonté d'épargner dans les mois à venir", relève Patrick Liébus. "Combien de temps cela va-t-il durer ces stop-and-go ? Aura-t-on suffisamment de travail dans la durée ? Aujourd'hui je ne suis pas en mesure de l'évaluer."

"Nous devons construire avec monsieur le Préfet Mahé une méthode et des moyens qui nous permettront de sortir de cette situation sans faire prendre de risques à nos entreprises, à nos clients et nos salariés", poursuit le patron de la CAPEB.

"Les surcoûts impactent fortement la reprise"

L'exécutif semble en avoir conscience puisque, dans son envoi au haut-fonctionnaire, il précise que "cette reprise semble largement achopper autour de quelques enjeux intimement liés". Et au premier chef, la question de la responsabilité de la chaîne d'acteurs dans l'arrêt et le redémarrage des travaux, liée aux pénalités et indemnités. "Nous sommes en train de régler ces histoires de pénalités, notamment sur les marchés publics, grâce à l'écoute attentive du ministre de la Ville et du Logement Julien Denormandie", annonce Jacques Chanut (FFB).

En revanche, le sujet de la prise en charges des surcoûts directement liés à la mise en œuvre des mesures sanitaires "n'est absolument pas réglé", poursuit le patron du Bâtiment. "Les surcoûts impactent fortement la reprise", renchérit le représentant des artisans et des TPE. "Du fait de la concurrence permanente depuis des années  avec les travailleurs détachés ou les micro-entrepreneurs, nos prix sont calculés au plus juste et pèsent lourdement sur nos marges", insiste Patrick Liébus (CAPEB).

"Des maîtres d'ouvrage publics ou privés essaient de jouer la montre. Si ça continue, des entreprises vont s'arrêter car elles perdront davantage à travailler que l'inverse. Pourquoi n'applique-t-on automatiquement pas un coefficient sur les marchés publics ?", s'interroge, pour sa part, Jacques Chanut (FFB). "Je demande aussi une compensation de l'Etat pour les marchés privés: il faut un abandon de charges sur une période donnée pour compenser ces montants rajoutés: équipements, pertes de productivité (10 à 20% actuellement)."

 Autre controverse et non des moindres: les éventuelles difficultés d'ordre juridique. "Que le chef d'entreprise ne soit pas responsable de ses salariés quand l'un d'eux tombe malade !", prévient le président de la FFB qui recommande que les sociétés aient une obligation de moyens "pour que les conditions sanitaires soient respectées." De son côté, le patron de la CAPEB estime que, "concernant les équipements obligatoires pour le covid-19", se pose le risque "de jurisprudences entre l'obligation de moyens et l'obligation de résultat qui condamneraient nos chefs d'entreprises et auraient pour conséquences de mettre ces entreprises en plus grave difficulté".

Les assureurs-crédits dans le viseur de la CAPEB et de la FFB

Le préfet devra aussi se pencher sur l'accompagnement financier des entreprises fragilisées et "en particulier" les TPE-PME. Au-delà de la trésorerie, "le vrai sujet, c'est le compte d'exploitation; très peu d'entreprises sont capitalisées et nécessiteraient un abandon de charges", dit Jacques Chanut de la FFB. Patrick Liébus de la CAPEB raconte, lui, avoir demandé à Bruno Le Maire la possibilité d'avoir recours à des heures supplémentaires défiscalisées et désocialisées. "Nos artisans produiraient plus et les salariés ne se verraient pas privés de congés. Le ministre de l'Economie et des Finances s'est dit prêt à regarder", assure-t-il.

Pour restaurer également "le degré de confiance encore insuffisant de certains acteurs de la chaîne", Philippe Mahé serait inspiré de rencontrer certaines parties prenantes en priorité. "La confiance ne se gagnera pas par les paroles mais par les actes, à commencer par ceux des assureurs-crédits", met en garde Jacques Chanut (FFB). Même discours ou presque chez son homologue: "Ils font du tort à certains d'entre nous car ils ne veulent plus par exemple assurer les négociants-distributeurs et, à partir de là, soit les entreprises paient cash à réception des matériels et matériaux, soit elles ne disposeront pas de matériaux pour travailler, ce qui pèsera sur le niveau d'activité des entreprises", martèle Patrick Liébus (CAPEB).

Outre la remise de deux premières versions ces 27 avril et 4 mai, et en attendant le début du déconfinement le 11 mai prochain, le haut-fonctionnaire doit parallèlement s'appuyer sur des "initiatives locales". Tous deux originaires de la région Auvergne-Rhône-Alpes, les présidents Chanut et Liébus appellent à suivre l'exemple du conseil régional: distribution de masques aux entreprises de moins de 20 salariés, 15 millions d'euros de compensation pour les surcoûts sur chantiers ainsi qu'un plan de relance de 150 millions d'euros.

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Donner des capacités aux collectivités

Plus généralement, les patrons de la CAPEB et de la FFB font référence à l'ensemble des territoires. "Qu'on continue de lancer des appels d'offres, de déposer des permis de construire et de donner des autorisations de travaux et d'encourager les collectivités territoriales, les communes et les communautés de communes à engager des travaux sans attendre le second tour des élections municipales", exhorte Patrick Liébus. Dans le même esprit, Jacques Chanut appelle à donner "des capacités aux collectivités pour qu'elles participent à la relance de la machine", citant le remboursement anticipé de la TVA ou l'accroissement des dotations de soutien à l'investissement local (DSIL).

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Ce n'est pas tout. Le président de la Fédération française du bâtiment propose, de même, de redonner des moyens sur la rénovation énergétique via un crédit d'impôt pour la transition énergétique - en cours de remplacement par une prime - jusqu'à fin 2021, ou encore de revoir le taux réduit de TVA sur les travaux d'amélioration-entretien: de 10% à 5,5%.

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"Pourquoi pas un carry-back [report en arrière, Ndlr] de l'impôt 2019 par rapport à l'exercice 2020, plutôt que de payer de l'impôt sur les sociétés?" interpelle encore Jacques Chanut. "80% des entreprises sont dans le rouge. Cela peut générer une forme de crédit d'impôt."

César Armand

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