Le réveil douloureux de l'Espagne après le "boom" de l'euro

Par Thierry Maliniak, correspondant de La Tribune à Madrid.

Située aux antipodes de l'Europe de l'Est, l'Espagne, à première vue, n'était pas le pays le plus concerné par la chute du mur de Berlin. Mais cet événement historique l'a atteinte d'une autre manière : en accélérant la construction européenne, et notamment la mise en ?uvre de l'Union économique et monétaire qui a façonné le miracle espagnol durant ces deux dernières décennies.

En bénéficiant des taux de la zone euro, c'est-à-dire des taux allemands, l'Espagne est entrée dans un cycle expansif de quinze ans qui a fait passer son PIB par habitant de 79% à 95% de la moyenne de l'UEM. Ce boom économique a permis de créer, entre 1995 et 2007, plus de 8 millions de nouveaux emplois. Jusqu'à ce que la crise financière de 2008 ne vienne inverser brutalement la tendance.

Petit retour en arrière : nous sommes à la fin de 1992, l'année des fastes des Jeux olympiques de Barcelone et de l'Exposition universelle de Séville. Pour les financer, l'Espagne a largement ouvert les cordons de la bourse, avec un énorme plan destiné à mettre fin au traditionnel goulot d'étranglement de ses infrastructures. Mais au prix fort ! Le déficit public s'est creusé, jusqu'à atteindre 6,7% du PIB en 1993, lorsque se sont éteints les lampions de la fête.

L'inflation, elle, s'emballe au fur et à mesure que les "grandes ?uvres" de préparation des Jeux et de l'Expo se multiplient : elle atteint 6,8% dès 1989, et s'élève encore à 5,9% en 1992. Face à ces déséquilibres, comment parvenir à respecter ces critères de convergence établis quelques mois plus tôt dans le traité de Maastricht ?

Malgré les quolibets raillant les pays du "club Med", ces Etats d'Europe du Sud supposés rétifs par nature à la rigueur, l'Espagne relève le défi. Avec, au ministère de l'Economie, le socialiste Pedro Solbes d'abord et le conservateur Rodrigo Rato ensuite, elle réussit la gageure de rentrer dans les clous de Maastricht en six ans à peine. Ce sera, pour elle, le premier impact positif qu'aura l'euro avant même de naître : celui de la contraindre à un effort de stricte discipline auquel il n'est pas sûr, si l'on en juge par son histoire, qu'elle se serait soumise avec la même rigueur sans la perspective de la gratification de l'euro.

Au passage, elle se livre aussi à quatre dépréciations de sa monnaie en quatre ans : d'abord pour améliorer sa compétitivité internationale et favoriser ainsi une relance via la demande extérieure. Ensuite pour insérer la peseta dans l'euro avec un taux de change qui soit favorable à ses exportations : ces dévaluations compétitives constitueront le dernier coup de canif à l'orthodoxie avant l'entrée dans le "club". Une fois à l'intérieur, elle se révélera comme l'un des pays qui profiteront davantage de cette appartenance : sa croissance annuelle moyenne, qui était de 2,7% entre 1990 et 1998, avant l'euro, passe à 3,7% durant la période 1999-2007.

Sur la même période, l'investissement annuel en biens d'équipement augmente de 1,6 point en Espagne, contre 1,1 seulement pour la moyenne de la zone euro. Le contraste est plus marqué encore pour la construction : entre ces deux périodes, le secteur augmente en moyenne de 1,8 point par an en Espagne alors qu'il baisse de 0,1 point dans l'ensemble de l'UEM.

Les raisons du dynamisme hispanique sont évidentes. L'euro a supprimé le "risque pays", galvanisant ainsi l'investissement : l'écart de rendement entre les dettes publiques espagnole et allemande, qui dépassait encore les 500 points de base en 1995, se réduit pratiquement à zéro au début des années 2000. Avec la chute des taux d'intérêt, proches de 15% dans les années 1980, les Espagnols se mettent à consommer et emprunter allègrement (le niveau d'endettement des ménages avoisine aujourd'hui 130% de leur revenu disponible).

Protégée par le cocon de l'euro, l'Espagne parvient à financer un déficit courant croissant, un peu à l'américaine. Jusqu'à ce que vienne la crise financière. En 2008, l'Espagne prend soudain conscience que sa dépendance à l'égard de l'étranger - qui se manifeste aujourd'hui par un déficit de la balance des paiements courants dépassant les 10% du PIB, un record parmi les grands pays industrialisés - était un facteur spécifique de vulnérabilité.

D'autant que l'emballement de la consommation, dopée par des taux d'intérêt longtemps négatifs en termes réels, s'est traduit ces dernières années par une inflation régulièrement supérieure d'un point, bon an mal an, à la moyenne de la zone euro : ce qui a érodé la compétitivité internationale de ses produits et accru ainsi encore son déséquilibre extérieur.

Le modèle de développement espagnol, né à l'abri de l'UEM, révèle donc aujourd'hui ses limites. Certes, l'euro sert toujours d'amortisseur : on imagine aisément comment, si l'Espagne en était restée à la peseta, la crise aurait provoqué une dégringolade de la monnaie et une hausse stratosphérique des taux, étranglant davantage encore la demande intérieure ! Mais la débâcle financière constitue un avertissement aux responsables politiques espagnols sur la nécessité d'adapter un pays trop dépendant de sa bulle immobilière.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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AVARICE AVARICE CET BIEN MAIS LE RÊVE FAIT PLACE AU CAUCHEMAR

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