"Gérer les risques non financiers suppose de responsabiliser tous les acteurs"

Dans un entretien accordé à "La Tribune", Noël Amenc, directeur de l'Edhec-Risk Institute, le professeur de finance revient sur le développement de tels risques et sur le rôle que doit jouer l'Esma, l'autorité de supervision européenne.
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Avec la crise, les risques non financiers se sont développés dans l'industrie de la gestion d'actifs qui semble les avoir sous-estimés et, par conséquent, mal appréhendés. Dans le cadre d'une chaire de recherche consacrée à ce type de risques, soutenue par la banque dépositaire-conservation Caceis, l'Edhec-Risk Institute a mené une étude indiquant que « l'industrie de la gestion de fonds européenne avait besoin d'une meilleure connaissance des risques non financiers.

Qu'est-ce qui distingue les risques financiers et non financiers ?

Un risque non-financier se distingue d'un risque financier par le fait qu'il ne résulte pas de la réalisation d'un événement financier affectant négativement la valeur d'un actif mais est la conséquence d'un dysfonctionnement du processus opérationnel de gestion de cet actif. Si l'investisseur est en droit d'attendre une rémunération pour son exposition à un risque financier, il ne peut malheureusement que subir une perte sans espérance d'un quelconque gain en matière de risque opérationnel.

Depuis la crise des subprimes à l'été 2007, nous assistons à une augmentation des risques non financiers dans l'industrie de la gestion d'actifs qui semble les avoir sous-estimés. Pour quelles raisons ?

Ce phénomène est assez compréhensible compte tenu de l'accélération de l'innovation financière de ces dernières années et de la difficulté à adapter des cadres réglementaires. Ces derniers étaient conçus initialement pour des investissements sur des actifs traditionnels et réglés au comptant. La bonne organisation de la conservation de ces actifs traditionnels et de leur comptabilisation suffisait à en garantir la sécurité.

Quand le régulateur européen a élargi le champ des actifs éligibles aux fonds Ucits [fonds coordonnés, Ndlr] ou qu'il a autorisé ces véhicules à être exposés à de forts effets de levier, il aurait dû en étudier réellement les conséquences sur les processus de gestion opérationnelle et sur l'accroissement des risques non financiers que cela supposait. Il faut à ce titre souligner que, sur ces sujets, et contrairement à la tradition communautaire, les conséquences de ces nouveaux textes n'ont pas fait l'objet d'études d'impact ni même de consultations préalables.

Comment l'industrie doit-elle les appréhender et les gérer ?

De notre point de vue, une bonne gestion des risques non financiers suppose de responsabiliser tous les acteurs de la chaîne de valeurs de la gestion. Cette responsabilisation repose sur le principe de subsidiarité qui doit rendre responsable financièrement chacun pour les conséquences négatives de ses actions ou de son inaction. Ce système est nettement préférable à l'idée qu'un responsable de dernier ressort aux « poches profondes » pourrait faire face aux défaillances de l'ensemble des acteurs participant à la gestion du fonds. À ce titre, imposer la restitution immédiate des actifs par le dépositaire, dans le cas de fonds ayant investi sur des instruments dérivés que le dépositaire ne conserve pas, conduirait à déresponsabiliser les gérants sur le choix de leur contrepartie ou la gestion du collatéral.

Tout ne doit donc pas reposer sur le dépositaire...

Faire jouer au dépositaire un rôle d'assureur de dernier ressort, sans qu'il puisse maîtriser les risques qu'il assure, aurait pour conséquence, d'une part, un fort renchérissement des frais facturés par ce dernier au titre de cette garantie aveugle et, d'autre part, un accroissement du risque systémique par la concentration actuelle des fonctions de dépositaire et de conservateur. Pour l'Edhec-Risk Institute, une bonne gestion des risques non financiers suppose que soient mis en place des « incentives » qui favorisent leur bonne appréhension par ceux qui les prennent. Par exemple, pourquoi ne pas lier l'exigence renforcée de fonds propres des sociétés de gestion à l'évaluation, voire au « rating » des risques opérationnels des fonds gérés ?

La faillite de Lehman Brothers et l'affaire Madoff ont mis en lumière les défaillances des fonds Ucits, notamment sur la fonction du dépositaire dont l'application diffère d'un pays à l'autre en Europe. Faut-il harmoniser ces règles ? Et quel rôle doit jouer l'Esma (autorité de supervision paneuropéenne) ?

Ces vingt dernières années, l'idée qu'une habile interprétation a minima des textes communautaires pouvait être un facteur de développement d'une place financière a donné lieu à un véritable dumping réglementaire intracommunautaire. L'absence d'harmonisation du niveau 3 du processus législatif, dit Lamfalussy laissait aux seuls régulateurs nationaux la responsabilité de l'interprétation et donc de l'application concrète des directives européennes dans le secteur financier. La création de l'Esma va largement remédier à cette situation. Encore faut-il que la compétition ne se transpose pas au niveau de la surveillance des acteurs, car un texte ne vaut que s'il est bien appliqué et si son non-respect est effectivement sanctionné.

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