Redistribution des cartes dans le crédit à la consommation

Par Catherine Malaval (LoweStrateus) et Robert Zarader (Equancy&Co) (coauteurs de La Bêtise économique, Perrin, 2008).

Le Crédit Agricole a annoncé la fusion de ses deux filiales de crédit à la consommation Sofinco et Finaref, pour les regrouper en 2010 au sein d'une nouvelle entité Crédit Agricole Consumer Finance. Alors que les regards portent principalement vers l'industrie, à travers le secteur automobile notamment, pour suivre pas à pas l'évolution de la crise ou les premiers signes de la "sortie de crise", plus discrètement, de grandes restructurations ont commencé dans le secteur du crédit à la consommation.

L'histoire cachée

Dans cette énième bataille qui engage les grands acteurs du secteur, le storytelling de la fusion Sofinco-Finaref a la mémoire qui flanche et construit curieusement une histoire qui s'affranchit des origines! On aura beau cherché, nulle part il n'en est question : le groupe bancaire oublie de rappeler qu'avant d'être sa soeur, Sofinco fut d'abord la mère de Finaref, mais la vendit... A travers cette fusion, voilà donc une étonnante page d'histoire économique qui se tourne. Revenons en arrière, à l'époque des Trente glorieuses. Les banques se désintéressent du crédit à la consommation ; l'achat à crédit est tout simplement mal vu. Déjà, les constructeurs automobiles ont créé leurs propres organismes pour soutenir leur développement.

Les banques laissent le marché du crédit à l'ameublement et à l'électroménager à de nouveaux acteurs, comme Sofinco, créée en 1951 avec une petite banque, une compagnie d'assurance et la Fédération de l'ameublement, ou Cetelem en 1953. Portée par l'avènement de la société de consommation, Sofinco en vient à s'intéresser à la clientèle captive et fidélisée de la vente par correspondance et, en 1968, développe un partenariat avec La Redoute, pour créer la carte Kangourou. Outre qu'il concrétise la naissance du crédit revolving en France, ce partenariat prend la forme d'une filiale commune Sofinco-La Redoute, qui devient... Finaref en 1970, filiale de Sofinco.

Au terme de neuf ans d'une histoire commune, Sofinco vend finalement ses parts de Finaref à La Redoute. 1979 est une année de crise, année morose, le crédit est encadré, le gouvernement vient de mettre en ?uvre la loi Scrivener. L'avenir des cartes privatives paraît alors bien morne. Par la suite, de la banque La Hénin, en passant par la Compagnie financière de Suez, Sofinco va fusionner avec de multiples filiales financières des deux groupes, devenir banque, opérer des multiples partenariats, avant d'être finalement acquise par le Crédit Agricole en 1999.

Filiale de La Redoute, par le jeu d'autres rachats, Finaref a rejoint le groupe Pinault en 1992, Finaref reprend la gestion des cartes privatives de la Fnac et du Printemps... Finalement, en 2003, devenu PPR, le groupe décide de se recentrer sur le luxe et la distribution et, pour finaliser le rachat de Gucci, vend Finaref au Crédit Agricole. Coût de l'acquisition : 1,54 milliard d'euros. En quinze ans, Finaref a en effet largement grandi et surfé sur la vague des cartes privatives : quelque 180.000 comptes au début des années 1970, 5,6 millions de cartes privatives en 2003. Sofinco était l'un des plus beaux actifs de Suez, Finaref, la pépite de PPR. 1979-2009, trente ans après, les voici de nouveau réunies.

L'histoire contrainte

Séparées, perdues de vue, puis retrouvées. Pas de tourbillon de l'amour entre les deux belles "captives financières", mais un tourbillon financier qui agite le secteur du crédit à la consommation depuis toujours, au rythme des crises économiques et de la recomposition de grandes groupes industriels et bancaires. Le crédit à la consommation enregistre une baisse à deux chiffres depuis le début de l'année. La crise, certes. Toutefois, le crédit à la consommation n'a que faiblement progressé depuis l'an 2000. Depuis quelques années, de nouveaux acteurs placent leurs pions : des acteurs issus de l'e-commerce, comme la banque Paypal, filiale d'eBay depuis 2002, ou de la grande distribution. En 2003, Auchan a ainsi créé la carte Banque Accord Visa, la première carte bancaire issue de la grande distribution. Les activités de services de la grande distribution gagnent des parts de marché (téléphonie, location, voyages et autres services).

L'histoire des établissements de crédit, faite de fusions, de créations de filiales spécialisés, d'alliances nouées et dénouées, de nouveaux produits (crédit affecté, prêt permanent, etc.), rappelle qu'il faut sans cesse rebattre les cartes sur ce secteur, fut-ce parfois au prix cher. La crise économique incite à le faire au plus vite. Les grandes man?uvres en cours témoignent d'un nouveau recentrage de l'activité bancaire vers une forme d'économie réelle où l'on redécouvre la valeur du client, pour faire face à la crise, mais surtout dans la perspective de l'après-crise pour faire face à ces nouvelles "captives" de l'Internet et de la grande distribution.

Implantées partout dans le monde, celles-ci ont derrière elles quarante années de maîtrise du "tout sous le même toit", mais surtout de terribles atouts : les millions des clients qui passent sur leurs lieux de vente, virtuels ou physiques, (en 2008, 1,6 milliard de clients sont passés par les caisses des hypermarchés et supermarchés Auchan) et le potentiel des bases de données de leurs programmes de fidélité. Et si l'histoire du crédit à la consommation ne relevait plus de l'histoire du crédit, mais de l'histoire du marketing du consommateur ?

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