L'entreprise résiliente 2.0

Par le professeur Alain Bentolila, directeur du "R&D Must" (Mutualisation des savoirs et des talents).

Aujourd'hui, les plus fulgurants succès ne sont pas ceux d'entreprises gigantesques qui organisent leurs salariés en groupes hermétiques de métiers et de niveau hiérarchiques, et qui tentent de distinguer "publicitairement" des produits strictement identiques à ceux de leurs concurrents. Les "success stories" modernes sont collectives, elles sont participatives ; elles doivent tout à la communauté des intelligences créatrices et des compétences singulières qui trouvent dans cette participation à une ?uvre commune la reconnaissance personnelle et la liberté d'innover que leurs propres entreprises ne leur octroient pas.

La mutualisation des savoirs et des talents des salariés et des clients grâce à un réseau social sera demain la seule voie possible de "distinction" pour des entreprises en grand danger de banalisation de leurs produits comme des discours qui les enveloppent.

S'il me venait à l'esprit de vous demander de me citer la première entreprise informatique du monde ; sans doute me répondriez vous : "IBM, Microsoft ou peut être Oracle". Et bien vous auriez tort ! La plus grande, la plus puissante c'est "Source Forge" ... et sans doute ne la connaissez-vous pas. Elle est cependant riche de 180.000 projets, portés par 300.000 développeurs et 2 millions de collaborateurs dont l'immense majorité sont salariés d'entreprises traditionnelles.

Pourquoi viennent-ils travailler bénévolement chez Source Forge ? Parce qu'ils ont le sentiment d'y être plus libres, plus visibles, plus estimés ; en un mot plus solidaires et plus heureux. Savez-vous pourquoi Gold Corp est passé en dix ans d'un chiffre d'affaires de 50 millions de dollars en constante régression à 13 milliard de dollars ? Tout simplement parce son PDG visionnaire, Rob McEwen, a ouvert à toute la communauté des ingénieurs du monde ses bases de données géologiques en les intéressant aux bénéfices que leurs découvertes engendraient.

Sauf à voir s'exiler les forces vives de ses ressources humaines, ses compétences les plus pointues, ses talents les plus originaux ; sauf à voir les critiques de ses propres salariés s'afficher sur Facebook, plus pernicieuses alors et totalement incontrôlées, aucune entreprise ne pourra dans les deux prochaines années ignorer la formidable vague de fond des réseaux sociaux ; elle devra les apprivoiser pour en faire un élément majeur de sa gouvernance.

La première condition est de définir ce qu'est réellement un réseau social d'entreprise en dénonçant l'erreur... ou la mauvaise foi qui voudrait étiqueter "réseau social" le plus modeste des webs collaboratifs. Un web collaboratif concerne un nombre restreint d'individus (quelques centaines) qui ont en commun de faire le même métier dans l'entreprise, d'être le plus souvent au même niveau hiérarchique, et qui se sont vus assigner des activités identiques. En bref, le Web collaboratif accentue le morcellement des salariés en groupes qui se rassemblent sur des tâches pré définies et à qui ont apportent quelques outils qui facilitent leur cogestion.

A l'extrême opposé, le réseau social met en relation des individus que rien, dans l'entreprise, ne destinait à se rencontrer, à se parler, à agir ensemble. Il invite à une communication horizontale, plus libérée et donc grosse de sens et de projets originaux. Un réseau social marie les talents singuliers de chaque salarié à ses compétences professionnelles. Il révèle chacun d'eux dans son intégrité : non pas réduit à un simple contrat de travail, non pas un simple numéro dans un organigramme.

Complémentairement, le réseau social institue les clients de l'entreprise comme membres d'une communauté non marchande dans laquelle ils interagissent et développent en confiance relations professionnelles et liens d'entraide. Telles sont les ambitions d'un réseau social d'entreprise ! Jusqu'à aujourd'hui seul le groupe des caisses d'épargne a conçu et construit un dispositif qui relève ce défi. Il est infiniment regrettable que les tempêtes sévères que ce groupe traverse l'ait obligé à différer son déploiement.

Dans la crise actuelle, les entreprises qui se replieront frileusement dans la routine voire l'immobilisme s'enliseront. Si elle veut sortir par le haut, une entreprise doit mettre au c?ur de sa stratégie trois objectifs: la cohésion de ses salariés, la confiance de ses clients, la capacité à se distinguer. Beaucoup, bien sûr, les affichent en une profession de foi plus ou moins convaincante, plus ou moins séduisante! Aucune ou presque n'est capable de traduire en actes ses propres exhortations. "Soyez unis ! Ayez confiance ! Nous sommes uniques !", s'exclament-elles à grand renfort de métaphores ou de scénettes publicitaires.

Qui peut les croire, parmi des clients qui restent des cibles, parmi des salariés qui restent des exécutants? La seule façon de combler ces trois exigences, c'est de transformer en profondeur le paradigme de la relation : faire des salariés les constructeurs de la culture d'entreprise ; faire des clients les cocréateurs des produits et des services. En bref faire passer clients et salariés du statut d'objet contractuel à celui de sujet-acteur. Cette révolution nécessaire, seul un réseau social ancré au c?ur même d'une entreprise peut la réaliser.

Imaginons une communauté de salariés au sein de laquelle chacun exprime ses talents, ses goûts ET des compétences professionnelles nourries de son expérience. Ils se retrouvent sur des centres d'intérêt communs, construisent du savoir, montent des projets, partagent leurs expériences et les outils qu'ils ont forgés. Les anciens rencontrant les plus jeunes. Les dirigeants discutant (enfin librement) avec les employés sur des sujets qu'ils découvrent communs. Le salarié de Marseille partageant avec celui de Lille, alors qu'il n'a jamais adressé la parole à celui qui est au bout de son couloir. Voici comment on met en acte la cohésion ; voici comment se construit une intelligence collective (terme tellement plus heureux que le galvaudé "culture d'entreprise").

Imaginons une communauté de clients dont le maître mot sera "solidarité" : une solidarité de professionnels soucieux de partenariat économique ; une solidarité de citoyens échangeant des services, montant des actions d'intérêt général; une communauté d'usagers partageant leurs expériences et leurs goûts. Une communauté enfin dans laquelle l'entreprise ne vendrait rien mais ou ses clients seraient partie prenante de l'évolution des produits et services.

Imaginons des entreprises plus innovantes, plus sereines, plus à l'écoute de leurs salariés et de leurs clients. Des entreprises absorbant mieux le(s) chao(s), résistant mieux aux fractures, gérant mieux les fusions ; en bref, une entreprise résiliente 2.0.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La solidarité pour l'entreprise, c'est le credo du site <url>www.entraidezvous.com</url>.

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