Face aux pressions des Etats membres qui, en invoquant les conséquences de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire mondiale, lui demandent depuis des mois d'amoindrir les ambitions environnementales de la stratégie Farm to Fork (F2F, « De la fourche à la fourchette »), afin de maximiser leur production agricole, Bruxelles tente de tenir bon. Dans sa proposition de règlement visant à réduire le risque et l'utilisation de pesticides, présentée le 22 juin, elle maintient en effet l'objectif fixé par F2F d'abaisser de moitié en 2030 l'usage des substances les plus dangereuses, qui devient ainsi contraignant au niveau de l'UE. Elle bannit en outre complètement tout recours aux pesticides dans les « zones sensibles », dont les jardins et les chemins publics, les aires de jeux et les terrains de sport.
Destiné à remplacer une directive de 2009 dont l'application a été jugée largement insuffisante par plusieurs instances de l'UE, ce texte constitue une étape cruciale dans le déploiement de F2F et plus largement du Pacte vert européen. Il mise sur un remplacement de la moitié des pesticides actuellement utilisés dans l'UE par l'application généralisée d'une « lutte antiparasitaire intégrée » (Integrated Pest Management, IPM), soutenue par des règles strictes. La proposition de réglement prévoit ainsi que les méthodes alternatives disponibles (rotation des cultures, désherbage mécanique ou manuel, développement de variétés plus résistantes, biocontrôle, agriculture biologique, mais aussi alternatives chimiques à faible risque, nouvelles technologies et agriculture de précision) devront être obligatoirement essayées avant de pouvoir recourir aux pesticides chimiques. Les professionnels devront tenir des « registres » détaillant leurs pratiques.
Bruxelles insiste sur les coûts de l'inaction
Cette nouvelle approche est proposée alors que lors de la dernière réunion des ministres européens de l'agriculture, le 13 juin, les Etats membres avaient réclamé un texte « réaliste », ne compromettant pas la productivité des cultures. La semaine précédente, douze pays (Autriche, Pologne, Hongrie, Etats baltes...) avaient même cosigné une lettre réclamant des flexibilités importantes. En mars, la publication de la proposition de règlement, initialement prévue avant la fin du mois, avait en outre été reporté afin de donner la priorité à la prise de mesures urgentes face à la guerre en Ukraine.
Face au défi représenté par le déclin de la biodiversité, « utiliser la guerre en Ukraine afin de nous faire abaisser nos propositions et d'effrayer les Européens en leur faisant croire que plus de durabilité signifie moins de nourriture, c'est plutôt irresponsable », a toutefois déclaré ce mercredi le commissaire à l'Agriculture Frans Timmermans.
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La Commission justifie la nécessité de son texte en insistant sur les effets néfastes des pesticides sur la santé humaine mais aussi sur les pollinisateurs, à l'origine de près de 15 milliards d'euros de production agricole annuelle de l'UE.
« Les coûts de l'inaction dépassent largement les coûts liés à la transition vers des systèmes alimentaires durables », plaide Bruxelles.
La PAC au secours des agriculteurs
La Commission prend néanmoins soin de répondre à la demande de flexibilité des Etats membres, en fonction de leurs spécificités nationales. Elle leur octroie en effet la possibilité de décliner l'objectif global européen en objectifs nationaux, eux aussi contraignants, mais établis en tenant compte de leurs propres niveaux et progrès en matière d'utilisation de pesticides, ainsi que de leur situation géographique et climatique. « Cela doit être fait dans les paramètres d'une formule mathématique légalement définie », précise la Commission, qui fixe également un niveau minimum de réduction de 35% applicable à tous les pays. Ces objectifs nationaux seront examinés par Bruxelles qui, dans certains cas, pourra exiger davantage d'ambition.
Frans Timmermans, ainsi que la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides, ont aussi insisté sur leur détermination à soutenir les agriculteurs tout au long de la transition exigée par la texte. Afin aussi d'empêcher toutes augmentations des prix des denrées alimentaires, la Commission a notamment décidé d'introduire la possibilité de couvrir les coûts qu'elle engendrera grâce aux fonds de la prochaine politique agricole commune (PAC), en vigueur entre 2023 et 2027. Il appartiendra aux Etats membres d'allouer les financements nécessaires. Ils pourront notamment y consacrer les 48,5 milliards d'euros dédiés aux éco-régimes et les 21,1 milliards d'euros prévus pour les interventions de gestion de l'environnement et du climat en matière de développement rural, précise Bruxelles.
Un texte désormais soumis aux négociations
La Commission promet encore de soutenir la recherche scientifique orientée vers le développement d'alternatives aux pesticides.
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Afin de réduire les pesticides également dans les produits importés, Bruxelles annonce aussi son intention d'abaisser à zéro les résidus maximaux tolérés pour deux substances actives, la clothianidine et le thiaméthoxame, interdites dans l'UE car néfastes sur les pollinisateurs.
« Une consultation avec les États membres et les pays tiers sera lancée prochainement » et « un règlement est en cours de préparation », précise Bruxelles.
Les propositions de la Commission européenne devront être discutées par les Etats et eurodéputés. Le gouvernement français a déjà rappelé être attaché à trois principes: la subordination de toute interdiction à l'existence d'alternatives; l'harmonisation et la réciprocité des normes, y compris vis-à-vis de pays tiers exportant leurs produits dans l'UE, afin d'éviter toute distorsion de la concurrence; le renforcement de la souveraineté nationale.
Les ONG de défense de l'environnement et de la santé, pour leur part, tout en saluant la résistance de la Commission aux pressions des Etats membres, demandent un texte encore plus ambitieux. Elles critiquent l'indicateur utilisé afin de calculer pour calculer la réduction des pesticides, accusé de favoriser les pesticides les plus toxiques.
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