Un scénario économique à la japonaise ?

Contrairement au débat en cours qui domine sur la crise actuelle et les possibilités d'en sortir, ce n'est pas la Grande Dépression des années 1930 qui doit être prise comme référence, mais davantage la crise traversée par le Japon à partir des années 1990. Nombre de similitudes avec la situation actuelle offrent la possibilité de tirer de riches enseignements pour l'avenir, estime Jean-Marc Bernon, directeur général de Fortis Gestion Privée.

Comparaison n'est pas raison, mais si nous devions nous prêter à l'exercice, la situation du Japon depuis les années 1990 nous paraît plus riche d'enseignements que les très médiatisées années 1930 : spectre de la Grande Dépression et remèdes miracle du bon docteur Keynes. Affranchissons-nous quelques instants de cette nouvelle pensée unique pour étudier les leçons nippones.

Hausse exacerbée des marchés immobiliers et financiers, plus grandes banques au monde, ultime modèle économique, c'est ainsi que le Japon débute 1990. La suite est connue : krach boursier et immobilier, banques en quasi-faillites, récessions et déflations ponctuelles malgré une politique monétaire à taux zéro appliquée depuis des années et une dette publique représentant aujourd'hui plus de 170% du produit intérieur brut (la France et les Etats-Unis, eux, s'approchent des 80%).

Certes, les autorités japonaises furent alors moins promptes que leurs homologues occidentales actuelles à prendre les indispensables mesures de relance monétaire et budgétaire.

Mais le Japon a fini par appliquer peu ou prou les mêmes remèdes keynésiens que nous nous apprêtons à adopter après avoir traversé les mêmes débats. Pour aboutir à quels résultats ?

Les marchés immobiliers et boursiers nippons n'ont pas retrouvé leurs plus hauts historiques, et le système japonais a perdu son aura d'antan. Pour autant, le produit annuel brut (PNB) japonais et les profits des sociétés cotées à Tokyo sont largement supérieurs à ceux des années 1990. Le Japon n'a pas vécu de Grande Dépression mais une croissance modérée malgré quelques épisodes récessifs et déflationnistes toujours contenus. Les mesures prises ont évité le pire mais n'ont pu faire l'économie d'ajustements ne pouvant s'inscrire que dans la durée : désendettement, assainissement des bilans, notamment bancaires, baisse de la valeur des actifs, etc.

La Bourse japonaise a néanmoins connu d'excellentes années mais contredit l'adage selon lequel les actions rapportent à long terme de manière indifférenciée plus que tout autre actif, notamment obligataire. Pour autant, cela n'a pas empêché l'essor de nombreuses sociétés japonaises, ni Nomura de racheter les activités européennes et asiatiques de... Lehman Brothers !

La faillite de cette grande banque américaine nous a fait connaître un dernier trimestre et donc une année boursière historiquement négative. Les pouvoirs publics ayant apparemment tiré la leçon de cette bévue, le risque systémique s'éloigne et laisse les marchés sur des niveaux prenant en compte, au moins partiellement, la récession en cours. Mais malgré les mesures monétaires et budgétaires prises, le rétablissement n'en sera pas moins différé et progressif lorsqu'il se produira. Et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, une partie de la forte croissance mondiale passée ne reposait que sur l'endettement d'entreprises et de particuliers. Cette source de croissance n'est pas prête de revenir malgré les incitations gouvernementales à accorder du crédit ; ce que les banques feront mais pour des projets nécessairement moins porteurs, nombreux et viables que lorsqu'on pensait que les arbres (immobiliers, boursiers ou... chinois) montaient jusqu'au ciel.

Ensuite, si Keynes revient à la mode, un de ses concepts clés est peu évoqué, alors même que le Japon en est une illustration quasi parfaite. La création monétaire des banques centrales et les dépenses budgétaires sont très majoritairement dédiées à la compensation des dépréciations d'actifs, à la reconstitution des fonds propres bancaires, au désendettement, voire à l'épargne des particuliers. Disposer de liquidités est une condition nécessaire pour consommer ou investir mais non suffisante lorsque vous êtes confronté à des incertitudes en termes de débouchés, d'emplois et... d'impositions au regard de déficits publics croissants.

Enfin, comme au Japon, le risque demeure la désinflation voire la déflation, aussi longtemps qu'aucune banque centrale ne se met à faire tourner la "planche à billets", au sens quasi physique du terme. Non seulement les liquidités sont largement stérilisées, mais celles qui circulent le font de moins en moins vite. Cela conduit à une possible baisse des prix des biens et des actifs, comme l'a démontré Irwin Fisher, autre grand économiste des années 1930.

A ce stade, il paraît salutaire de rappeler que le scénario japonais demeure largement préférable à celui des années 1930. Mais il ne permet pas de retrouver la croissance soutenue antérieure, car il n'en corrige pas le principal déséquilibre : l'élargissement des écarts de revenus, de patrimoines et d'endettements entre "possédants" et  "non-possédants" au sens microéconomique (individus et entreprises) comme macroéconomique (nations et union économique).

Laisserons-nous le temps niveler par le bas ces écarts, comme au Japon, ou bien saurons-nous mieux rémunérer les "non-possédants"... comme Henri Ford l'a fait avant-guerre, à l'échelle de son entreprise ?

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Une petite question : lorsque vous dites "le risque systémique s'éloigne" cela veut-il dire que nous ne l'avons pas subi, que nous en sommes seulement passé prêt? Il me semble au contraire que le "risque systémique" a bien eu lieu : des pans entiers ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je pense moi aussi que le schéma à la japonaise est le plus probable pour nous: la bulle immobilière est en cours d'éclatement; les prix vont chuter, de même que la consommation du fait de l'explosion du chômage. De plus, les banques n'ont probableme...

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