Le reflux des prix agricoles va fragiliser la filière

Par Michel Portier, fondateur et gérant d'Agritel (société de conseil).

Habituée à un environnement de marché apaisé et protégé par la PAC, la filière agroalimentaire européenne fait face depuis quelques mois à une volatilité et une chute des cours déstabilisante pour ses marges. Plus que jamais, les acteurs du secteur doivent apprendre à gérer ces nouveaux risques de marché, avec les différents acteurs de la filière et également à travers l'utilisation des différents outils financiers.

Le constat a de quoi surprendre. La chute des prix sur le marché des denrées agricoles va pénaliser une filière agroalimentaire pourtant structurellement acheteuse de ces matières premières. Paradoxe ? Pas tout à fait. Rappel des faits. Entre mars 2007 et mars 2008, les cours ont bondi avec une brutalité peu courante jusqu'à des niveaux jamais atteints auparavant. Pour les acteurs de la filière, cette volatilité inédite s'était finalement révélée une bonne opération. Amenées à lisser leurs achats dans le temps afin de sécuriser leurs approvisionnements, ceux-ci ont finalement profité d'un prix moyen d'achat systématiquement inférieur aux cours du marché, alors même que leurs prix de vente étaient indexés sur le marché. Le renchérissement des matières premières agricoles a donc permis au secteur de restaurer très largement ses marges, après plusieurs années de vaches maigres.

Mais voilà. Opportunité pendant un temps, la volatilité peut devenir une menace l'année suivante. C'est ce qui vient d'arriver. La récole mondiale pléthorique de cette année et la crise financière, qui a coûté à elle seule près de 20 euros au prix de la tonne de céréales du fait du retrait de certains investisseurs exsangues, ont inversé la tendance au premier trimestre, avant de l'accélérer à la baisse tout au long de l'année. Pour la filière, le lissage des achats s'est mis à jouer à rebours, les centrales d'achat exigeant une répercussion immédiate de la baisse des cours mondiaux sur leurs propres prix d'achat. Les industriels ont commencé à souffrir, étranglés entre un coût moyen répercutant les fluctuations de marché avec retard et un prix de vente particulièrement réactif. Et ils ont été d'autant plus affectés que la baisse des prix a été encore plus brutale que leur ascension préalable et que la crise économique a pesé sur la demande mondiale. Résultat, les acteurs du secteur ont dû puiser dans leur ultime variable d'ajustement : leurs marges.

Personne n'a échappé à cette soudaine déstabilisation. Si les agriculteurs se sont mis à travailler à contre-marge, la rentabilité globale de la filière s'est elle aussi fortement dégradée. C'est le cas des organismes stockeurs (négociants et coopératives) et de l'industrie de première transformation (fabricants d'aliments de bétail, meuniers, amidonniers...), marché très concurrentiel dans lequel les marges sont structurellement ténues. Mais ce n'est pas tout. L'impact sur les industriels de seconde transformation (fabricants de produits alimentaires finis), certes atténué par la valeur ajoutée de leur production et donc, par leur relative capacité à imposer des fluctuations de prix sur leur marché, sera lui aussi bien réel.

Et le problème n'est pas que conjoncturel. Jusqu'au début des années 2000, les prix étaient rigoureusement encadrés. Sécurisés à la baisse par les prix d'intervention et plafonnés par les taxes à l'exportation, ces derniers restaient contenus dans un couloir de fluctuation très étroit, protégeant la filière contre les aléas de marché et la focalisant sur son métier réel. Depuis, le réaménagement de la PAC a provoqué une re-corrélation relative des prix avec les fluctuations du marché mondial. Jusqu'à récemment, à l'exception de la grande sécheresse de 2003, cette ré-indexation s'est déroulée dans un contexte de marché relativement équilibré. Pas de problème, donc.

Mais depuis 2007, la progression de la demande (appétit croissant des zones émergentes, développement des biocarburants...) et les aléas affectant l'offre(problèmes climatiques, hausse du prix du baril...) ont provoqué un renchérissement inédit de l'ensemble des marchés agricoles, imbriqués les uns aux autres. L'ensemble de la filière s'est ainsi retrouvé à son corps défendant exposé à un risque auparavant circonscrit par des facteurs purement règlementaires. Au final, l'ensemble du secteur s'est retrouvé à spéculer indirectement et sans le vouloir sur les marchés, au lieu de s'en tenir strictement à son métier de base (transformation ou stockage d'une matière brute, valorisation d'un savoir-faire productif...).

Les sociétés du secteur doivent impérativement prendre la pleine mesure de cette nouvelle donne. Ils doivent se protéger contre ces aléas, qui peuvent certes les servir une année, mais aussi menacer jusqu'à leur survie l'année suivante. Pour y parvenir, ils doivent désormais à l'avenir re-corréler leurs coûts d'achat avec leurs prix de facturation. Pas question toutefois d'abandonner l'échelonnement des achats, seul moyen de sécuriser les approvisionnements physiques sur une longue période. La solution est ailleurs. Elle réside dans l'externalisation des risques de marché, notamment en mettant en place de contrats-cadres, afin d'instaurer une indexation contractuelle et de répercuter le risque de marché sur l'aval de la filière.

Une autre solution consiste à mettre en place des couvertures financières à base de produits dérivés, et notamment d'options. L'objectif est ici de transférer le risque non plus aux consommateurs, mais à des contreparties financières actives sur ce marché. Après le coup de semonce de cette année, l'univers fortement volatile dans lequel la filière a été brutalement projetée exige plus que jamais une refonte des pratiques.

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