Europe : le scénario "à la japonaise" se précise

Le "tournant de la rigueur" cache mal le manque de volonté politique de l'Eurogroupe. L'application uniforme de plans d'austérité est irresponsable. Le contrôle strict du potentiel d'inflation, au risque de laisser se produire une nouvelle crise bancaire, relève de l'inconséquence. Seules une initiative monétaire ferme et une action budgétaire coordonnée permettront à l'Europe de reprendre son destin en main.

Création d'un fonds de sauvetage de 750 milliards d'euros, plans d'austérité d'une ampleur historique, interventions directes de la BCE sur les marchés obligataires : un nouveau chapitre s'est ouvert dans le combat que livre Bruxelles contre les marchés financiers. L'assaut, pourtant, semble déjà avoir échoué. Le rebond fut spectaculaire, mais bref.

Plus que jamais, une rechute menace. Alors que les indices de prix reculent en Espagne, que les banques européennes se préparent à essuyer en 2010 des dépréciations de près de 100 milliards d'euros et que les rumeurs d'un éventuel défaut hongrois se font insistantes, l'horizon économique s'assombrit. La hausse des taux souverains parmi les plus stables, l'envolée des CDS sur les titres français à cinq ans et le rétrécissement des volumes d'émissions obligataires privées indiquent bien la gravité de ce nouvel accès de fièvre. Taux d'endettement vertigineux, lourdes pressions déflationnistes et crise bancaire larvée : le scénario "à la japonaise" se précise.

Comment expliquer cette déroute ? La dette cumulée des Etats grec, portugais et espagnol avoisine les 920 milliards d'euros : 170 de plus que le fonds de sauvegarde. Ce véhicule est une arme d'appoint plus que de dissuasion. La capacité des Etats à lever de nouvelles troupes, de plus, reste incertaine : comment la France, qui se prépare à réduire ses dépenses de 45 milliards d'euros en trois ans, entend-elle garantir près de 100 milliards sans remettre ses finances en péril ?

La multiplication des plans d'austérité, d'autre part, hypothèque tout espoir de reprise. L'annonce d'une cure individuelle, synonyme de hausse des impôts et de baisse des dépenses, rassure en théorie les créanciers d'un Etat. Bien différentes seraient ses conséquences, si elle s'étendait à toute la zone euro : elle se traduirait alors par un essoufflement brusque, d'autant plus dangereux qu'il prendrait les pouvoirs publics au dépourvu. La dégradation de la note espagnole par l'agence Fitch pour "austérité excessive" souligne utilement ce risque.

L'intervention de la BCE a l'avantage de soutenir les titres souverains les plus malmenés et d'inciter les investisseurs à faire de même. La "stérilisation" de ces achats - leur financement exclusif par des ressources existantes - assure une maîtrise rigoureuse des tendances d'inflation. Elle n'est cependant pas neutre, et contraint Francfort à vendre d'autres actifs, déportant les tensions sans les atténuer, ou à lever des capitaux auprès des banques sous forme de dépôts à terme, étouffant alors l'offre de crédit.

La capitulation, pour autant, est-elle certaine ? Pour éviter que la course à l'austérité ne devienne course à l'abîme, il faut que l'effort fourni par les seize soit globalement soutenable, qu'un régulateur impose la rigueur aux plus fragiles et la modération aux autres. L'Allemagne, notamment, ne peut plus récuser son rôle moteur au sein de l'Eurogroupe et doit impérativement stimuler sa demande intérieure. Le programme d'économies annoncé par l'administration Merkel, fort de plus de 80 milliards d'euros, ne va pas, hélas, dans ce sens : un infléchissement serait dans l'intérêt de tous.

Le ressort monétaire, par ailleurs, doit maintenant fonctionner à plein. Le contraste entre une économie américaine en cours de redressement et une zone euro en crise tient essentiellement à la plus grande fermeté des politiques menées par la Réserve fédérale en 2009. Certes, son bilan a plus que doublé en moins de deux ans et sa normalisation posera sans doute problème. Certes, une poussée d'inflation - voire d'hyperinflation, aux accents argentins - est à présent envisageable. Mais il y a loin de Tokyo à Buenos Aires, et tel est le prix pour éviter la débâcle. La BCE doit faire une entorse à son mandat et renoncer à stériliser ses interventions.

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