Climat : « Il faut construire et raconter l’ecological way of life » (Cyril Dion)

Réalisateur, poète, écrivain, militant, Cyril Dion est l’une des figures de la défense du vivant en France. Il prône un « ecological way of life » et cherche à créer des récits fédérateurs et rassembleurs. Rencontre. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Patrice Normand / Leextra)

Cette année avec les événements climatiques de l'été, et le dernier rapport du GIEC, de nouveaux arguments semblent être apparus pour faire comprendre l'urgence climatique et la nécessité vitale de changer. Pourtant une loi d'airain de l'écologie semble persister en ce sens que l'on a conscience des problématiques documentées par les scientifiques sans qu'une action d'ampleur, à la fois politique et citoyenne, ne s'enclenche. Comment expliquez-vous ce qui s'apparente à un blocage ?

Cyril Dion Le blocage principal pour les gens, c'est la façon dont la société est organisée. Si quelqu'un décide de réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour passer d'environ 10 tonnes par an et par personne à 3 ou 4 tonnes, ce qu'il faudrait, il aura prise sur 25 % du problème maximum. Le reste dépend de la structure de nos sociétés. De la façon dont l'urbanisme est organisé, de la façon dont le marché propose ou non des véhicules qui n'émettent pas de gaz à effet de serre, mais aussi de la façon dont est agencée la question des déplacements avec les transports en commun ou les solutions d'autopartage. L'organisation collective de l'agriculture ou des modes d'alimentation entre aussi en ligne de compte. Tout cela, c'est-à-dire 75 % de l'impact, se situe donc entre les mains de l'État et des entreprises qui ont la possibilité de le transformer. Or, une immense majorité des décisions publiques sont aujourd'hui orientées par des intérêts d'ordre privé. Nous l'avons vécu de plein fouet lors de la convention citoyenne pour le climat. Tout est devant nous. Il a désormais été documenté que le réchauffement climatique existe depuis les années 1970 et que des grands pétroliers comme Shell, Exxon ou Total ont dépensé des sommes astronomiques pour semer le doute dans l'opinion, pour produire des études contradictoires et laisser supposer que l'on n'était pas certains que le changement climatique soit réellement d'origine anthropique. Tout cela a retardé la décision publique. Les décideurs politiques passent leur temps à expliquer qu'ils ne peuvent pas prendre telle ou telle mesure, de peur de se faire taper sur les doigts par la population qui, avancent-ils, n'est « pas prête ». Or, lorsque nous avons fait la convention citoyenne pour le climat, il s'est passé exactement l'inverse.

C'est-à-dire ?

C.D. C'est-à-dire que lorsque l'on propose à des gens de prendre la mesure du problème, de rencontrer des scientifiques, et de travailler avec des experts pour élaborer des solutions, ils le font. Les solutions qu'ils avaient proposées allaient d'ailleurs beaucoup plus loin que toutes celles décidées par les gouvernements occidentaux dans les dernières années. La mécanique des lobbies se met alors en place. Il est scientifiquement prouvé qu'en France la deuxième cause de réchauffement provient de l'explosion des ventes des SUV. La convention citoyenne a proposé de réguler le système publicitaire qui rend désirables ces véhicules en interdisant la réclame pour des produits trop polluants. Le gouvernement a retoqué cette idée. Tout comme il a également retoqué l'idée d'un malus dissuasif sur les véhicules de plus de 1 400 kilos. Le gouvernement étudie mais décide, à cause de la pression du secteur automobile, de porter le poids à partir duquel le malus s'appliquera à 1 800 kilos. Problème : les véhicules de plus de 1 800 kilos représentent à peine 2 % du parc automobile quand ceux de 1 400 kg pèsent pour 25 % du parc. Autrement dit : la décision du gouvernement n'aura aucun impact réel. En résumé : la question est éminemment démocratique et se pose de la façon suivante : qui a le pouvoir de réorienter les politiques publiques et de changer les structures ? Pour le moment, force est de constater que ce sont les grandes entreprises et les intérêts privés qui pèsent sur les gouvernements. Résultats : les décisions prises ne vont pas dans le sens de l'intérêt général.

La fameuse loi d'airain... Cependant, les citoyens ont opéré une véritable prise de conscience mais comment expliquez-vous que lorsqu'il y a des élections ces questions semblent être mises de côté ?

C.D. Je ne suis pas d'accord avec votre analyse. Lors des dernières élections présidentielle et législatives, ce fut un sujet majeur. Je n'ai jamais entendu les leaders politiques parler autant d'écologie puisque même Marine Le Pen avait un certain nombre d'éléments dans son programme et a dû répondre à des questions. En revanche, ce qui est complexe pour les gens est de comprendre comment cette dimension s'inscrit dans le champ politique. Est-ce une question qui doit préoccuper tout le monde ou au contraire est-ce une question qui s'inscrit dans une dynamique sociale plus globale ? Ce sont les deux écoles qui existent aujourd'hui. Aussi, les gens pour qui cela compte sont perdus et ont du mal à choisir entre - pour schématiser - Mélenchon et Macron.

