Le regain de popularité de Karl Marx

Par Harold James, qui enseigne les relations internationales à la Woodrow Wilson School de l'université de Princeton et l'histoire à l'Institut européen de Florence.
Harold James (enseigne les relations internationales à la Woodrow Wilson School de l'université de Princeton et l'histoire à l'Institut européen de Florence)

Karl Marx resurgit des poubelles de l'Histoire. Nicolas Sarkozy s'est laissé photographier en train de feuilleter "Le Capital", tandis qu'un réalisateur allemand projette de faire un film. Parmi les nouveaux "marxistes", rares sont ceux qui cherchent à comprendre l'homme qui a voulu faire la synthèse de la philosophie allemande de Hegel et de l'économie politique britannique issue de David Ricardo, transformant ainsi deux courants de pensée plutôt conservateurs en une théorie révolutionnaire radicale.

Marx était un analyste perspicace de la mondialisation du XIXe siècle. En 1848, il écrivait dans "Le Manifeste du parti communiste"?: "à la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations." John Stuart Mill ou Paul Leroy-Beaulieu l'ont dit à la même époque, mais ne suscitent pas le même engouement.

Le regain de popularité de Marx traduit l'opinion dominante selon laquelle le capitalisme est fondamentalement vicié. Sa description du "fétichisme de la marchandisation" - la transformation des biens en actifs négociables, coupée tout à la fois du processus de création et de leur utilité - correspond parfaitement au processus complexe de titrisation où la valeur disparaît derrière d'obscures transactions.

De l'analyse de la nature trompeuse de la complexité, Marx a tiré le programme en dix points de son "Manifeste". Le cinquième consiste en "la centralisation du crédit entre les mains de l'Etat au moyen d'une banque nationale avec la propriété d'Etat et un monopole exclusif". Or, le problème majeur de la crise financière actuelle est que les banques n'accordent plus de crédit nécessaire au fonctionnement de l'économie. Même la recapitalisation des banques par l'État n'a pas suffi.

Ainsi, l'opinion exige que le plan de sauvetage du secteur automobile comporte une disposition imposant aux banques de faire crédit. Mais si on peut conduire un cheval à l'abreuvoir, on ne peut pas le contraindre à boire. Par le passé, des prêts ont été accordés sous la contrainte de l'Etat, pas seulement dans les systèmes d'économie centralisée des pays communistes. Les premiers pays européens modernes y avaient recours pour traiter avec leurs créanciers.

Au début des années 1980, le FMI et les banques centrales des grands pays industriels ont poussé les banques à accorder davantage de crédits aux pays endettés d'Amérique latine. Après avoir renâclé, elles ont cédé sous la menace d'une réglementation plus stricte. Paradoxalement, la solution des années 1980 a épargné aux banques une crise de la dette, mais elle a alourdi sur le long terme le fardeau du remboursement, diminuant le niveau de vie en Amérique latine.

Aujourd'hui, le système financier se porterait mieux si l'on avait suivi l'idée initiale du secrétaire au Trésor américain, Henry Paulson, consistant à racheter les actifs toxiques et à les effacer des bilans des banques. Mais c'était trop complexe à réaliser. Nous avons cherché des solutions simples. Inaugurant le nouveau bâtiment de la London School of Economics, la reine d'Angleterre a demandé pourquoi personne n'avait prévu la crise. En réalité, deux comédiens britanniques avaient lancé un an auparavant un avertissement dans un show télévisé, alors que les financiers à leur zénith étaient dans le déni. Autrement dit, les amuseurs passent pour sages et les spécialistes pour incompétents.

Quand l'activité redémarre après une récession, ce n'est pas tant dû au fait que des gens ont été contraints d'allouer des moyens financiers à des projets jugés politiquement souhaitables qu'à l'apparition de nouvelles idées. Celles-ci apparaîtront plus facilement s'il y a un grand nombre de décideurs que dans le cadre d'une version centralisée de la planification financière. La crise actuelle rendait inéluctable la résurrection du marxisme. Mais ses inconditionnels ne devraient pas oublier les résultats désastreux obtenus dans le passé par les systèmes de crédit centralisés.

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