Pesticides et disparition de la biodiversité : l'Etat français attaqué en justice

Cing ONG ont déposé devant la justice administrative un recours pour manquement aux obligations de protection de la biodiversité. Elles demandent une révision radicale du processus de mise sur le marché des pesticides.
Giulietta Gamberini
Depuis des années, les études scientifiques constatent clairement la diminution des populations d'insectes, de poissons, d'oiseaux, de petits mammifères, et que l'agriculture intensive en pesticides en est une cause majeure, explique Julie Pecheur, directrice du plaidoyer chez Pollinis.
"Depuis des années, les études scientifiques constatent clairement la diminution des populations d'insectes, de poissons, d'oiseaux, de petits mammifères, et que l'agriculture intensive en pesticides en est une cause majeure", explique Julie Pecheur, directrice du plaidoyer chez Pollinis. (Crédits : Stephane Mahe)

L'ultimatum a expiré. Lundi 10 janvier, un recours contre l'Etat pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité a été déposé devant le tribunal administratif de Paris par cinq ONG, qui lui reprochent ses défaillances en matière de mise sur le marché des pesticides.

Deux d'entre elles, Notre Affaire à Tous (NAAT) et Pollinis, avaient initié ce processus avec le dépôt d'injonctions dès septembre, à l'occasion de la tenue à Marseille du congrès de l'Union nationale pour la conservation de la nature (UICN). L'Etat français n'ayant pas répondu dans les deux mois impartis, les deux ONG ont été rejointes par l'Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), l'Association nationale pour la protection des eaux & rivières (ANPER-TOS) et Biodiversité sous nos pieds, et ont décidé d'attaquer l'Etat en justice.

Un sentiment d'urgence

 "Depuis des années, les études scientifiques constatent clairement la diminution des populations d'insectes, de poissons, d'oiseaux, de petits mammifères, et que l'agriculture intensive en pesticides en est une cause majeure", explique Julie Pecheur, directrice du plaidoyer chez Pollinis.

Lire aussi: Véronique Andrieux, WWF : « la responsabilité des entreprises est considérable dans la perte de biodiversité »

Un phénomène qui, à cause de son impact ravageur sur les insectes pollinisateurs, met aussi en danger la sécurité alimentaire des humains, souligne-t-elle. Pourtant, "malgré les engagement à répétition, il ne se passe rien", regrette Chloé Gerbier, juriste chez Naat, en insistant sur l'échec en France des divers plans de réduction des pesticides Ecophyto.

"C'est un sentiment d'urgence, et le poids écrasant de la responsabilité vis-à-vis des générations futures, qui nous pousse à agir", clame ainsi Julie Pecheur.

L'absence de protocoles validés

 Les ONG espèrent faire reconnaître non seulement cette chute spectaculaire de la biodiversité, mais surtout les défaillances dans le système actuel d'autorisation des pesticides, et la responsabilité de l'Etat français à cet égard. Alors que la législation européenne qui régit le processus de mise sur le marché est "très protectrice" de la biodiversité, les processus d'évaluation des risques qui précèdent les autorisations, menés au niveau européen et national, sont trop souvent obsolètes et incomplets, explique en effet Barbara Berardi, responsable du pôle pesticides chez Pollinis.

Alors que la législation européenne interdit toute autorisation en cas d'"effets inacceptables" pour la biodiversité (y compris donc chroniques, dus aux interactions ou aux utilisations etc.), et qu'elle préconise la prise en compte des "effets sub-létaux" (non immédiatement mortels, tels que ceux sur la reproduction, sur l'orientation etc.), nombre d'entre eux sont souvent ignorés lors des procédures d'autorisation à cause de l'absence de protocoles validés, détaille l'experte.

Or, "ce n'est pas parce qu'un effet n'est pas évalué qu'il disparaît. Et si l'on attend les décennies nécessaires pour valider tous les protocoles qu'il faut, on se retrouvera dans une situation où il n'y aura plus de biodiversité à évaluer", observe-t-elle.

Alors que l'UE autorise la mise sur le marché des substances (comme le glyphosate), les Etats membres restent en outre responsable de la mise sur le marché des produits (le Round-up par exemple), précise Julie Pecheur.

Un "changement radical dans la production de la nourriture"

"Par ce recours, nous demandons donc à l'Etat français de revoir entièrement le processus de mise sur le marché des pesticides", résume Chloé Gerbier, en soulignant qu'il s'agit du premier recours au monde s'attaquant non pas à des substances ou des produits spécifiques, mais prenant en compte l'enjeu dans sa globalité.

"Nous demandons également l'adoption immédiate de mesures préventives, notamment la suspension de substances qu'on sait déjà être dangereuses comme le glyphosate", ajoute-t-elle.

En ligne de mire des ONG, l'objectif de provoquer un "changement radical dans la production de la nourriture", complète Julie Pecheur.

La procédure, contradictoire, prendra au moins un an et demi, estiment les ONG. L'action mené par Naat avec d'autres ONG (Greenpeace, Oxfam, Fondation Nicolas Hulot) contre l'Etat français en matière climatique, "l'affaire du siècle", lancée en 2018, a abouti à sa condamnation en 2021.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 10/01/2022 à 14:46
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75% minimum d’extinction des insectes, disparition que nous pouvons tous constater, du moins les automobilistes, qui ne voient plus d’insectes écrasés sur leurs pare prise ou bien beaucoup moins qu'avant, alors certes c'était vraiment pénible à netto...

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