Vous êtes également réalisateur et écrivain. Ne manque-t-il pas aujourd'hui des récits fondateurs et rassembleurs autour de l'écologie comme il en a existé autour de la croissance et /ou du progrès ?

C.D. C'est une évidence. Cette idée, j'ai commencé à la développer en 2018 dans le Petit manuel de résistance contemporaine où toute une partie du livre s'attache aux récits. Cette année, en 2022, à Cannes, nous avons lancé avec Marion Cotillard la société de production « Newtopia » avec l'idée que le cinéma, la télé et les séries ont un rôle considérable à jouer pour nous permettre d'imaginer un monde différent pour ensuite pouvoir le construire. Le cinéma, la télé, la pub et les arts ont largement contribué à répandre l'idée de l'American way of life après la guerre, il convient aujourd'hui de faire en sorte de populariser avec les mêmes outils un « ecological way of life ». Nous sommes encore bloqués dans un imaginaire qui a été laminé par plusieurs décennies de matraquage publicitaire et de certitude du progrès. Pour en sortir, il faut décloisonner l'imaginaire.

Décloisonner l'imaginaire, lutter contre les forces de l'argent cela se fait sur un temps long et pourtant il faut agir vite... Comment faire ?

C.D. Il n'y a pas de réponse précise. Dans La Belle Verte de Coline Serreau il y a cette réplique : « Ce n'est pas en tirant sur la salade qu'on la fait pousser plus vite ». Il en va de même pour notre prise de conscience. Pour modifier un imaginaire, il faut en effet une à deux générations. Problème : nous n'avons pas ce temps-là donc nous risquons de nous diriger vers des chocs qui vont accélérer la prise de conscience. Des chocs comme le Covid-19, les sécheresses, les inondations, etc. Le changement climatique est irréversible. Quand nous aurons dépassé 1,5 °C ou 2 °C de réchauffement, il n'y aura pas de retour en arrière possible.

Dans notre inaction collective n'y a-t-il pas, sous-jacente, l'idée que la technologie et le génie humain parviendront à nous sauver de la catastrophe ?

C.D. Cette idée du techno-solutionnisme est plus que sous-jacente, elle guide nos actions. Elle permet de temporiser. Elle est pourtant très dangereuse. Le GIEC l'a d'ailleurs souligné dans son dernier rapport. Pour le moment, aucune solution technologique ne peut nous permettre d'inverser la tendance. Le techno-solutionnisme équivaut à être dans une voiture à 200 km/h avec un ravin face à nous et de dire « On va trouver un truc » au lieu de freiner.

Dans l'idée de freiner, il y a aussi cette impression que nous allons vivre moins bien. Comment répondre à cette objection ?

C.D. Il aurait fallu se poser cette question il y a quinze ans. Il est certain que nous vivrons moins bien. La question désormais est tout autre. Préférons-nous vivre avec des étés où il fera régulièrement 40 °C, voire 50 °C, des inondations et des feux à répétition, des migrations ou, au contraire, voulons-nous organiser un monde où l'on répartit la richesse, où l'on climatise les villes, où l'on isole les bâtiments, où l'on paye moins cher l'électricité, où l'on peut se déplacer sans avoir deux voitures, où l'on consomme une nourriture cultivée à côté de chez nous sans une batterie de produits chimiques qui peuvent potentiellement donner des maladies, etc. Le choix est là aujourd'hui. Ceux qui croient que l'on va pouvoir continuer à vivre comme on vit aujourd'hui avec de plus en plus de confort, de plus en plus de richesses et que l'on va perpétuer le mythe des « Trente Glorieuses » sont dans le déni le plus total et ils auront très mal le jour où ils vont se réveiller. Nous vivons déjà moins bien !

Comment regardez-vous la course au tout électrique, notamment dans l'automobile ?

C.D. Il est heureux de voir des voix s'élever pour questionner la soutenabilité de ce modèle. Va-t-on réellement renouveler tout le parc de voitures du monde ? Que va-t-on faire des anciennes voitures thermiques ? Comment aurons-nous assez de minerais et de terres rares pour fabriquer tout cela ? La solution est d'avoir moins de voitures. De faire de l'autopartage, de développer des alternatives, d'encourager la marche à pied, etc. Une étude a été réalisée par l'ancien vice-président de Général Motors qui montrait que l'on pouvait avoir la même qualité de mobilité dans une grande ville avec 80 % de véhicules en moins. C'est cela qu'il faut viser. Cela n'est pas pareil dans les zones rurales, mais dans les grandes villes, il faut réduire drastiquement le nombre de voitures. Cette place libérée permettra de végétaliser pour climatiser les villes. Les 20 % de véhicules que l'on gardera dans les grandes villes devront effectivement être électriques. Tout en se mettant dans la position de transformer les voitures thermiques en électriques. Là encore, tout est question de bon sens, mais cela ne va pas aux attentes de l'industrie automobile contrairement au remplacement de tous les véhicules.

Comment peut-on éduquer les plus jeunes générations ? Dans votre dernier film Animal, les jeunes vivent des chocs, comment donner le goût de ces thématiques aux plus jeunes générations ?

