En 2019, la question de l'interdiction ou non du glyphosate, cet herbicide désormais célèbre, avait déchiré l'opinion publique dans un débat acharné entre « pro » et « anti ». Deux ans plus tard, alors qu'Emmanuel Macron avait promis d'en « sortir » en France, les ventes ne semblent pas ralentir. C'est en fait l'inverse : elles ont bondi de près de 42% en 2020 par rapport à l'année précédente, avec plus de 8.600 tonnes écoulées dans l'Hexagone, selon des données provisoires publiées par le gouvernement la semaine dernière. Et le phénomène s'étend aux produits phytosanitaires en général : environ 44.000 tonnes de fongicides, d'insecticides et d'herbicides chimiques ont été vendus en France en 2020, soit 23% de plus qu'en 2019.
Pourquoi une telle augmentation ? L'exécutif n'a pourtant de cesse de répéter que la France, avec son plan « Ecophyto » issu des Grenelles de l'environnement de 2007, s'est dotée de la politique la plus ambitieuse de l'Union européenne en matière de réduction des pesticides. Celle-ci fixe en effet un objectif fort de réduction de moitié de l'usage des produits phytosanitaires de synthèse en dix ans. Mais presque quinze ans après, force est de constater que le compte est loin d'être atteint.
Phénomène de stock
La faute à un phénomène paradoxal et temporaire, assure le gouvernement. Car la hausse de 2020 ne révèle pas une « tendance structurelle », selon le cabinet du Premier ministre, qui invite à regarder l'évolution globale plutôt que celle d'une année à l'autre - la moyenne des ventes en 2020 se situant 20% en-dessous de celle de 2012-2017. Si elle a bondi l'année dernière, c'est en fait à cause d'une forte baisse artificielle en 2019, assure Matignon. En effet, les agriculteurs ont accumulé des stocks de pesticides en 2018, en anticipation des réglementations à venir (comme la redevance à l'achat ou l'interdiction de pulvériser des herbicides entre les rangs de vigne) et n'ont donc pas dû racheter de nouveaux produits l'année suivante - les ventes étant reportées à l'année d'après.
Une explication insuffisante pour l'ONG environnementale Générations futures. « Certes, le chiffre de 2019 des ventes globales de pesticides était anormalement bas, et celui de 2018 anormalement haut. Mais en valeur absolue, on est à 65.000 tonnes vendues en 2020, le même chiffre qu'en 2012. Il n'y a pas de quoi sauter au plafond », souligne à la Tribune François Veillerette, son directeur. D'autant que, lorsque l'on se concentre sur le glyphosate seul, les volumes achetés sont les mêmes que « dans les années 2015, 2016 et 2017 », rétorque l'association dans un communiqué.
Car l'exécutif fait preuve d'un manque de volonté politique, avance François Veillerette: « Il ne suffit pas d'avoir des objectifs ambitieux, il faut se donner les moyens de les atteindre », souligne-t-il. Pour le militant, la redevance à l'achat existante, qui ne touche qu'un certain volume des produits et correspond à certains niveaux de dangerosité, n'est « pas assez incitative ».
« Le manque de portage politique a été illustré par une affaire récente : le Conseil d'Etat a demandé fin juillet à l'Etat de revoir les règles de distances des habitations pour l'épandage de pesticides, après que le gouvernement a prévu des moyens de déroger à ce qui était prévu pour protéger les riverains ! », illustre-t-il.
Légère hausse des CMR 2
Reste que l'exécutif met en avant une réelle baisse : celles des CMR 1, des substances classées cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction les plus préoccupantes, réduites de 93% par rapport de leur niveau de 2016. « C'est une avancée, mais ils omettent de préciser que cette diminution est une tendance lourde due à un règlement européen de 2019 sur les pesticides. La France n'y est pour rien », commente François Veillerette. En effet, Bruxelles demande depuis plus de dix ans aux Etats membres de retirer directement du marché les CMR 1 dès lors que leur homologation revient à renouvellement - programmant ainsi leur disparition.
Surtout, selon Générations futures, cette baisse cache un autre chiffre « que le gouvernement se garde de mettre en avant », regrette François Veillerette » : une poussée des CMR 2, des substances préoccupantes mais dont la dangerosité n'a pas été prouvée, en « augmentation d'environ 200 tonnes » ces dernières années, selon les calculs de l'ONG.
« On assiste à une sorte de report des CMR 1 aux CMR 2 de la part de certains agriculteurs. Ce n'est pas une bonne nouvelle de voir leur tonnage augmenter, dans un contexte où la consommation globale croît », estime François Veillerette.
Le gouvernement préfère lui parler d'une évolution « plutôt stable » des quantités de substances actives classées CMR 2, avec une proportion parmi l'ensemble des substances qui reste aux alentours de 10,6%. Dans les faits, il y a bien eu une croissance : les quantités de CMR 2 s'élevaient à 7.886 tonnes en 2019, contre 8.022 en 2020 - soit une hausse de 136 tonnes.
Chiffres incomplets
Le représentant des producteurs de pesticides (l'Union intersyndicale pour la protection des plantes,UIPP) - qui n'a pas souhaité réagir - et Générations Futures s'accordent sur un point : ces chiffres sont de toute façon provisoires, donc incomplets. Car ils ne fournissent des informations que sur la quantité de substance active écoulée en 2020, un indicateur différent de celui retenu dans le plan Ecophyto.
« Ce dernier se réfère au NODU, pour nombre de doses unités. Il correspond à un nombre de traitements moyens appliqués annuellement sur l'ensemble des cultures », précise François Veillerette.
En s'affranchissant des substitutions de substances actives par de nouvelles substances efficaces à plus faible dose, cet indicateur permet de déterminer le nombre moyen de traitements par hectare - mais son évolution en 2020 ne sera disponible qu'en décembre prochain.
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