L'innovation financière sous liberté surveillée

Les conséquences graves de la crise financière redonnent au droit sa fonction première de correcteur des écarts de la pratique sociale ou, plus généralement, de moyen de régulation des rapports sociaux. Le marché cesse d'apparaître comme le lieu ou fondement de l'intérêt général. Il convient néanmoins de s'interroger sur l'opportunité de renforcer les règles relatives aux produits structurés, au risque de voir la liberté contractuelle être compromise par l'excès de réglementation, estime David Masson, avocat à la cour (Simmons & Simmons).

Les dirigeants des pays, considérés comme les plus "influents" sur la scène mondiale, se sont donc réunis à Londres comme une manière de mettre fin aux bouleversements qui secouent notre quotidien et, éventuellement, de penser un ordre économique nouveau. A une époque où les critiques, doutes et mécontentements se font nombreux et revêtent des formes les plus variées, l'idée de la mise en place de règles nouvelles, voire le durcissement de celles existantes, resurgit. Le droit retrouve dès lors sa fonction première de correcteur des écarts de la pratique sociale ou, plus généralement, de moyen de régulation des rapports sociaux.

En ces circonstances, le marché cesse d'apparaître comme le lieu ou fondement de l'intérêt général. C'est, à notre sens, par le prisme de ces observations qu'il convient de s'interroger sur l'opportunité de renforcer les règles relatives aux produits structurés, au risque de voir, une nouvelle fois, la liberté contractuelle se trouver compromise par l'excès de réglementation. Cet excès caractérise les dernières décennies même si d'aucuns pensent fort justement que certaines branches du droit exigent un état de réforme permanent ou continu.

Tout en évitant que cela porte atteinte à la rationalité et à la cohérence du système juridique, une réaction rapide et adaptée de la règle aux changements de chaque époque s'avère certes nécessaire, notamment dans le but de parvenir au bien commun idéal ou, du moins, à la satisfaction du plus grand nombre. Cette réaction, spontanée par nature, peut, en général, également et aisément prendre appui sur une référence constante à la morale ou à l'éthique, conférant ainsi à la norme nouvelle un fondement supérieur à la légitimité politique.

Pour autant, il ne s'agit aucunement de tomber dans un idéalisme extrême et délirant qui voudrait voir le mouvement de régulation qui s'amorce comme la solution à tous nos maux : de l'ordre des initiatives et de l'adaptation, la société contemporaine, ou le corps social, est aussi et surtout de l'ordre de la réalité et de l'efficacité.

A ce jour, on a beaucoup commenté les effets dévastateurs et particulièrement pervers des mécanismes de titrisation qui ont à la fois permis de rendre, au sein des bilans des banques, liquides des actifs qui ne l'étaient pas et de transférer les risques qui y étaient attachés. Ces instruments ont donné lieu à de nouvelles formes d'instabilité de nature systémique où seuls les pouvoirs publics, par des moyens inhabituels comme la mise en place d'un système de garantie des dépôts ou l'injection de fonds publics, sont capables d'empêcher ou de canaliser les incohérences de comportement ou les paniques collectives qui en ressortent.

C'est la raison pour laquelle beaucoup voient dans l'établissement prochain d'un cadre plus strict pour les dérivés de crédit, tels que les "credit default swaps" ou CDS (contrats par lesquels un établissement s'engage à l'égard de son contractant à verser une prime régulière contre l'engagement pris par ce dernier, en cas de survenance d'un événement de crédit sur un actif de référence, de le dédommager de la perte subie sur l'actif sous-jacent), un outil devant permettre de réguler efficacement ces mécanismes de transfert du risque.

Les CDS se négocient librement, de gré à gré. En conséquence, jusqu'à aujourd'hui, aucune standardisation n'existe, ni des contrats, ce qui finalement a abouti selon certains à une aspiration du droit des conventions relatives aux marchés financiers par l'innovation financière, ni des infrastructures qui s'y rapportent. Toutefois, seront bientôt mises en place, sur fond de lutte monétaire et plus généralement financière entre les places boursières américaines et européennes, des chambres de compensation où le contrat devra être enregistré auprès d'un organisme centralisateur qui jouera le rôle de contrepartie centrale. Tel est le v?u de nos gouvernants parvenus à trouver un consensus sur ce point.

De même, par casuistique, seront créés des standards ou engendrées des habitudes ou pratiques contractuelles répétées et relativement balisées, devant permettre, in fine, aux marchés des CDS d'être plus liquides et transparents. Si ce nouveau schéma peut, empiriquement, au regard d'autres produits négociés sur les marchés financiers réglementés, apparaître sain et efficace, et faire ainsi écho à Albert Camus qui écrivait en 1942 dans "Le Mythe de Sisyphe" que "tout est permis ne signifie pas que rien n'est défendu", en revanche, et malheureusement, la conception même de l'activité contractuelle est en jeu en ce que la notion de contrat ne doit pas se résumer à un simple instrument technique. La liberté contractuelle ne peut être sacrifiée ou totalement ignorée lors de chaque bouleversement ou tempête économique.

Cette liberté implique, dans toute son expression, que le contrat épouse fidèlement la volonté respective des parties et les manifestations qu'elles ont choisi de lui donner. Or, aujourd'hui, le renforcement de la transparence et l'amélioration de la surveillance du système financier par l'ensemble des moyens à disposition, au titre desquels figure le contrat, demeure l'objectif unique et affiché. On assiste, en conséquence, à une instrumentalisation démesurée du contrat. Les innovations financières dont il est souvent porteur et qui marquent ou illustrent dans une certaine mesure l'esprit créatif, se trouvent alors, par ricochet, soumises à une liberté surveillée.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.