C.D. « Montrer l'exemple n'est pas la meilleure façon de convaincre, c'est la seule » disait Gandhi. Tout est là. En faisant vivre aux plus jeunes des expériences et en leur montrant par l'exemple de nos qualités notre préoccupation écologique alors ils nous rejoindront sur le chemin. Montrer, expliquer, faire devant et avec eux. À la maison comme à l'école. Je crois aussi qu'il faut créer avec eux une relation aux vivants. Comme les Forest School au Danemark où les enfants ont cours dans la forêt. Cela change tout dans leur relation au vivant, mais aussi dans leur mémoire, leurs capacités cognitives, etc. Toutes ces expériences sont passionnantes et participent, là encore, d'une forme d'« ecological way of life » fort et agréable !

Quels sont dans votre cheminement personnel les moments fondateurs ?

C.D. La rencontre avec Pierre Rabhi en 2006. Il m'a formé. M'a ouvert les yeux même si je n'ai pas été d'accord sur tout. Cette idée que nous sommes la nature et que la réponse se trouve dans une forme de sobriété heureuse me parle beaucoup. Dans la recherche du sens et dans la décroissance matérielle notamment. Ensuite, j'ai lu énormément de choses sur ces sujets et j'ai pris conscience de l'intérêt d'utiliser la lutte comme outil pour faire avancer la cause.

Diriez-vous que vous êtes optimisme ou pessimisme ?

C.D. Je n'ai jamais été optimiste et cela encore moins aujourd'hui. En revanche, j'ai toujours de l'espoir. L'espoir, c'est beaucoup plus profond. La question de l'effondrement écologique se rapproche de la question de la mort. Nous savons tous que nous allons mourir et pourtant nous nous levons le matin, nous travaillons à ce à quoi nous croyons et nous avons des envies. Nous vivons malgré la mort pourrait-on dire. La situation est similaire avec l'effondrement écologique. Nous savons que cela va aller de mal en pis, mais nous luttons, nous essayons de faire mieux. Avec l'espoir de parvenir à défendre le vivant en limitant au maximum la casse.

Vous parliez d'un « ecological way of life ». Si vous deviez le décrire, quels mots utiliseriez-vous ?

C.D. Cela voudrait dire se diriger vers une alimentation beaucoup plus végétale, habiter dans des villes où les logements produisent plus d'énergie qu'ils n'en consomment, grâce à une bonne isolation, des panneaux solaires et une récupération des eaux pour les usages non alimentaires. Pourquoi ne pas imaginer aussi des villes et des territoires où l'on aurait désartificialisé les sols ? Pourquoi ne pas imaginer un monde où l'on raccourcirait les circuits de production ? Pourquoi ne pas plus partager les objets que nous achetons, etc. ? C'est en fait un monde où l'on s'interrogerait sur la régénération et où l'on s'attacherait plus à développer les liens et le sens de nos vies plutôt que d'être des producteurs consommateurs tout au long de nos vies pour doper la croissance.

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T La Revue n°12

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Commentaires 7
à écrit le 19/12/2022 à 10:40
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Les patrons peu compétents n'avaient pas prévu que le covid entraînerait une pénurie de moutarde, de papier Q, de farine, de beurre, de foie gras, de pellets, de buches de chauffage, d'huile de tournesol et surtout que le gas oil deviendrait plus coû...

à écrit le 19/12/2022 à 10:40
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Les patrons peu compétents n'avaient pas prévu que le covid entraînerait une pénurie de moutarde, de papier Q, de farine, de beurre, de foie gras, de pellets, de buches de chauffage, d'huile de tournesol et surtout que le gas oil deviendrait plus coû...

à écrit le 19/12/2022 à 9:24
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Marché automobile de vente de voitures neuves : plus de 26 millions de voitures pour la chine et ... 1, 65 million pour la France ( et encore moins en 2022) . Il se vend en 1 mois plus de voitures en chine que pour la totalité de l'année en France! I...

à écrit le 18/12/2022 à 11:48
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On aimerait mieux parler français au lieu de faire "des effets de manche" pour attirer tout cosmopolite financier ! :-) Il s'agit surtout de revenir à la réalité, en sortant de cette "politique de l'offre" reconnaissable par ses "indispensables" publ...

à écrit le 17/12/2022 à 12:40
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Voila, LEUR vision esr précisée: "la société est organisée"; alors que les faits sont: "la société S'est organisée". Il imputent aux gouvernements des responsabilités qui échappent aux gouvernants. Pour les démocraties, c'est plus facile ainsi: "yz o...

à écrit le 17/12/2022 à 10:03
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certes... bon, le francais parisien qui n'a jamais mis les pieds a la campagne veut sauver la planete ( quand la chine ouvre des usines a charbon, donc c'est pas rendu), mais le francais ne veut pas vivre comme au moyen age, se brosser les dents avec...

le 17/12/2022 à 15:54
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Je vous signale qu'il n'y a pas que la Chine qui ouvre aujourd'hui des mines de charbon. Remarquable résultat d'une 'transition énergétique' absurde et dont le résultat était prévisible; il suffisait de jeter un coup d'œil vers 'l'energiewende' de n...

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